L’agritech, une nouvelle frontière

Ignace de Coene, DPAM

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Le «zéro émission nette» ne sera atteint que si l’agriculture s’y engage résolument. Aux investisseurs de l’accompagner!

L’agriculture et la production de nourriture sont depuis longtemps portées par l’innovation. Ainsi, le procédé Haber-Bosch a permis d’industrialiser la production d’engrais azotés à partir de 1913, ce qui «selon certains auteurs permet aujourd’hui de nourrir plus de 3 milliards de personnes et contribue donc à la sécurité alimentaire de nombreux pays». Depuis quelques années, le rythme de l’innovation s’accélère et compte tenu du fait que, parallèlement à une demande croissante de nourriture des facteurs externes (climat et biodiversité) doivent être pris en compte, la technologie devrait rester un thème d’investissement important.

Par le passé, l’accroissement de la production de nourriture se faisait essentiellement en augmentant les intrants (terre, engrais et autres). Aujourd’hui, la contrainte climatique exige de l’industrie agroalimentaire qu’elle réduise les ressources qu’elle utilise. Comme l’a fait observer la Commission européenne dans le cadre de sa stratégie «de la ferme à la table», l’augmentation de la productivité peut emprunter deux voies, l’une est la simple augmentation de la productivité, l’autre la réduction des pertes et du gaspillage des denrées alimentaires.

Une innovation tous azimuts

On pense généralement que l’agritech se limite aux robots et aux machines alors que son potentiel va bien au-delà. Le changement climatique va remettre en question la production de certaines céréales (raréfaction de l’eau), d’où l’importance d’améliorer génétiquement leur résistance à la sécheresse et d’adapter les plantations céréalières au climat. Si, dans un passé récent, agriculteurs et consommateurs n’ont guère bénéficié de l’innovation (en particulier les OGM qui ont surtout profité aux grands semenciers et entreprises agrochimiques), il faut espérer que cela changera à l’avenir. 

Faute d’un changement radical des habitudes de consommation, la technologie et l’innovation sont les seuls moyens de réduire significativement l’impact de l’agriculture sur l’environnement.

L’adoption rapide de l’innovation passe nécessairement par son acceptation par l’agriculteur et le consommateur. Or, les agriculteurs, en particulier en Europe, se sentent mis sous pression par les nouvelles réglementations, ce qui signifie que l’innovation doit leur procurer un avantage économique. See & Spray, mis au point par Deere, illustre bien ceci. Ce système de pulvérisation intelligent qui cible spécifiquement les mauvaises herbes permet de réduire de 60 à 70% l’utilisation d’herbicides. C’est donc un investissement rentable pour l’agriculteur qui voit sa facture d’herbicide diminuer. Par ailleurs, cet investissement bénéficie également à la biodiversité (utilisation moindre d’herbicides) et au consommateur (moins de risques liés aux résidus dans le produit fini).

Les incontournables de l’agritech

L’investissement dans l’agritech devrait rester un thème intéressant. Mais, pour réussir à s’implanter, les nouvelles technologies devront posséder certains attributs : elles devront être accessibles sur le plan des coûts, rentables (retour sur investissement intéressant grâce aux économies qu’elles permettent de réaliser ou aux recettes supplémentaires qu’elles apportent) et modulables (applicables à grande échelle). Les nouvelles technologies sont nombreuses, mais toutes ne parviennent pas jusqu’à la commercialisation à grande échelle. Ainsi l’agriculture verticale (culture de légumes dans des entrepôts fermés éclairés artificiellement) n’a pas tenu ses promesses, l’avalanche des coûts d’investissement et de fonctionnement ayant mis ce type de structures en péril.

Le but de l’agriculture 4.0 n’est pas seulement de maximiser la productivité, mais aussi d’assurer sa durabilité sur le plan environnemental. Peut-on alors considérer ce type d’agriculture comme un investissement répondant aux critères ESG? Faute d’un changement radical des habitudes de consommation, la technologie et l’innovation sont les seuls moyens de réduire significativement l’impact de l’agriculture sur l’environnement. Pris dans son intégralité, le système agroalimentaire serait responsable d’environ 30% des émissions de gaz à effet de serre. Par conséquent, l’objectif du «zéro émission nette» ne pourra être atteint que si l’agriculture s’y engage de manière conséquente. Et outre la responsabilité directe du secteur sur le plan des émissions, il convient d’ajouter la pression indirecte qu’il exerce sur l’environnement (déforestation, réduction de la biodiversité) et sur la santé des consommateurs (qualité de l’alimentation, problématiques de santé telles que l’obésité).

La preuve par le boeuf

Bon nombre de ces éléments sont d’ailleurs étroitement liés. Prenons la production de viande bovine : cette production est de loin celle qui a plus d’impact sur l’environnement tant son ratio de conversion (quantité d’aliments utilisés pour produire un kilo de viande comestible) est bas. Or, le fait de devoir produire d’importantes quantités de fourrage signifie qu’il faut consacrer davantage de terres arables à la culture de soja et de maïs, ce qui pousse à la déforestation, à une utilisation accrue de pesticides ainsi qu’à une augmentation des émissions directes émanant des troupeaux (le méthane que produit leur digestion étant le gaz qui a l’impact le plus marqué).

Tant que la consommation de bœuf augmente (du fait de la demande des consommateurs), la solution la plus efficace pour réduire l’impact du système de production agroalimentaire est, dans un premier temps, le recours à la technologie.

Tant que la consommation de bœuf augmente (du fait de la demande des consommateurs), la solution la plus efficace pour réduire l’impact du système de production agroalimentaire est, dans un premier temps, le recours à la technologie. Viendront ensuite des solutions plus innovantes et plus efficientes sur le plan des coûts telles que la viande cultivée et l’évolution de la consommation vers des régimes moins carnés, notamment en viande de bœuf. Pour ce qui concerne la technologie qui peut être utilisée pour la production de viande de bœuf, elle porte sur l’amélioration des semences pour le fourrage ainsi que sur l’utilisation d’équipements plus sophistiqués. 

Une seconde approche consiste à agir directement sur la production bovine au travers de la sélection des animaux sur le plan génétique, des additifs alimentaires qui permettent d’améliorer le ratio de conversion et de diminuer les émissions de méthane ainsi que des conservateurs naturels (réduction des déchets). Ainsi le Bovaer, additif élaboré par DSM-Firmenich, permet de réduire d’au moins 30% les émissions de méthane provenant de la digestion des ruminants. Le méthane étant beaucoup plus polluant que le CO2, cet additif représente un moyen idéal pour avoir un impact immédiat sur la production actuelle. Cet avantage a sans doute contribué à la constitution de l’alliance méthane (Dairy Methane Action Alliance) par six des plus gros producteurs laitiers lors de la COP28. Ils se sont ainsi engagés à publier un plan d’action concret de réduction des émissions de méthane dans la production laitière.

Différencier par la qualité et l’innovation

En Europe, la tâche des personnes actives dans le secteur primaire et en particulier celle des agriculteurs est loin d’être facile. La réglementation qui se renforce dans divers domaines se traduit par une augmentation des coûts et par la nécessité de procéder à de nouveaux investissements. Cependant, au vu de l’impossibilité de répercuter ces coûts supplémentaires sur les prix de vente, il devient difficile pour les acteurs du primaire de parvenir à trouver un certain équilibre. 

A l’instar d’autres secteurs, l’Europe n’affiche pas les coûts les plus bas en matière de production alimentaire. Cette situation résulte de règles plus strictes ainsi que de coûts plus élevés, notamment en ce qui concerne les terrains et la main-d’œuvre. La différenciation avec les produits importés peut se faire au niveau de la qualité (une qualité plus élevée permettant en général de pratiquer des prix plus élevés) ou de l’innovation (baisse possible des coûts grâce à l’automatisation ou à l’agriculture de précision qui permet de réduire les intrants).

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