Inflation, Fed et marchés: en attendant Godot...

Thomas Planell, DNCA Invest

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Godot peut revêtir bien des formes sur les marchés. Celle, pour les investisseurs restés à l’écart, d’une correction qui ne vient jamais.

©Keystone

En hausse de 6,2% en rythme annualisé, du jamais vu depuis la guerre du Golfe, la hausse de l’inflation aux Etats-Unis n’a probablement pas seulement surpris les marchés. Elle pourrait avoir désarçonné quelques membres de la Fed.

Plus l’écart se creuse entre hausse des prix et hausse des salaires et plus l’enjeu va devenir politique pour la Maison-Blanche qui commence à s’impatienter et envoyer un message implicite à la banque centrale… Ce qui place Jerome Powell et les marchés dans une position potentiellement délicate pour les prochaines semaines.

Au plus haut depuis le début de la décennie 2010, les «breakevens» d’inflation (écart entre les obligations indexées et celles qui ne distribuent qu’un coupon nominal fixe) jouent leur rôle de lanceur d’alertes.
Mais à seulement 1,55% de rendement à 10 ans, les taux nominaux détournent le regard, au point que les taux réels se rapprochent du seuil psychologique des -5% à 10 ans, aux Etats-Unis et en Allemagne.

Les fonds affluent sur les introductions en bourse et le bitcoin devient officiellement la huitième merveille du monde financier.

Pour les investisseurs allemands, la répression financière laisse un goût particulièrement amer. Alors que l’inflation tutoie les 5% à la fin du mandat Merkel, il faut remonter la courbe jusqu’à 30 ans pour pouvoir trouver un rendement d’Etat légèrement supérieur à 0%.

Ce qui permet aux actifs à duration longue comme les valeurs technologiques de progresser de concert avec les «breakevens» ou de résister mieux qu’on aurait pu le croire à ces publications macroéconomiques. A l’heure ou le PDG d’Apollo joue les cavaliers de l’apocalypse quant aux multiples acceptés par les dernières opérations de private equity, le Nasdaq se négocie à 34x l’EV/EBITDA: c’est-à-dire un rendement de l’excédent brut d’exploitation (avant impôt donc!) sur le total du capital employé par l’entreprise de moins de 3%!

Loin de fuir, les fonds affluent sur les introductions en bourse. La capitalisation boursière de Rivian (véhicules électriques) pulvérise celle de Ford pour son premier jour de cotation à 90 milliards de dollars.

Hors des marchés réglementés, le bitcoin devient officiellement la huitième merveille du monde financier. Il pèse 1,3 trilliard de dollars, davantage que Facebook. Le gargantua digital entraîne dans son puit de gravité d’autres tokens. Parmi eux, la seconde plus grosse crypto monnaie canine, le Shiba Inu vaut plus désormais plus Delta Airlines.

L’exubérance décrite par la finance comportementale comme le phénomène de «FOMO» (Fear of missing out ou la peur de ne pas participer au rallye) n’est pas moins palpable sur les marchés actions. Les volumes d’options balayent le record de début d’année! A nouveau, le poids des investisseurs (ou spéculateurs) individuels enfle dans les volumes de leurs valeurs préférées (Palantir, Tesla, AMD…). Ils peuvent représenter jusqu’à 25% des montants négociés sur des géants de la cote comme Nvidia (750 milliards de dollars de capitalisation). Au cours de la seconde semaine de novembre, plus de 27 milliards de dollars de primes (une fraction seulement de la valeur notionnelle totale des positions en raison de l’effet de levier intrinsèque aux options) ont été négociés à l’achat en une semaine, un record absolu!

D’ici à ce que Godot arrive, chaque jour risque de paraître plus long que le précédent pour les banquiers centraux.

Dans Godot, les deux personnages victimes de l’absurdité de la vie (ou de la mort) dépeinte par Beckett passent la pièce à attendre quelqu’un ou quelque chose qui ne vient jamais. Cet inconnu qui se fait attendre dans un espace sans indices de chronologie rappelle le temps qui passe comme subjectivité, ce que Bergson appelle la durée, ce que Dali met en matière dans ses horloges dégoulinantes omniprésentes.
Godot peut revêtir bien des formes sur les marchés. Celle, pour les investisseurs restés à l’écart, d’une correction qui ne vient jamais. Sans interruption pendant 8 séances, le S&P500 a inscrit un nouveau record chaque jour: du jamais vu depuis 1964. En progressant 17 fois sur les 19 dernières séances, il ravit un nouveau record statistique datant de plus de 90 ans.

Pour Powell, Bailey ou Lagarde, Godot, c’est la fin de la congestion de la supply chain, le repli des prix de l’énergie après l’hiver, l’ajustement de l’offre de pétrole et de matières premières. C’est en somme la fin des causes conjoncturelles qui génèrent cette inflation non permanente, dite transitoire. C’est le pic d’inflation salvateur et tant attendu, quelque part entre décembre et février.
Mais d’ici à ce que Godot arrive, chaque jour risque de paraître plus long que le précédent pour les banquiers centraux. Les chiffres et la pression politique pourraient susciter le doute. Au doute pourraient succéder les aveux. A l’euphorie… la panique… Elle commencera par sévir là où s’est accumulé pendant la phase d’exubérance le levier financier…

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