La Montagne magique – Weekly Note du Credit Suisse au 19 janvier

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

4 minutes de lecture

Situation du monde. Davos. De la zoologie des marchés haussiers et baissiers. Inflation et taux d’intérêt: les «cygnes noirs» de 2018?

1. Situation du monde. Davos.
Récemment, j’ai assisté à une représentation du collectif théâtral Rimini Protokoll au Schauspielhaus de Zurich. Dans sa mise en scène de «Weltzustand Davos» (situation du monde Davos), ce groupe explore les coulisses du World Economic Forum (WEF) de Davos. Ne nous semble-t-il pas que le monde délire parfois et qu’il a besoin d’un sanatorium? Comment naît le progrès durable et comment se manifeste-t-il? Faut-il davantage d’interventions étatiques? Davantage d’initiatives privées? Qui écrit les règles, qui les contrôle? Comment associer le meilleur de l’économie, de la politique, de la science et du secteur privé? Et l’image que le WEF donne de lui-même, à savoir un sanatorium qui veut améliorer la situation du monde, est-elle pertinente ou arrogante? De nombreuses interprétations sont possibles selon les protagonistes qui évoluent sur la scène et sont d’ailleurs tous de vrais décideurs, non des acteurs.

En fin de compte, notre conception du monde en délire
est aussi ancienne que notre histoire culturelle.

Certes la métaphore du sanatorium de Davos et celle du monde qui déraille sont galvaudées. Thomas Mann n’est pas le seul à les avoir développées dans son roman intitulé «La Montagne magique». En fin de compte, notre conception du monde en délire est aussi ancienne que notre histoire culturelle. Elle correspond même à un aspect de notre «condition humaine».
A la fin de la représentation, trois réflexions me sont quand même venues à l’esprit:

  1. Les inquiétudes d’un grand nombre à propos de la situation du monde sont réelles. Nous sommes témoins d’évolutions singulières en matière de technologie, d’environnement, d’économie, de politique ou de société, lesquelles ne sont pas toutes compatibles. A cet égard, le refuge qu’offre le dialogue véritable entre les décideurs est un cadeau qu’il ne faut pas sous-estimer. Ce qui rend le WEF si spécial, c’est que les choses qu’il met en branle sont ensuite souvent rapportées ou discutées dans le monde. Ce phénomène constitue déjà, en autres, un exploit exceptionnel de ce forum, que le Credit Suisse souligne lui aussi dans divers articles et débats.
  2. Aucun pays ni aucune entreprise ne peuvent se permettre de diviser leurs citoyens, leurs clients ou les sociétés sur le long terme. Or, il est évident que la mondialisation a creusé des fossés socio-politiques, lesquels sont également un thème central du WEF de cette année. Je conseille vivement de lire à ce sujet nos analyses concernant les «sociétés en colère» et de tenir compte des suggestions de placement qui y sont liées.
  3. Le fonctionnement de la politique a changé. L’avalanche de nouvelles et de fausses nouvelles (fake news), les rapports complexes et la recherche de réponses simples créent des défis pour lesquels de bons partenariats entre l’Etat, l’économie et la science peuvent se révéler très utiles. Mais cette évolution pose des exigences élevées à tous, et le WEF peut fournir une fois de plus une précieuse plate-forme à cet égard. Dans ce contexte, je recommande de lire l’étude «The Future of Politics» réalisée par le Credit Suisse Research Institute. Elle sera publiée mardi prochain.

2. De la zoologie des marchés haussiers et baissiers
S’il existe encore un ministère des fées et des elfes en Islande, la croyance dans les forces invisibles du monde réel est très faible à l’échelle de la planète. Pourtant, il est évident que la hausse boursière actuelle n’est pas seulement étayée par des faits avérés, mais aussi par une croyance collective en elle. Dans leur bestseller intitulé «Les Esprits animaux», les deux prix Nobel George Akerlof et Robert Shiller expliquent comment des facteurs psychologiques et émotionnels peuvent déclencher des périodes d’essor de l’économie réelle et financière, ainsi que des crises. De même, Keynes a énoncé dans sa «Théorie générale» «qu’une grande partie de nos activités positives relèvent davantage d’un optimisme spontané que d’une espérance mathématique ». Il décrit cet optimisme comme le principal moteur de notre économie: «Lorsque l’instinct animal est réprimé et que l’optimisme spontané est bloqué, l’esprit d’entreprise diminue et meurt – même si la crainte des pertes ne repose pas sur une base plus raisonnée que l’espoir antérieur de réaliser des gains».
Le graphique ci-après présente les «esprits animaux» du moment, c’est-à-dire le nombre d’investisseurs qui, selon les enquêtes menées par la société américaine «Investor Intelligence», se considèrent actuellement comme des «taureaux (bulls)». Avec près de 50% de ces «taureaux», le climat de confiance a rarement été aussi bon depuis trente ans.

Je suis généralement sceptique à l’égard des sondages d’opinion comme celui-ci. Leur méthodologie est souvent fragile et leur interprétation difficile. Selon les circonstances, un consensus du marché peut renforcer des tendances, mais aussi les modifier parfois. Pourtant, l’environnement actuel laisse penser que l’optimisme va continuer de doper la hausse. En effet, des facteurs fondamentaux augmentent la confiance: par exemple, le ratio cours/bénéfice (PER) moyen du S&P 500 se situe actuellement à 18,5, c’est-à-dire presque au même niveau que celui d’il y a un an (17,1). La semaine dernière, j’ai déjà mentionné que la révision des bénéfices à la hausse suggérait un potentiel de progression des valorisations de 20%. J’ai également abordé les primes de risque, la baisse des impôts, la forte croissance dans un contexte de faible inflation et d’autres facteurs. Et surtout, j’ai rappelé qu’il était paradoxal que la pondération des actions dans les portefeuilles des investisseurs soit encore si basse. Or la conjonction de faibles quotes-parts d’actions, de solides données fondamentales et d’un optimisme contagieux pourrait bien allumer un feu d’artifice de surprises en 2018.

3. Inflation et taux d’intérêt: les «cygnes noirs» de 2018?
Au cours des conférences de presse de ce début d’année, j’ai dû répondre à la question d’un possible retour de l’inflation et encore plus souvent à celle de la fin de la politique monétaire accommodante dès que le sujet des risques était abordé. J’ai trois remarques à faire à ce sujet.
Premièrement, d’après mon expérience, les risques dont on parle le plus fréquemment sont rarement les plus menaçants. Deuxièmement, le risque d’inflation reste faible d’un point de vue structurel. L’augmentation cyclique de la demande des consommateurs exerce encore peu de pression sur les prix, en dehors de ceux des matières premières, car des facteurs structurels tels que i) l’e-commerce, ii) l’automatisation, iii) les nouvelles technologies et iv) la mondialisation dans de nombreux secteurs (p. ex. commerce de détail, hôtellerie, gestion de fortune) permettent toujours des gains de productivité, lesquels profitent au final aux consommateurs. Sur les marchés du travail également, les entreprises sont parvenues jusqu’ici à contrer efficacement la pression exercée sur les salaires grâce i) à l’automatisation, ii) aux modèles de travail flexible et iii) à la délocalisation d’activités dans des régions où les salaires sont bas. Qui crée aujourd’hui des emplois, par exemple à Berlin, à Paris ou à Barcelone, sera étonné des compétences élevées, de la diversité et des prétentions salariales modérées des candidats, même dans des secteurs de croissance tels que la technologie.

La hausse modérée visée par la politique monétaire
dans le cas des actions, en particulier des valeurs financières,
réserve davantage de surprises positives que négatives.

Certes, le renchérissement tend à la hausse, et dans le cadre de notre stratégie de placement, nous avons à présent introduit des obligations indexées sur l’inflation afin d’améliorer la diversification des portefeuilles. Mais un regard sur la statistique de l’inflation suisse actualisée cette semaine replace le récent renchérissement dans son contexte. Selon l’Office fédéral de la statistique, le facteur principal sous-tendant cette évolution est la progression des loyers. Bien entendu, l’élévation de longue date des prix immobiliers est notamment imputable à la politique monétaire expansive. Néanmoins, dans nos dernières analyses, nous avons signalé que la hausse des loyers serait suivie par une baisse, car la suroffre de nouveaux logements commence déjà à freiner le renchérissement de la location.

 

Troisièmement, la hausse modérée visée par la politique monétaire dans le cas des actions, en particulier des valeurs financières, réserve davantage de surprises positives que négatives. Deux réflexions simples étayent cette affirmation. En premier lieu, une augmentation modérée des rendements du marché des capitaux procurerait des revenus supplémentaires dans les opérations de bilan traditionnelles. En deuxième lieu, une conjonction de croissance et d’inflation pourrait inciter les investisseurs institutionnels à s’écarter des obligations pour se diriger vers les actions, segment dans lequel ils sont sous-investis. La zone euro en particulier est susceptible de stimuler ce processus, car ses indices boursiers comportent une proportion de valeurs financières supérieure à la moyenne, et l’écart entre la croissance nominale de l’économie et les rendements du marché des capitaux y est le plus grand.
La comparaison ci-dessous entre la hausse «Nifty Fifty» (années 70), celle des valeurs technologiques (années 90) et celle du Japon (années 80) illustre le fait que dans les phases avancées de marchés haussiers tendus, les titres de croissance en particulier (souvent en dépit de la progression des rendements du marché des capitaux) peuvent encore dégager de la valeur et que, par conséquent, les investisseurs ne devraient pas se désengager trop tôt:

 

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