L’Armageddon anti-inflation terrorise les marchés

Thomas Planell, DNCA Invest

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Jusqu'à présent, les banques centrales ont tiré à blanc. Rétroprojecteur sur les mésaventures de Paul Volcker pour savoir ce que Jerome Powell risque d’endurer.

Les marchés ont-ils vendu la peau de l'inflation avant de l'avoir tuée? C'est fort possible: malgré la baisse du pétrole, la hausse des prix continue de surprendre. En dépit de la remontée des taux, le marché de l'emploi ne faiblit pas aux Etats-Unis. Il soutient la consommation qui, à son tour, nourrit l'inflation – celle tenace et dangereuse, qu'on appelle «core». Un casse-tête pour Jerome Powell qui connaît le parcours semé d'embuches de Paul Volcker et sait que le plus dur l'attend…

Combattre le feu par le feu

En mai 1980, le taux de chômage remonte de 1% sous l'effet de la hausse des taux. La pression sociale et politique devient insoutenable: le président de la Réserve fédérale cède. Il fait machine arrière alors que l'inflation culmine à 15%. Erreur stratégique: les attentes d'inflation dérapent, la hausse des prix ne faiblit pas.

L'embrasement continue, l'eau n'a pas suffi, l'asphyxie est sans effet. Dos au mur, Paul Volcker n'a plus qu'une solution: l'explosion. Il sature l’espace en oxygène: il porte les taux à 20%. Noyé d'air pur, le brasier se fait déflagration, si forte, (la récession qui s'ensuit, en 1981, est l'une des plus violentes) qu'il n'a plus rien à brûler. La déflagration a tout consumé, air autant que carbone. L'inflation chute avec la contraction économique. Privé d'oxygène et de combustible, l'incendie est éteint mais l’édifice est dévasté.

Si l'on compare la politique monétaire à une arme: les taux sont la poudre à canon. Le sabot est la récession, le chômage en est l'ogive.

Il ne faut pas croire que les taux directeurs à eux seuls garantissent la fin de l'inflation. Si l'on compare la politique monétaire à une arme: les taux sont la poudre à canon. Le sabot est la récession, le chômage en est l'ogive. C'est en combinant les trois qu'on frappe la cible.

Jusqu'à présent, les banques centrales ont tiré à blanc. Quoique forte, la hausse des taux a été un coup de semonce relativement indolore pour l'économie, une manœuvre d'intimidation telle que celles que pratiquent les Mig ou les Sukhoi russes en mer baltique, visant à contraindre l'économie à atterrir en douceur.

Mais les chiffres de cette semaine ont montré qu'il allait désormais falloir tirer à balle réelle.

Selon Olivier Blanchard, le seuil du taux de chômage à partir duquel l'inflation cesse de progresser (le fameux NAIRU pour «non accelerating inflation rate of unemployement») est désormais de 5% aux Etats-Unis, en raison de l'écart historique entre l'excès d'offre d'emploi par rapport à la demande (plus de 5 millions). D'après l'ex-économiste en chef du FMI, afin que la Fed l’emporte sur l’inflation, il faudrait que le chômage (3,6% actuellement) atteigne au moins 6%.

Les investisseurs réalisent désormais que les banques centrales pourraient s’en remettre à cet Armageddon anti-inflation. Ils risquent donc de devoir rehausser leurs anticipations de taux terminaux (attendus aujourd’hui pour fin 2022 autour de 2,5% pour la BCE et entre 4 à 5% pour la Fed) tout en réduisant davantage leurs attentes bénéficiaires. Au fur et à mesure de la prise de conscience d’un scénario récessif sévère, on assistera à une remontée paradoxale de la valorisation des actions alors même que les anticipations des bénéfices se dégraderont, induisant une hausse de la prime de risque. C’est le phénomène dit de «Molodovsky» que l’on observe souvent alors que l’on se rapproche du véritable point bas d’un marché baissier.

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