Inflation salariale aux Etats-Unis, un marché du travail plus tendu qu’il n’y parait

François Rimeu, La Française AM

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Pourquoi 5 millions de personnes restent elles en dehors du marché du travail alors même que les entreprises déclarent avoir de très grandes difficultés à recruter?

La crise du Covid-19 est exceptionnelle à plus d’un titre et son impact sur le marché de l’emploi américain l’est tout autant. En effet, depuis le début de cette crise, le nombre de personnes employées aux Etats-Unis est estimé avoir baissé de plus de 5 millions de personnes (source Fed de St Louis) avec comme conséquence une baisse du taux de participation, celui-ci passant de 63% environ avant la crise à 61,5% aujourd’hui. Pour autant, cela n’empêche pas l’inflation salariale d’augmenter si on en croit les indicateurs analysés par la Réserve Fédérale. La Réserve Fédérale d’Atlanta estime par exemple que le rythme d’augmentation des salaires est aujourd’hui de 4,2%, soit le niveau le plus élevé depuis 2007. «L’employment cost index» publié par le «Bureau of Labor Statistics» estime lui l’inflation salariale à 2,9% à fin juin, là encore un niveau que nous n’avions plus connu depuis 2008, et nul doute que ce chiffre sera revu à la hausse à fin septembre lors de la prochaine mise à jour.

Pourquoi cette dichotomie? Pourquoi 5 millions de personnes restent elles en dehors du marché du travail alors même que les entreprises déclarent avoir de très grandes difficultés à recruter? Difficultés de recrutement qui se vérifient par ailleurs dans le rapport JOLTS publié par le «bureau of Labor statistics» avec 10,4 millions de postes ouverts non pourvus, soit un niveau jamais atteint dans le passé.

Différentes raisons sont avancées pour expliquer ce phénomène: impact des plans de soutien à l’emploi très importants aux Etats-Unis (plans qui se sont arrêtés en septembre pour la plupart), difficultés à trouver des gardes d’enfants alors que certaines écoles demeuraient fermées ou encore exclusion d’une partie des travailleurs ne voulant pas se faire vacciner. Ces phénomènes sont réels mais devraient, pour la plupart, se normaliser graduellement. Il existe une autre raison, plus structurelle, concernant le nombre de personnes parties à la retraite de manière anticipée. La Réserve Fédérale de St Louis estime en effet à 3 millions le nombre de personnes parties à la retraite de manière plus rapide que prévu par les courbes démographiques, ce qui est confirmé par les taux de participation par tranche d’âge.

Conséquence? Un marché du travail plus tendu que ce que laisse imaginer les 5 millions de personnes manquantes et une inflation salariale qui devrait continuer à progresser tant que l’économie américaine continue à croitre au-dessus de sa croissance potentielle, ce qui devrait être le cas jusqu’en fin d’année 2022 à minima.

La Réserve Fédérale Américaine se retrouve donc dans la situation suivante:

  • Une croissance américaine forte, attendue à 5,7% en 2021 et 4% en 2022
  • Une inflation au-delà de l’objectif avec autour de 4% d’inflation en moyenne sur 2021 et 2022 toute chose égale par ailleurs. Nous sommes de plus dans la phase d’inflation la plus forte puisque l’on devrait rester au-dessus de 5% d’inflation jusqu’en avril 2022.
  • Un marché du travail tendu et sans doute plus tendu que ce que la Réserve Fédérale estimait il y a encore quelques mois.

Il est donc probable que la Réserve Fédérale continuera à durcir progressivement sa politique monétaire dans les mois qui viennent. L’annonce du «tapering» en Novembre est maintenant quasi certaine et les prochains «dots» publiés en décembre devraient aller dans le sens de hausses de taux plus nombreuses que ce qui était indiqué lors de la dernière réunion de septembre. Dans ce contexte, nous devrions assister à une poursuite du mouvement enclenché depuis maintenant plusieurs mois, à savoir une hausse des parties courtes de courbe aux Etats-Unis. Il existe d’ailleurs un risque de voir la Réserve Fédérale Américaine paniquer en surprenant le marché avec un «tapering» et / ou un calendrier de hausses de taux plus rapides que prévus.

Corolaire de ce mouvement, les taux réels devraient eux aussi graduellement se normaliser (tout en restant historiquement bas) et l’ensemble de la sphère obligataire en dollar devrait continuer à afficher des performances au mieux étales à horizon fin d’année. Le dollar devrait lui logiquement rester soutenu même si ce mouvement d’appréciation est déjà entamé et le positionnement de marché déjà assez marqué.

La sphère émergente pourrait rester sous pression dans un contexte de normalisation monétaire et de hausse du dollar, même si les niveaux de valorisation, le positionnement des investisseurs assez faible et l’amélioration macro-économique (en lien avec des vaccinations qui accélèrent) devraient lui permettre de résister correctement.

L’impact sur les marchés actions dépendra de la vitesse de normalisation des taux réels. Toutefois, il nous semble qu’étant donné leur très faible niveau, les taux réels peuvent entamer leur hausse sans traumatiser les marchés actions.

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