Inflation: partie pour durer

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Selon Florian Roger d’Exane, la hausse des prix est soutenue non seulement par les cours des matières premières mais aussi par les revendications salariales.

L’évolution de la pandémie et le ralentissement de l’activité industrielle en Chine restent deux facteurs d’incertitude importants à l’approche du début du quatrième trimestre. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que la reprise de l’économie reste robuste à la fois aux Etats-Unis et en Europe, avec un momentum économique jugé plus favorable sur le Vieux-Continent où les pressions sur les prix sont un peu moins fortes qu’aux Etats-Unis. En ce qui concerne la pandémie, les risques de retour à des mesures de confinement s’éloignent peu à peu, au fur et à mesure que les campagnes de vaccination se poursuivent à travers le monde. Une comparaison des changements adoptés en matière de mesures sanitaires dans les principales économies mondiales durant le troisième trimestre montre qu’il y a eu récemment davantage de pays qui ont assoupli leurs mesures que ceux qui les ont renforcés, a relevé Exane Solutions lors de présentation de ses perspectives pour les marchés.

Sur le plan conjoncturel, la principale ombre au tableau se situe au niveau de la détérioration des perspectives de croissance pour le troisième trimestre aux Etats-Unis. En l’espace d’un mois, la Réserve fédérale d’Atlanta a fortement revu à la baisse sa prévision de croissance du PIB pour le troisième trimestre, révisée à 3,7% début septembre comparé à 6,3% début août. Malgré tout, la reprise économique devrait continuer de bénéficier de la politique monétaire très accommodante menée des banques centrales des deux côtés de l’Atlantique, en attendant que les mesures de type budgétaires prennent le relais.

«Ensemble, la pression induite par la hausse des prix des matières premières et celle due aux demandes d’augmentations salariales, créée un cocktail magique pour avoir, à terme, de l’inflation.»
Le pic d’inflation n’a pas encore été atteint aux Etats-Unis

Dans ce contexte, l’inflation apparaît néanmoins toujours comme le grain de sable susceptible de gripper la mécanique de la reprise en cours. L’attention des marchés se concentre sur les Etats-Unis, où l’inflation totale a atteint 5,4% en juillet dernier, son plus haut niveau depuis août 2008. Même si l’on ne tient compte que de l’inflation de base hors prix de l’alimentation et de l’énergie (inflation «core»), le renchérissement a atteint 3,4% en rythme annuel en juillet. Et le pic n’a pas encore été atteint, estime Exane Solutions qui prévoit une inflation totale qui devrait se rapprocher des 6% en fin d’année, tandis que la partie «core» devrait avoisiner les 5%, avant de redescendre graduellement l’an prochain. «Compte tenu des effets de base et des tensions sur les prix des biens durables, nous pensons que l’inflation va s’accélérer à nouveau au quatrième trimestre 2021 aux Etats-Unis pour atteindre un pic à 5,7%, au-dessus des estimations du consensus. Ensuite, il est probable qu’elle diminue plus graduellement qu’attendu, avec une inflation «core» qui continuera de se maintenir au-dessus de 2,5% au cours des deux prochaines années», met en perspective Florian Roger, responsable de la stratégie et de la recherche chez Exane Solutions qui s’exprimait dans le cadre d’une présentation aux investisseurs à la mi-septembre à Genève.

Europe: un «cocktail magique» pour l’inflation

Sur le Vieux-Continent, on est certes loin de telles hausses de prix. Exane Solutions anticipe néanmoins une inflation plus élevée pour la zone euro pour cette année et l’an prochain que ne le prévoit la Banque centrale européenne (BCE). Après une hausse des prix qui devrait s’établir à 2,2% dans la zone euro cette année, l’inflation devrait se maintenir à 1,7% en 2022, puis à 1,4% en 2023, anticipe Exane, rejoignant ici les attentes de la BCE. En outre, l’inflation de base se maintiendra aussi à un niveau dans la zone euro: après une hausse de 1,2% estimée pour cette année, elle devrait se situer à 1,3% en 2022 puis à 1,4% en 2023.

«L’inflation n’est pas due uniquement à la hausse des prix des matières premières. Des facteurs politiques peuvent aussi contribuer à entraîner une hausse des salaires. En France, il y a des demandes d’augmentation des salaires administrés en perspective de l’élection présidentielle de 2022. En Allemagne, les Verts, qui vont certainement participer à la constitution d’une coalition compte tenu des derniers sondages, exigent une hausse de 25% du salaire horaire minimal qui passerait de 9,5 euros actuellement à 12 euros», observe l’expert. «Ensemble, la pression induite par la hausse des prix des matières premières et celle due aux demandes d’augmentations salariales, créée un cocktail magique pour avoir, à terme, de l’inflation», estime-t-il. «Le pic d’inflation est encore devant nous. L’inflation ne va pas redescendre si vite, alors que les prix des matières premières vont connaître de nouvelles vagues haussières, surtout si des plans d’investissement sont adoptés par les États. En 2022, on verra que l’inflation n’est pas que temporaire. On voit déjà les premiers effets de cette tendance», conclut l’expert. Pour autant, aussi longtemps que l’inflation ne se rapproche pas du seuil des 2%, la BCE renoncera à resserrer ses conditions monétaires afin de continuer à soutenir la reprise en cours.

«On peut s’attendre à ce que les taux des bons du Trésor à 10 ans remontent aux environs de 1,60% à 1,70% d’ici à décembre 2021».
Remontée des taux des emprunts d’Etat américains à 10 ans à plus de 1,6% attendue d’ici décembre

Quel sera l’impact sur les marchés d’un tel contexte économique ? Du côté obligataire, la rechute des rendements des emprunts d’Etat américain à 10 ans cet été, retombés à un peu plus de 1,3% actuellement après 1,7% fin mars, ne devrait être que temporaire. «On peut s’attendre à ce que les taux des bons du Trésor à 10 ans remontent aux environs de 1,60% à 1,70% d’ici à décembre 2021», anticipe Florian Roger.

Bien que partant d’un niveau beaucoup plus bas, la tendance devrait être la même sur le Vieux Continent. «En Europe, nous attendons également une remontée de taux dont l’ampleur dépendra des résultats des élections en Allemagne. La hausse des taux devrait de toute manière être moins prononcée qu’aux États-Unis, ce qui plaide pour une légère hausse du dollar», poursuit-il.

Les mesures budgétaires prendront le relais de la politique monétaire

Du côté des actions, les révisions à la hausse des estimations de bénéfices ont eu une influence décisive sur la performance des marchés des actions cette année. Ces révisions ont été particulièrement marquées aux Etats-Unis et en Europe. L’évolution de la trajectoire des bénéfices a été l’élément moteur de la hausse des marchés cette année, observe Florian Roger, qui constate toutefois que la dynamique a été un peu moins forte à partir de septembre. Pour l’an prochain, les mesures de soutien budgétaires devraient être à même de prendre le relais lorsque celles de politique monétaire s’affaibliront. «On passera d’un soutien apporté par la politique monétaire à un soutien budgétaire beaucoup plus structurel et axé autour de l’investissement», met en perspective le responsable de la stratégie et de la recherche chez Exane Solutions.

A lire aussi...