La réforme des retraites bâclée de Poutine

Andrei Movchan, Centre Carnegie de Moscou

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La décision de retarder l'âge de la retraite risque de créer des problèmes plus graves que ceux qu'elle entend résoudre.

© Keystone

La Russie moderne n'a jamais eu un bon système de retraite. Elle a hérité de l'Union soviétique des âges de départ à la retraite très précoces (55 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes) – et de maigres ressources pour financer les retraites publiques. Mais la décision actuelle du président Vladimir Poutine et de la Douma (parlement) de retarder l'âge de la retraite ne permettra pas de résoudre le problème. En fait, cette mesure risque de créer des problèmes plus graves que ceux qu'elle entend résoudre.

Depuis 1991, au moins six différentes réformes des retraites ont été mises en place, chacune venant contredire la précédente. Lorsque le gouvernement a tenté de faciliter l'émergence de régimes de retraite privés, les nouveaux véhicules n'ont pas tardé à faire faillite, en raison de fraudes massives. Tout compte fait, les réformes ont eu peu de résultats tangibles.

La cote de popularité de Poutine a chuté d'au moins
une douzaine de points de pourcentage depuis le printemps.

Le fait d'avoir différé l'âge des départs à la retraite – à 60 ans pour les femmes et 65 ans pour les hommes – ressemble à un moyen simple d'aider à combler les insuffisances de financement. Mais cette mesure s'est avérée tout particulièrement impopulaire: la cote de popularité de Poutine a chuté d'au moins une douzaine de points de pourcentage depuis le printemps, un niveau jamais vu depuis 2014 avant l'annexion de la Crimée.

L'opposition populaire en ce sens ne reflète ni une gêne face au changement, ni un refus de travailler. Avec une espérance de vie masculine russe de seulement 67 ans, l'augmentation de l'âge de la retraite à 65 ans, c'est un peu comme prononcer une peine de mort pour les hommes. (Les femmes russes vivent beaucoup plus longtemps – notamment parce qu'elles boivent beaucoup moins d'alcool – et s'en tireront raisonnablement bien, par rapport aux normes mondiales, dans le nouveau système.)

Mais si l'on ne tient pas compte de l'opposition populaire, l'augmentation de l'âge de la retraite aborde la mauvaise question de la mauvaise manière. La réforme vise à alléger la pression sur le budget public, en permettant au gouvernement de réduire les subventions au régime de retraite. Mais alors que le régime de retraite de la Russie connaît une énorme insuffisance de financement, les subventions publiques dans ce domaine s'élèvent à moins de 10 % du total du budget consolidé - moins que la fluctuation causée par les changements des prix du pétrole chaque année. Pour un pays ayant très peu de dettes souveraines, un excédent budgétaire stable et des réserves de devises étrangères qui augmentent de 30 milliards de dollars chaque année, dépenser 30 milliards de dollars de plus pour subventionner les retraites ne devrait pas poser de problème majeur.

Les travailleurs plus jeunes auront plus de difficulté
à trouver un emploi dans de nombreux secteurs.

Ce qui va poser un problème majeur, c'est l'effet sur le marché du travail d'un l'âge de la retraite plus tardif. Si les travailleurs plus âgés conservent leur emploi plus longtemps, les travailleurs plus jeunes auront plus de difficulté à trouver un emploi dans de nombreux secteurs. Pour les entreprises qui préfèrent des employés plus jeunes – par exemple parce qu'elles fonctionnent dans un secteur en évolution rapide ou – il y a peut-être même intérêt à corrompre les inspecteurs du travail, afin d'éviter des sanctions pour discrimination à l'égard des travailleurs plus âgés.

Au lieu de cela, les dirigeants de la Russie devraient reconnaître que le vrai défi auquel leur pays doit faire face est le vieillissement de la population et que l'augmentation de l'âge de la retraite n'est donc qu'un cautère sur une jambe de bois. Après tout, si le régime de retraite doit rester viable en utilisant cette seule approche, l'âge de la retraite devrait augmenter de cinq ans en 2028. Si l'économie russe continue de stagner comme prévu, la fiscalité des retraites (déjà 22% des revenus) devra également augmenter dans cinq ans, pour maintenir des niveaux de financement stables du régime de retraite.

Une approche plus durable pour couvrir le déficit de financement pourrait se concentrer sur l'amélioration de la gestion des régimes de retraite russes, qui, avec plus de 100'000 employés et des milliers de bureaux dans tout le pays, est beaucoup trop coûteuse à gérer. En fait, une bonne partie de l'insuffisance du régime peut être éliminée simplement en rationalisant les opérations et les coûts associés.

L'élite dirigeante russe préfère couper les paiements à des millions
de retraités plutôt que de permettre l'émergence d'un système privé.

Des ressources pourraient également être trouvées en réaffectant des régimes de retraite des «catégories spéciales» de citoyens, tels que les membres des services de sécurité, qui ont actuellement la possibilité de prendre leur retraite à 45 ans. Des représentants de la fonction publique russe n'ont pas seulement le droit de prendre leur retraite plus tôt : ils sont en outre payés 2 à 3 fois plus que les autres citoyens.

Une autre réforme qui pourrait réussir dans la résolution des problèmes des régimes de retraite russes – un système à cotisations définies – qui a été effectivement inaugurée en 2002. En 2009, un système de co-financement a été lancé, dans lequel l'État a fait correspondre les contributions volontaires des individus jusqu'à un certain niveau et pour une période limitée.

Toutefois en 2013, l'expérience du système à cotisations définies a été brutalement interrompue. Bien que la réintroduction d'un tel régime exigerait aujourd'hui un soutien financier de l'État encore plus important, au moins dans un premier temps, à long terme, cela permettrait de créer un développement durable et autonome.

La question évidente est de savoir pourquoi le gouvernement russe est en train de sacrifier l'approbation de l'opinion publique pour poursuivre une réforme inefficace visant simplement à réduire les dépenses de retraite, plutôt que de véritablement mettre le système en place sur une base financière solide. La réponse réside probablement dans l'approche russe de la gouvernance, qui accorde encore une grande place à un contrôle centralisé de style soviétique. L'élite dirigeante russe préfère couper les paiements à des millions de retraités plutôt que de permettre l'émergence d'un système privé permettant aux individus de faire leur propre choix.

Le modèle économique russe du capitalisme de connivence nécessite la dépense d'un volume croissant de fonds dans des méga-projets somptueux qui génèrent d'énormes profits pour une douzaine de familles proches du Kremlin. Il semble que c'est à présent au tour des retraités de faire les sacrifices nécessaires pour financer les appétits de la nouvelle aristocratie. Et parce que l'augmentation de l'âge de la retraite ne sauvera pas les régimes de retraite, ce n'est plus qu'une question de temps avant que le gouvernement n'exige de nouvelles réductions pour continuer de faire plaisir aux amis de Poutine.

Copyright: Project Syndicate, 2018.

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