L’été meurtrier

Emmanuel Ferry, Banque Pâris Bertrand

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Les banques centrales vont rapidement être à court de moyens, justifiant le retour durable des mesures de l’Etat.

L’inflexion monétaire globale menée par la Fed en début d’année s’est récemment transformée en mouvement de panique avec une course vers les taux d’intérêt les plus bas sur l’ensemble de la planète. La décision surprise de la banque centrale de Nouvelle-Zélande de réduire son taux directeur de 50pb à 1% avec un biais accommodant est une réponse en mode «whatever it takes» à la dévaluation de fait du Renminbi de 3% en juillet, portant la baisse cumulée à -11% depuis le printemps 2018. Au même moment, d’autres banques centrales en Asie ont suivi ce mouvement, comme la Thaïlande et l’Inde. La détérioration des conditions économiques, la chute des anticipations d’inflation et la montée des incertitudes politiques sont les facteurs mis en avant pour justifier cette accélération de la détente monétaire. Toutefois, il ne fait aucun doute que cette course à la baisse a pour but d’éviter de subir un resserrement des conditions financières via l’appréciation du taux de change. C’est donc un contexte similaire à celui qui prévalait en août 2015 lors de la dévaluation surprise de la monnaie chinoise (-3%).

Les anticipations de baisse des taux
de la Fed deviennent très agressives.

La guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine s’est donc intensifiée, augmentant le risque de récession globale, mais elle se diffuse désormais en guerre des changes. C’est donc une panique monétaire qui prévaut, susceptible d’enclencher un cercle vicieux macro-financier. Les devises émergentes sont dès lors sous pression (-4% depuis la mi-juillet), les monnaies à faible rendement s’apprécient (JPY, CHF, EUR) et les rendements obligataires s’enfoncent de manière abyssale. Les courbes de taux d’intérêt ont repris une trajectoire d’aplatissement, conduisant à une généralisation de l’inversion des courbes de taux, notamment aux Etats-Unis (75% de la courbe, un niveau comparable à 2000 et 2007), ce qui a pour effet d’ancrer les anticipations de récession et de diffuser des pressions déflationnistes. Les anticipations de baisse des taux de la Fed deviennent très agressives: -50pb à -75pb d’ici la fin de l’année, avec un taux objectif des Fed Funds attendu à 1,50% contre un précédent pic à 2,50%. Comme on a pu le voir lors du dernier FOMC de fin juillet, la Fed doit délivrer les anticipations de marchés pour ne pas décevoir. C’est tout le complexe obligataire qui décroche. L’encours de dette à taux négatifs augmente: USD 15T, soit 25% du stock de dette Investment Grade, le segment du high yield commence à être touché par les taux négatifs, le stock de dette à taux négatif corrigé de l’inflation représente plus de USD 30T, le taux allemand à 30 ans allemand est passé en négatif et le prix de l’obligation à 100 ans émise par l’Autriche a connu une appréciation de 80% en 12 mois (taux actuel est désormais de 0,8%), ce qui ressemble à un «dot.com moment» pour la bulle obligataire actuelle.

Cette «Japonisation» inquiète
car elle rappelle la Grande Dépression des années 30.

Cet effondrement des taux d’intérêt reflète une déficience structurelle de la demande, un excès d’épargne et un excès d’aversion au risque. Cette «Japonisation» inquiète car elle rappelle la Grande Dépression des années 30. C’est un système dysfonctionnel dont on ne sort pas généralement avant plusieurs décennies. C’est donc sans surprise qu’on commence à évoquer l’hypothèse de taux négatifs aux Etats-Unis (1,75% actuellement pour le 10 ans). C’est une véritable «dystopie monétaire» pour l’épargnant, dans le sens d’une utopie fondée sur de mauvais principes. Il y a bien sûr des échappatoires, comme l’or, la diversification, les actifs réels et les sociétés qui paient un dividende soutenable et en croissance. Mais les banques centrales vont rapidement être à court de moyens, justifiant le retour durable de l’Etat (recours à la dette et au protectionnisme). C’est un nouveau terrain pour l’investisseur, qui devra tenter de s’adapter en dehors des règles du jeu du monde d’avant.

Les prochaines échéances importantes en septembre sont le FOMC, le meeting de la BCE et le prochain round de négociations commerciales entre les Etats-Unis et la Chine.

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