Le plan Biden sur les infrastructures hissera les obligations vertes

Luca Manera, Asteria Investment Managers

3 minutes de lecture

Le marché américain des obligations vertes connaît un déficit de financement, et les besoins sont immenses.

©Keystone

En revenant dans l’accord de Paris, le président Biden engage les Etats-Unis sur la voie de la lutte contre le changement climatique et de la transition vers un avenir à zéro émission nette d’ici 2050. Alors que nous voyons le bout de la pandémie de COVID-19 et que le gouvernement fédéral vient de faire adopter un plan de relance budgétaire de 1’900 milliards de dollars, la Maison Blanche n’a pas su saisir la chance qui lui était offerte d’assumer son rôle de leader et de prendre la tête du mouvement mondial pour la transition climatique. Si, malgré une courte majorité, le plan de relance a été adopté sans difficultés majeures sur le plan politique, la question des émissions carbone y brille par son absence. 

La Maison Blanche s’est attachée à revenir sur certaines mesures prises par le gouvernement précédent en matière environnementale, notamment rétablir des normes plus strictes pour les émissions de gaz d’échappement et mettre en pause temporairement l’octroi de nouvelles concessions pour des forages sur les terres fédérales. Toutefois, dans un contexte politique déjà profondément divisé, il n’est pas surprenant que le gouvernement de M. Biden doive faire des compromis vu le faible soutien dont il dispose, y compris au sein de son propre parti. Le plan de relance a été retardé par un démocrate, Joe Manchin. Président de la commission sénatoriale de l’énergie et sénateur de la Virginie-Occidentale – Etat le plus grand producteur de charbon – M. Manchin souhaite désormais voir le président adopter un consensus bipartisan sur un point de son programme: son plan de modernisation des infrastructures, une question politiquement délicate.

Pendant sa campagne, M. Biden a insisté sur la possibilité d’utiliser
les marchés gouvernementaux pour faire progresser les dépenses «vertes».

Ce projet n’entend pas uniquement réparer ponts et routes: Janet Yellen, désormais Secrétaire au Trésor, a expliqué que l’objectif était de «reconstruire, mais en mieux» l’économie américaine. Le plan devrait inclure des investissements dans la 5G et un meilleur accès aux soins et à l’éducation. Le volet «écologie» de ce plan est encore flou, mais, pendant sa campagne, M. Biden a insisté sur la possibilité d’utiliser les marchés gouvernementaux pour faire progresser les dépenses «vertes». Il s’agira d’installer 500’000 nouvelles bornes de recharge électriques sur les routes, de rétablir l’intégralité des crédits d’impôt pour l’achat de véhicules électriques, de réaliser des investissements dans la recherche sur le stockage du carbone, avec un objectif de réduction de moitié de l’empreinte carbone du parc immobilier américain. M. Biden entend désormais aller encore plus loin en relevant de 1’000 milliards de dollars le montant du plan, financé par une hausse des impôts sur les sociétés et les hauts revenus. 

Le chef des républicains au Sénat, Mitch McConnell, a déjà fait savoir que l’opposition au Congrès ne soutiendrait pas un tel plan, qui constituerait «un cheval de Troie pour des hausses d’impôts massives et d’autres mesures de gauche qui détruisent des emplois». Malgré les obstacles politiques, les infrastructures américaines ont besoin d’investissements massifs pour être modernisées – le rapport de 2021 préparé par l’American Society of Civil Engineers estimait à 2,6 billions de dollars le besoin de financement sur la prochaine décennie. Ce plan fédéral est une occasion unique pour l’économie américaine, pour la transition climatique aux Etats-Unis et pour les obligations vertes. Bien que les propositions qu’il contient se concentrent sur les dépenses réalisées par le gouvernement fédéral, le plus grand défi pour le Président est de faire adopter un cadre législatif définissant les réglementations et politiques futures et donnant ainsi aux investisseurs la visibilité nécessaire pour apprécier sur le long terme les possibilités offertes par un investissement respectueux de l’environnement durable et pour débloquer les financements privés.

Le soutien affiché aux obligations vertes permettrait d’institutionnaliser
le marché US, en retard par rapport au volume du marché européen.

C’est pour cette raison que le gouvernement fédéral et son département du Trésor doivent se concentrer sur leur discours écologique et leurs ambitions pour le climat pour donner aux investisseurs une idée des contours que prendrait une transition verte. Dans ce contexte, il serait utile d’envisager l’émission de bons du Trésor verts. Les Etats-Unis rejoindraient ainsi les 16 pays ayant déjà émis des obligations vertes et, surtout, contribueraient à soutenir et à promouvoir le financement de la lutte contre le changement climatique, un secteur en pleine croissance, mais qui ne constitue encore qu’une infime partie des marchés obligataires mondiaux. 

En outre, une première obligation d’Etat verte serait en ligne avec la campagne menée par M. Biden. Les fonds ainsi récoltés pourraient être alloués à la recherche pour les techniques de capture et de stockage du carbone, au financement de crédits d’impôt écologiques, à l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments, ainsi qu’à la protection de la biodiversité. Nombre de ces objectifs sont déjà monnaie courante pour les obligations souveraines vertes. De plus, ce soutien affiché aux obligations vertes permettrait d’institutionnaliser le marché aux Etats-Unis, en retard par rapport au volume du marché européen. Selon la Climate Bond Initiative, la croissance du marché des obligations vertes depuis 2007 lui a permis d’atteindre 1 billion de dollars, dont un peu plus de 200 milliards pour les émetteurs américains, contre plus de 430 milliards en Europe.

Le marché américain des obligations vertes connaît donc un déficit de financement, et les besoins sont immenses. Le gouvernement de M. Biden peut contribuer à combler ce retard et promouvoir ses projets ambitieux pour le climat.

A lire aussi...