L’investissement durable profite de l’engouement des institutionnels

Yves Hulmann

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A fin 2018, les capitaux placés de manière durable en Suisse avaient fait un bond de 83%. L'ESG gagne du terrain selon Sabine Döbeli de SSF.

Sabine Döbeli, directrice de Swiss Sustainable Finance

Un volume multiplié par dix ans en moins de cinq ans. La deuxième moitié de la décennie aura été marquée par un essor spectaculaire des placements durables en Suisse. A fin 2018, pas moins de 716,6 milliards de francs de capitaux étaient gérés selon les principes de l’investissement, contre 390,6 milliards à fin 2017 et comparé à 71,1 milliards en 2014, indique le dernier Rapport sur l’investissement durable en Suisse publié lundi par l’organisation Swiss Sustainable Finance (SSF).

La plus grande partie de la progression observée l’an dernier peut être imputée aux investisseurs institutionnels, observent les auteurs de l’étude qui repose sur les indications fournies par 77 organismes financiers, soit onze de plus qu’en 2017, constitués à la fois par des gérants d’actifs, des banques et des caisses de pension.

Avec un peu plus de 630 milliards de francs (336 milliards en 2017), les acteurs institutionnels détenaient près de neuf dixièmes (88%) des placements durables, comparé à 86,4 milliards du côté des investisseurs privés (54,2 milliards en 2017). Si les banques et les gérants d’actifs gèrent plus du tiers (37%) du total des actifs gérés selon les principes de l’investissement durable, près des deux tiers de ceux-ci sont gérés par des institutionnels eux-mêmes. « Une part substantielle des actifs gérés par les banques et les gérants d’actifs est également entre les mains d’institutions », relève Sabine Döbeli, directrice de SSF. 

Près d’un fonds sur cinq est durable

Autre chiffre qui atteste de l’essor de la durabilité au sein de l’industrie financière : le volume des fonds de placement durables a plus que doublé pour s’établir à 190,9 milliards de francs, représentant désormais 18,3% de l’ensemble du marché des fonds en Suisse. Un an plus tôt, cette part se situait à 9%.

L’intégration ESG est d’abord basée sur une motivation financière.

Quant aux approches d’investissement utilisées par les investisseurs, des changements sont aussi observés. L’an dernier, c’est l’approche dite de l’intégration ESG qui a été la plus utilisée avec 490,4 milliards de francs. Son essor a aussi été porté par le fait que le volume des fonds qui intègrent les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans leur analyse financière a plus que doublé entre 2017 et 2018. Cette approche est suivie par l’exclusion (379 milliards), la sélection basée sur des normes (315,7 milliards) – qui était en tête en 2017 -, puis l’engagement ESG (286,7 milliards).

L’investissement d’impact occupe encore une place de niche

Qu’est-ce qui différencie l’«intégration ESG» de l’«engagement ESG»? Pour Sabine Döbeli, l’intégration ESG est d’abord basée sur une motivation financière. En tenant compte des critères ESG, le gérant veut améliorer son analyse financière et obtenir un meilleur profil risque / rendement avec ses placements. Quant à l’engagement ESG, l’objectif de l’investisseur est ici d’abord de changer les choses. L’investisseur ou gérant cherche à entrer en dialogue avec l’entreprise, soit directement, soit en mandatant une société tierce spécialisée dans cette activité, comme Ethos par exemple.

Plus de la moitié des gérants d’actifs proposent
des produits ayant un lien spécifique avec les ODD.

Si elles s’inscrivent également en progression, d’autres approches, comme celle qui consiste à sélectionner les entreprises avec les meilleures pratiques en matière de durabilité («best-in-class») (89,6 milliards), les fonds thématiques axés sur la durabilité (39,2 milliards) et l’investissement d’impact (16,3 milliards) occupent davantage une niche dans le domaine des placements durables en Suisse.

Les investisseurs plus soucieux du climat

Autre tendance du rapport 2018: les questions liées au climat préoccupent toujours davantage les investisseurs et les fournisseurs de produits. Ainsi, 25 participants à l’enquête proposent des «produits se rapportant spécifiquement au dérèglement climatique», relève SSF. De même, plus de la moitié (51%) des gérants d’actifs proposent des produits ayant un lien spécifique avec les Objectifs de développement durable de l’ONU, contre 38% un an plus tôt.

Quels sont encore les freins à la poursuite de l’essor des placement durables ? Les principales réticences évoquées par les investisseurs se rapportent, dans l’ordre, aux craintes liées à la performance, aux inquiétudes relatives à des coûts plus élevés, puis à l’absence de normes communes. Les craintes liées à un manque de demande pour les placements durables, quatrième inquiétude la plus citée en 2017, n’apparaît désormais plus qu’en cinquième position. Au sujet des coûts, Sabine Döbeli observe certes que l’investissement durable nécessite un travail de recherche supplémentaire par rapport aux placements conventionnels. Toutefois, la directrice de SSF relève qu’il existe désormais aussi des alternatives à plus faibles coûts permettant d’investir dans les placements durables, via des produits indiciels par exemple.

Si les auteurs du rapport ne formulent pas de pronostic pour l’année en cours, ils constatent que les taux de croissance dans le domaine des placements durables ont été «systématiquement sous-estimés» ces dernières années. «La tendance à l’investissement durable s’est accélérée», met en perspective Sabine Döbeli.

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