Le Mercredi noir britannique va-t-il se répéter?

Barry Eichengreen, Université de Berkeley

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Le Mercredi noir fut un «jour de désastre» dont le gouvernement du premier ministre de l’époque, John Major, ne se relèvera pas.

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Le 16 septembre marque le 30e anniversaire du Mercredi noir, le jour où la livre sterling a été ignominieusement éjectée du Mécanisme de taux de change européen (MCE). Tous les anniversaires ne donnent pas lieu à des réjouissances, c’est particulièrement vrai pour celui-ci.

Le Mercredi noir fut un «jour de désastre» dont le gouvernement du premier ministre de l’époque, John Major, ne se relèvera pas. C’est ce dernier qui a amené la Grande-Bretagne à intégrer le  MCE en 1990, alors qu’il était ministre des Finances, malgré les objections de Margaret Thatcher, l’obstinée première ministre à ce moment-là.

Major pensait que l’indexation de la livre au deutsche mark allemand permettrait de résoudre les problèmes économiques de la Grande-Bretagne. Elle était supposée «importer en quelque sorte la crédibilité de la politique monétaire allemande et juguler l’inflation chronique de la Grande-Bretagne. L’adoption du modèle économique le plus performant du continent devait relancer la croissance.

C’était évidemment un vœu pieux qui n’a pas apporté comme par magie à la Grande-Bretagne les investissements qu’elle attendait, les opérateurs qualifiés ou les prouesses allemandes en matière d’exportation. Par ailleurs, aussitôt la livre arrimée au deutschemark, l’Allemagne a dû faire face à ses propres difficultés économiques, la République fédérale s’efforçant d’absorber l’ex-Allemagne de l’Est.

Lune de ces difficultés était l’inflation. La Bundesbank a tenté de la maîtriser en augmentant les taux d’intérêt, comme elle en avait l’habitude. La Banque d’Angleterre (BOE, Bank of England) n’a eu d’autre choix que de suivre le mouvement. Dans le cadre du programme du marché unique, les pays européens ont supprimé les derniers contrôles de capitaux. De ce fait, les taux d’intérêt devaient évoluer ensemble, car plus rien n’empêchait les investisseurs d’orienter leurs capitaux vers les pays à taux d’intérêt élevés. Si un pays hésitait à s’aligner sur les taux étrangers, il s’exposait à une fuite des capitaux et à un déluge de ventes de devises.

Le Mercredi noir marquait également la proximité du référendum qui allait se tenir immédiatement après en France sur le Traité de Maastricht, le document fondateur de l’euro.

Le gouvernement Major avait des raisons d’hésiter. L’économie britannique était entrée en récession en 1991, et la hausse des taux d’intérêt a ont encore aggravé la situation. La faiblesse de l’économie a conduit à affaiblir le marché immobilier, avec des prix déjà à la baisse. Dans un pays où les prêts hypothécaires sont à taux variable, la hausse des taux de la BOE a entraîné une augmentation des paiements hypothécaires et un affaiblissement supplémentaire du marché immobilier. Une partie essentielle de l’électorat conservateur, les propriétaires habitant les banlieues aisées, en a fait les frais. Il n’était donc pas nécessaire d’être un grand politique pour comprendre qu’il y avait des limites à ce que Major pouvait faire pour maintenir l’indexation de la livre.

Le vent s’est retourné contre la devise britannique en septembre, lorsque le ministre des Finances de Major, Norman Lamont, et le président de la Bundesbank, Helmut Schlesinger, se sont affrontés verbalement. Enfin, le 15 septembre, Schlesinger a fait quelques remarques à la presse – on pourrait parler de «revanche» – quant à la possibilité de dévaluation de devises, dont la livre. Dès le lendemain matin, il y eut un raz-de-marée de vente de la livre sterling.

Les achats massifs de devises par la BOE n’ont pas réussi à stopper la marée. Le gouvernement Major a augmenté les taux d’intérêt à deux reprises, mais ne voulait pas aller au-delà. Le soir même, il a annulé la deuxième hausse des taux et Lamont a annoncé qu’il suspendait la participation de la livre au MCE. L’échec de la défense de la livre par la BOE lui a coûté plus de 3 milliards de livres (3,5 milliards de dollars) - et a supprimé la pierre angulaire du programme économique de Major.

Les conséquences furent colossales. Pour la Grande-Bretagne, c’était l’abandon définitif du régime de taux de change fixe auquel elle s’était engagée et réengagée depuis 1717. La BOE a dû élaborer une autre politique monétaire. En octobre, adoptant la stratégie inaugurée par la Banque centrale de Nouvelle-Zélande, elle a décidé de cibler un taux d’inflation donné – ce qu’elle continue à faire depuis lors, pour le meilleur ou pour le pire.

Quittant le MCE, le Royaume-Uni ne pouvait rejoindre la zone euro. Au vu de leur expérience récente et douloureuse d’une politique monétaire importée, les responsables britanniques ont considéré que c’était là une conséquence positive de leur politique. La Grande-Bretagne s’est ainsi trouvée avec un pied dans l’Europe et un pied en dehors. Cela a renforcé l’ambivalence du pays à l’égard du projet européen - une ambivalence qui allait basculer dans le rejet avec le référendum sur le Brexit en 2016.

Pour les autres pays européens, cet épisode a mis en évidence l’urgence d’achever la construction de la zone euro. Il a montré que l’indexation des taux de change était fragile, et que laissée à elle-même, la Bundesbank n’adapterait pas sa politique aux besoins européens.

Le Mercredi noir marquait également la proximité du référendum qui allait se tenir immédiatement après en France sur le Traité de Maastricht, le document fondateur de l’euro. Selon les sondages, le Non devait l’emporter – conduisant à la chute de l’euro. Mais quatre jours plus tard, ayant vu à quoi menait l’alternative, les Français ont voté en sa faveur.

En un sens, Major n’aurait-il pris la décision mal inspirée d’introduire la livre dans le MCE, l’euro n’existerait pas. En ce qui concerne le Royaume-Uni, la première ministre Lizz Truss espère sans aucun doute que le 30e anniversaire du Mercredi noir ne sera pas célébré par sa répétition.

 

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

Copyright: Project Syndicate, 2022.

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