La fournaise européenne

Thomas Planell, DNCA Invest

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Le gaz, allié de la transition énergétique en Europe s’est retourné contre le continent.

L'Europe avait le plan le plus ambitieux pour en finir avec le fossile. Par le green deal, la voilà rentrée comme par magie dans l'âge d'or des énergies renouvelables: 1 trilliard d'investissements sur 10 ans, un tiers du budget communautaire de la prochaine décennie alloué aux actifs dits durables. 40% du plan de relance pandémique à mobiliser sur des solutions de lutte contre le réchauffement. Pendant cette période, le gaz naturel, moins polluant que le charbon ou le pétrole, moins dangereux que le nucléaire jouerait le rôle d'énergie de transition.

Et puis, sournoisement, ce gaz salvateur est devenu une arme braquée sur la tempe du continent. Avant que la Russie n’exhume cet abîme que nous pensions condamné à jamais - la guerre, sur le sol européen – Poutine avait déjà préparé le terrain de la discorde en réduisant les approvisionnements dès 2020. La nature a fait le reste: la faiblesse du vent du nord a paralysé l'éolien du Royaume-Uni et des plateaux septentrionaux de l'Europe. Conséquence: les réserves de gaz européennes étaient déjà vides avant la guerre.

Voilà donc qu'en Moselle, les fourneaux de la centrale Emile Huchet de Saint Avold sont préparés pour bruler la houille cet hiver. L'Allemagne retarde les décommissionnements, les Pays-Bas relèvent leurs quotas, alors même que Londres (35 degrés) et la France (jusqu'à 40°) brûlent déjà, mettant le parc nucléaire à l'arrêt comme l'éolien il y a huit mois.

La Russie qui prend l’Europe en otage vient de publier un excédent commercial record.

L'avenir paraît sombre pour le continent, tandis qu'il espère le retour des livraisons de gaz russe, il est enfumé par les incendies et la relance des brûleurs de charbon. Mais pendant ce temps, la Russie qui prend l’Europe en otage vient de publier un excédent commercial record. Semblable au boom des années 2000 qui avait permis à Poutine de passer pour le sauveur de l'économie post-socialiste, les exports d'hydrocarbures financent la guerre, renflouent les caisses, propulsent le rouble qui devient 30% trop cher au goût de la banque centrale. Raison pour laquelle les soi-disant soucis techniques ou juridiques de Gazprom font bien les affaires de Moscou, qui aimerait voir la devise se dégonfler un peu. Tant que le rouble restera aussi fort, aucune raison de remettre de la pression dans les turbines de Nord Stream 1: réduire la balance courante par la réduction des exports est le meilleur moyen de ramener la devise sur son taux cible.

L’ouragan approche

D'autres nuages s'amoncèlent au loin. A la manière de chasseurs de tornades, les investisseurs sont en alertes, ils observent l'amoncèlement d'indices qui s'accumulent dans le ciel, de plus en plus sombre et menaçant. Présage inquiétant, la courbe des taux poursuit son mouvement d'inversion. Le spread 3 mois - 10 ans s'est comprimé de 50 points de base supplémentaires en deux semaines. L'écart entre les maturités 2 ans et 10 ans est à présent négatif: il faut remonter à 2000 pour retrouver une telle inversion.

Les investisseurs délaissent la partie à 20 ans de la courbe qui devient illiquide et se focalisent sur le court, où le pilotage des taux directeurs par la Fed produit tous ses effets. L'emploi reste étonnamment fort aux Etats-Unis, les créations de nouveaux postes sont supérieures aux attentes. Certains américains, sclérosés par la hausse des prix en cherchent un deuxième, voire un troisième. D'ailleurs, l'inflation ne montre pas de signes de ralentissement. Elle place la Fed dans la situation incommode où elle doit ajuster les anticipations de hausse de taux qui dérapent sur les marchés.

Les questions entourant les grands enjeux de notre temps restent en suspens et s'amoncèlent.

Après 6 mois chahutés, l'incertitude reste totale. Les questions entourant les grands enjeux de notre temps restent en suspens et s'amoncèlent.

Cette inflation qui n'en finit pas va-t-elle commencer à montrer des signes de ralentissement avec la baisse des matières premières? Ou les éléments dits «core», plus structurels vont-ils prendre le relais et persister, et attiser la grogne sociale qui couve, lentement mais inexorablement?

En Chine la colère murmure, entre une politique zéro COVID qui ne parvient à empêcher la résurgence de foyers infectieux et la répression controversée des emprunteurs lésés par Evergrande qui fait craindre à certains un «moment Lehman chinois». Macao est confiné, le Japon retarde son chèque vacances national eu égards aux 90’000 cas COVID. Dans l'archipel nippon, la grogne est également palpable: le directeur de la BOJ est vivement critiqué par l'opinion publique qui lui reproche une gestion laxiste de l'inflation et un train de vie trop pompeux par rapport au reste de la population. Sans lien direct avec ses reproches, l'assassinat du Premier Ministre dans ce pays de la retenue n'est pas annonciateur de colombes de paix sous nos latitudes plus sanguines.

Contrairement à la météorologie il n’existe pas d'outils fiables pour prévoir les perturbations économiques comme pour anticiper les ouragans. Le FMI a étudié 153 récessions dans 63 pays entre 1992 & 2014: elles n'ont pratiquement jamais été anticipées par ceux dont c'est le travail.

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