La chute du cours de Nvidia, considérée comme l’une des plus importantes de l’histoire en valeur absolue (près de 600 milliards de dollars), a soudainement braqué les projecteurs sur l’intelligence artificielle (IA). Au coeur de cette secousse, Deepseek, une jeune pousse chinoise fondée en 2023, dont le modèle d’IA générative open source semble réordonner la hiérarchie établie. Pourtant, au-delà du mouvement de panique, l’émergence de Deepseek révèle un nouveau facteur de mise à l’échelle (scaling) pour l’IA, tout en confirmant l’importance des fournisseurs de puces de haute performance.
L’apparition de Deepseek illustre l’industrialisation croissante de l’IA générative. Là où certains centres de recherche occidentaux investissent plusieurs milliards de dollars, cette start-up prouve qu’un projet plus agile peut, avec un ticket d’entrée réduit, atteindre rapidement des performances concurrentielles. Selon IDC, les dépenses des entreprises pour adopter et utiliser l’IA devraient générer 3,5% du PIB mondial d'ici 2030, ajoutant presque 20 milliards de dollars à l'économie mondiale.
Les besoins d’entraînement des modèles et la multiplication des cas d’usage alimentent la demande en processeurs de plus en plus puissants. Bien que Deepseek ait réduit certains coûts marginaux, les datacenters et les infrastructures robustes demeurent essentiels. Ce paradoxe explique la fébrilité boursière. Si l’effet d’annonce entourant Deepseek semble avoir pesé sur le cours de Nvidia, certains observateurs y voient une réaction exagérée, puisque l’adoption croissante de la GenAI continuera de stimuler la demande en matériel spécialisé.
Mais l’arrivée de Deepseek soulève également des questions d’envergure géopolitique: la Chine et les Etats-Unis accentuent leur rivalité technologique. Avec Deepseek, la Chine prouve une nouvelle fois sa capacité à innover rapidement et à proposer des modèles compétitifs, y compris en open source. A plus long terme, le vrai potentiel subsiste sur le fait de pouvoir intégrer ces avancées IA dans un réseau cohérent de services et de produits.
De plus, le timing des déclarations peut prêter à sourire: alors que les administrations Biden puis Trump ont déclaré vouloir restreindre l’accès aux puces IA (notamment à la Chine) et que Trump a annoncé avec fracas son nouveau plan IA Stargate à 500 milliards, Deepseek surprend le marché avec son modèle R1 performant et économique. Tout ceci est une remise en question profonde du modèle économique de l’IA tel que développés depuis plus de 2 ans par les géants américains. Deepseek montre la voie d’une IA peu chère, et surtout open source, cassant encore un peu plus le modèle économique. Côté monétisation, de nombreux centres de recherche se reposaient jusqu’à présent sur la vente de licences et l’ouverture sélective d’API. L’approche open source de Deepseek remet cette stratégie en question, notamment en ce qui concerne le retour sur investissement.
La GenAI suscite un fort engouement, mais elle pose également des défis majeurs en matière de régulation, d’éthique et de logistique, notamment pour l’accès aux puces, la prévention des usages malveillants et l’établissement de normes de confiance. Dans ce contexte, la Suisse doit décider si elle suit un modèle anglo-saxon, privilégiant le libre marché, ou un modèle européen, davantage centré sur la régulation et la préservation des données, tout en prenant en compte l’impact environnemental: selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les datacenters pourraient représenter 10% de la hausse mondiale de la demande d’électricité d’ici 2030.
Dans ce contexte, la capacité des gouvernements et des organisations à anticiper les mutations, à s’adapter aux nouvelles règles du jeu et à concevoir un écosystème résilient tout en gérant leur impact environnemental sera déterminante pour consolider leur position de leader, tant sur leurs marchés qu’à l’échelle mondiale de l’intelligence artificielle.