Le montant de la dette mondiale est passé de 115’900 milliards de dollars en 2007 à un niveau record de 184’000 milliards en 2017, soit 225% du PIB de la planète, selon le FMI.
Les retombées de la crise financière qui a débuté en 2008-2009 sont encore visibles aujourd’hui. Les politiques monétaire et budgétaire expansionnistes qui ont été menées à sa suite ont donné lieu à une injection de liquidités sans précédent dans le système financier, permettant ainsi d’éviter une crise économique. Il y a eu cependant des effets secondaires: le gonflement de la dette des entreprises ainsi que celui du prix des actifs financiers, qui ont engendré à leur tour des tensions sociales et politiques. Alors que la politique monétaire change maintenant de cap, les investisseurs essaient d’anticiper le point de bascule.
Il est difficile de ne pas s’inquiéter des chiffres de l’endettement mondial. Le montant de la dette mondiale est passé de 115’900 milliards de dollars en 2007 à un niveau record de 184’000 milliards en 2017, soit 225% du produit intérieur brut de la planète, selon les dernières estimations du Fonds monétaire international (FMI). Le FMI indique également que ce montant équivaut à 86’000 dollars par personne, soit 2,5 fois le revenu moyen mondial par habitant. Selon des données émanant de McKinsey, l’essentiel de l’augmentation de la dette au cours de la décennie 2007-2017 a concerné la dette publique, la dette des entreprises non financières représentant pour sa part 41% de la hausse. La crainte aujourd’hui, c’est que cet endettement finisse par faire basculer les économies dans une nouvelle récession.
Il convient de rappeler que la croissance mondiale dépend de la dette mondiale. Comme l’illustre l’économie japonaise, l’enjeu fondamental est la capacité d’assurer le service de cette dette.
de la Fed et de la Maison Blanche n’a fait qu’accroître les inquiétudes.
L’augmentation des niveaux de la dette et le ralentissement de la croissance au cours des vingt dernières années ont progressivement réduit la capacité des banques centrales à augmenter les taux d’intérêt. Ainsi, au fil du temps, les taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine (Fed) ont atteint des pics toujours moins élevés, tandis que l’endettement global des États-Unis s’accroissait (voir le graphique 1). Bien que la corrélation ne soit pas parfaite, le graphique indique sans conteste une relation entre endettement élevé, taux bas et croissance faible, qui semble instaurer une «nouvelle normalité».
Lorsque la crise financière a éclaté, les banques centrales ont imprimé de l’argent et abaissé les taux d’intérêt à des niveaux bas ou négatifs, ce qui a eu pour effet de créer des conditions de crédit avantageuses. Ces dernières ont permis aux investisseurs capables d’emprunter d’acheter des actifs à des prix qui semblent élevés dans une perspective historique. Un boom s’en est suivi durant la dernière décennie, marqué par exemple par une augmentation de plus de 350% de l’indice S&P 500.
Emboîtant le pas à la Fed depuis 2015, les banques centrales ont promis d’éliminer progressivement l’excès de liquidités et de normaliser leurs politiques monétaires. Or, la semaine dernière, cette doctrine a connu un changement de cap.
Face à la volatilité des marchés et à la baisse des pressions inflationnistes, la Fed a indiqué qu’elle n’envisageait pas de relever ses taux cette année. Cette annonce a à la fois rassuré les investisseurs, la progression du marché ne courant plus aucun risque d’être étouffée par une hausse prématurée des taux, et les a effrayés, les prévisions de croissance pour 2019 ayant été abaissées de 2,3% à 2,1%. La différence entre les projections de croissance de la Fed et de la Maison Blanche, pour leur part de 3,2%, n’a fait qu’accroître les inquiétudes.
De son côté, la Banque centrale européenne (BCE) a déjà annoncé qu’elle maintiendrait ses taux inchangés pour 2019, abaissé ses prévisions de PIB et relancé ses injections de liquidités.
Au cours de la dernière décennie, les niveaux de la dette publique ont d’abord diminué à la suite de la crise financière, puis ont à nouveau augmenté en raison de la disponibilité de liquidités à bas prix. Du côté des entreprises, la dette détenue par les sociétés non financières a atteint des niveaux record puisque ces dernières ont recouru à du crédit bon marché pour investir dans des projets assez peu rentables. L’augmentation de la dette publique tient notamment au fait que les États ont épongé leur dette privée à la suite de la crise financière.
Alors que nous faisons face aujourd’hui à un niveau d’endettement sans précédent, aucun consensus n’existe parmi les économistes quant au montant maximal de dette publique qui serait sans danger pour une économie, pas plus que sur le moment où cette dette commencerait à saper la croissance du PIB. En effet, certains soutiennent que la dette publique mondiale ne représente pas une menace tant que la croissance économique reste supérieure aux taux d’intérêt des obligations souveraines, puisque les États ne sont alors pas obligés d’augmenter leurs taux d’imposition et peuvent également faire marcher la planche à billets pour financer leurs dépenses.
La dette des ménages, qui a déclenché la crise financière mondiale il y a plus de dix ans aux États-Unis, est maintenant à peu près stabilisée, malgré une décennie de stagnation des salaires au sein des économies développées. L’accroissement des inégalités qui s’en est suivi signifie que si une crise liée à l’endettement des ménages peut engendrer des problèmes sociaux, elle a peu de chances de provoquer une nouvelle crise financière systémique.
Il pourrait en aller différemment de la dette des entreprises. Les prévisions bénéficiaires, qui sont en baisse pour cette année, compliquent les calculs des investisseurs à la veille de la période de publication des résultats du premier trimestre 2019. Cette situation aura en effet inévitablement une incidence négative sur le service de la dette des entreprises.
c’est qu’elle s’est propagée plus largement et plus vite que prévu.
La dette des entreprises serait-elle dès lors le prochain point de bascule? Le problème pourrait venir moins de la quantité de la dette que de sa qualité. La plus grande partie de l’accroissement de la dette des sociétés non financières s’est en effet faite au niveau «BBB», soit l’échelon le moins élevé du segment de la dette de qualité. L’encours de la dette «BBB» à la veille de la crise financière représentait environ un tiers du marché du crédit aux entreprises. Il en compose aujourd’hui plus de la moitié. Les marchés sont ainsi d’autant plus vulnérables à une baisse de la confiance, qui pourrait à son tour dégrader le crédit de qualité le moins bien noté et contraindre de fait de nombreux détenteurs institutionnels à s’en défaire, accroissant la difficulté des entreprises emprunteuses à se refinancer et provoquant au final un effondrement de la valeur du crédit.
L’un des enseignements de la crise financière, c’est qu’elle s’est propagée plus largement et plus vite que prévu. Tandis que les institutions financières ont profité d’un crédit bon marché, qui leur a donné accès à des actifs coûteux, de nombreux consommateurs n’ont pas tiré avantage de l’essor des marchés financiers en raison de leur incapacité à emprunter. Sur le plan social, l’augmentation de la dette et la hausse des prix des actifs ont exacerbé les inégalités, miné la confiance dans le système financier et contribué au développement de l’extrémisme politique et du populisme.
Les marchés s’interrogent donc aujourd’hui sur l’efficacité des remèdes monétaires conventionnels, face aux transformations profondes qui affectent nos sociétés. Il semble de plus en plus probable que les banques centrales devront «réinventer» l’assouplissement quantitatif et créer de nouveaux outils monétaires capables de soutenir les performances financières et d’avoir des retombées sociales positives.