La seule certitude, c’est l’incertitude

Cédric Dingens, NS Partners

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Face à l’imprévisibilité actuelle, la gestion alternative retrouve son rôle de protection.

Pour paraphraser Socrate, les marchés financiers nous ont depuis longtemps convaincus qu’il n’y avait guère de certitude en matière d’investissement. Aujourd’hui, avec la guerre qui vient d’éclater en Europe, le spectre de l’inflation, la normalisation tant attendue mais redoutée des politiques monétaires, les derniers (espérons-le) soubresauts de la pandémie, sans oublier l’urgence de la transition énergétique et les goulots d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement, tout concourt pour annoncer la fin de la longue période de vaches grasses qu’ont connue les investisseurs.

La fin de l’argent facile

Il faut dire que depuis plus de 12 ans, ceux-ci ont eu la vie facile. En effet, portés depuis 40 ans par la baisse prolongée des taux d’intérêt, les marchés obligataires ont délivré des rendements spectaculaires. En parallèle, les bourses ont atteint des sommets inédits, avec juste quelques cabrioles pour rappeler qu’il s’agit officiellement d’actifs risqués. Chacun a ainsi pu se prendre pour un expert qui transforme tout ce qu’il touche en or. Mais chacun sait que l’histoire se termine mal pour le roi Midas et on peut craindre que de nombreux acteurs de marchés, qui n’ont connu que cette période dorée, ne doivent bientôt faire face à un cruel rappel à la réalité. Les investisseurs semblent d’ailleurs sentir qu’une épée de Damoclès les menace car, depuis quelques mois, la nervosité a fait son retour, comme le montrent les violentes baisses de cours qui surviennent dès qu’une société publie des résultats même légèrement inférieurs au consensus, comme cela a été le cas pour John Deere ou Amazon.

Les cartes sont rebattues

Face à cette situation, les stratégies qui avaient été délaissées pendant l’explosion des valeurs de croissance et la suprématie de la gestion indicée reviennent sur le devant de la scène. C’est ainsi que les stratégies global macro, qui n’avaient guère brillé en 2021, ont mené le bal en janvier avec des hausses entre +4% et +5%, profitant de la volatilité ambiante pour montrer de quoi elles étaient capables. Elles ont ainsi largement battu le NASDAQ, qui a perdu près de 9.5%, et les stratégies alternatives plus directionnelles. De même, on assiste actuellement à un véritable retour en grâce des titres «value» au détriment des valeurs de croissance, qui avaient été les grands gagnants de la pandémie et surtout de la dernière décennie. De fait, après avoir dû se contenter des seconds rôles pendant 10 ans, les actions ‘value’ ont largement surperformé le segment ‘growth’, aussi bien aux USA qu’en Europe, avec une différence de 10 points de pourcentage depuis le début de l’année.

Les gérants vont devoir se remettre à analyser des entreprises et des bilans pour trouver les sociétés mal valorisées.
La gestion active revient en pleine lumière

Il faut dire que les gérants actifs, aussi bien dans le «long only» que dans les stratégies alternatives, sont par définition flexibles et savent s’adapter rapidement. Libres des contraintes des indices, ils peuvent répondre sans tarder aux changements de situation. Par ailleurs, l’éventail des stratégies alternatives est tellement large qu’il existe toujours des opportunités de trouver des gérants à même de profiter des conditions du moment. C’est bien sûr le cas des fonds «global macro» qui par essence utilisent abondamment de stratégies optionnelles et présentent souvent un profil convexe «long volatilité». Après une décennie de vaches maigres, la remontée des taux et le retournement des conditions de marché pourraient même redonner des couleurs aux gérants «market neutral», capables de bénéficier de la forte dispersion intra-sectorielle. En 2022, il va donc falloir probablement faire preuve de réactivité et les choix sectoriels vont s’avérer cruciaux.

Le retour de la valeur

On l’a vu, le style ‘value’ revient en force, à l’instar de Paul Marshall, le gérant vedette du fonds Eureka de la célèbre firme Marshall Wace, qui, pour la première fois depuis 2011, a désormais une position nette «longue» en titres value et «short» en valeurs de croissance. Les gérants vont donc devoir se remettre à analyser des entreprises et des bilans pour trouver les sociétés mal valorisées. Or, il y a de moins en moins d’analystes financiers au sein des maisons de courtage et banques d’investissement. Rien qu’à Wall Street, il y a en moyenne 24% d’analystes en moins depuis 2013. Les entreprises sont donc moins bien couvertes – une tendance encore plus marquée pour les plus petites valeurs – ce qui rend le marché moins efficient et génère ainsi plus d’opportunités pour les gérants value.

La fin du 60/40?

Quelles sont les conséquences pour l’allocation d’actifs? En premier lieu, il apparaît clairement que le modèle de portefeuille classique 60/40, à savoir 60% en actions et 40% en obligations, qui a donné de bons résultats au cours des 10 dernières années, semble promis à des temps difficiles au cours des 3-5 années à venir. Du fait de la hausse attendue des taux d’intérêt, les placements obligataires apparaissent en effet peu attrayants, avec des baisses de cours à prévoir. Par ailleurs, les marchés actions semblent chèrement évalués et promis à l’avenir à une plus forte volatilité. Dans ces conditions, les stratégies alternatives méritent de retrouver les allocations qui étaient les leurs jusqu’en 2008. Tout d’abord, à travers des stratégies «relative value», intéressantes pour remplacer la part à revenu fixe en raison de la régularité de leur performance, de leur faible volatilité et surtout de leur décorrélation par rapport aux marchés. Ensuite, pour la part actions, via des stratégies de gestion plus actives et orientées value qui semblent plus adaptées à l’environnement actuel, de même que des fonds alternatifs opportunistes de type global macro.

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