L’art de la déstabilisation

Jean-Christophe Rochat, Banque Heritage

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Trump 2.0: l’Amérique est-elle à l’aube d’une métamorphose, entre ruptures politiques et bouleversements économiques?

 

Un penchant historique pour l’illibéralisme

La tendance à l'illibéralisme n'est pas un phénomène récent aux Etats-Unis. Dès 1830, le Removal Act a entraîné l’expulsion violente des Indiens de leurs terres, marquant un premier tournant autoritaire. L’esclavage, au cœur de l’économie sudiste, a persisté jusqu’en 1865, suivi des lois Jim Crow qui ont perpétué la ségrégation raciale. Parallèlement, l’exclusion des minorités s’est amplifiée, notamment par la loi sur l'immigration de 1924, qui favorisait les Américains blancs au détriment des immigrants non européens. L’histoire a démontré à travers le temps que si les idéaux démocratiques se sont progressivement imposés aux Etats-Unis, l’illibéralisme a longtemps façonné l’histoire américaine.

Trump, leader messianique

Trump incarne parfaitement l’évolution illibérale de la société où l’imprévisibilité et l’intimidation dominent la scène politique. Il excelle dans l'invective, comme lorsqu’il qualifie ses adversaires de «fake news» ou attaque ses détracteurs avec véhémence sur les réseaux sociaux. Cette stratégie de confrontation, bien qu'acerbe, lui permet de galvaniser une large base populaire tout en divisant le pays. Lors de son second mandat, restera-t-il motivé par l’unique idée de revanche contre ses ennemis, comme en témoignent ses tentatives d’annuler les résultats de l’élection de 2020, ou cherchera-t-il à «drainer le marais», slogan emblématique de sa campagne qui traduit son désir de renverser un système politique qu'il juge corrompu et dominé par les élites? Le doute persiste, car son parcours est marqué par une constante imprévisibilité.

Casting explosif

Trump 1.0, lors de son premier mandat, s’était entouré de figures idéologiques principalement issues du néo-conservatisme, souvent imposées par le Parti républicain et peu expérimentées dans la gestion directe du pouvoir. Cela a conduit à une série d’échecs institutionnels, de volte-face et de décisions contradictoires, notamment sur des sujets complexes comme la politique étrangère. L’incapacité à concrétiser certaines de ses promesses, comme la construction du mur à la frontière ou la réforme de la santé, a souligné cette fragilité organisationnelle et cette déconnexion entre ses ambitions et la réalité politique.

En consolidant un réseau de leaders du privé, Trump renforce sa crédibilité en tant que président capable de naviguer dans le monde des affaires et de mettre en place des réformes à grande échelle.

Trump 2.0 semble se profiler différemment. Cette fois, il attire des figures influentes du secteur technologique et financier, comme Elon Musk, Vivek Ramaswamy, Jim Bessent ou même Marco Rubio, en grande partie grâce à des incitations fiscales et des réformes réglementaires qui favorisent les grandes entreprises et les investisseurs. En consolidant un réseau de leaders du privé, Trump renforce sa crédibilité en tant que président capable de naviguer dans le monde des affaires et de mettre en place des réformes à grande échelle. Ces nouveaux alliés lui sont loyaux, partagent une vision commune et semblent prêts à ignorer les conflits d’intérêts, en concentrant leurs efforts sur des actions rapides et déterminées. Cette approche, plus technocratique et pragmatique, contrastant avec le style chaotique de son premier mandat, pourrait lui permettre de surmonter les obstacles institutionnels et de conduire des réformes profondes.

Cependant, certaines personnalités de son équipe, comme Robert F. Kennedy Jr., Pete Hegseth, John Ratcliffe et Linda McMahon, souvent controversées et contestées, pourraient subir les fourches caudines du Congrès. Le processus d’approbation s’annonce mouvementé et il donnera de premières indications importantes sur l’orientation concrète du mandat. Le prologue de cette phase politique, qui s’étendra jusqu’au 21 janvier, continuera de passionner les marchés et d’offrir son lot de surprises.

En fin de compte, la victoire totale de Trump et des Républicains leur assurera, dès le printemps 2025, la possibilité d’imposer leurs orientations et leur programme avec un minimum de frottements. On s’oriente sûrement vers une réorganisation brutale et profonde de la politique américaine, marquée par une rupture nette avec l’establishment traditionnel, dont Trump cherche à se défaire.

Ambivalence de la politique économique

Parmi les principaux axes de la politique de Trump, certains présentent des risques récessifs, comme la réduction substantielle de l’appareil d’Etat, la refonte du système de santé, le renvoi des immigrés illégaux et l’instauration de tarifs douaniers élevés. La dérégulation, quant-à-elle, est vue comme favorable à la croissance. L’impact inflationniste des droits de douane demeure un sujet complexe et débattu parmi les économistes. La hausse du dollar américain, la baisse des prix par les exportateurs (afin de maintenir leur part de marché) et la réduction des marges des importateurs pourraient modérer cet effet. Cependant, les augmentations prévues par Trump risquent d’entraîner des hausses de prix pour les consommateurs, et cela pourrait être exacerbé en cas de rétorsion commerciale.

Dès le premier trimestre 2025, l’abondance de liquidités, les efforts mondiaux en faveur de la reflation et un contrôle maîtrisé de l'inflation devraient soutenir les marchés financiers. Mais à plus long terme, la mise en œuvre des grandes mesures de Trump 2.0, ainsi que leur intensité pourraient jouer un rôle clé dans l’évolution de l’inflation, la croissance et la politique monétaire des Etats-Unis. 

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