Il y a peu à craindre, excepté la peur – Weekly note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

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Confiance: l’économie suisse consolidée par des «cures de remise en forme». Gestion des devises: comment les entreprises peuvent éviter les taux négatifs.

Les contradictions caractérisent ce début d’année. J’observe chez les entrepreneurs suisses une grande confiance dans l’économie, le seul bémol étant le récent regain de vigueur du franc. Les comptes annuels 2019 se présentent en maints endroits sous un meilleur jour que prévu, et les carnets de commandes sont réjouissants pour 2020. Néanmoins, les craintes suscitées par la crise irano-américaine début janvier ont cédé la place à la peur d’une nouvelle pandémie, laquelle n’a pas seulement propulsé le franc suisse vers de nouveaux sommets mais a aussi fait osciller de nombreux marchés boursiers entre panique et espoir. Nous étudions trois conséquences de cette situation inhabituelle pour les investisseurs.

Confiance: l’économie suisse consolidée par des «cures de remise en forme»

Ces derniers jours, j’ai rencontré de nombreux dirigeants d’entreprises de taille moyenne à travers toute la Suisse. Nous avons discuté de leurs prévisions concernant la conjoncture et les marchés ainsi que des résultats de l’enquête menée dans le cadre de notre dernière étude sur les devises. Mes interlocuteurs se trouvaient pour la plupart en pleine période de bouclement des comptes annuels 2019. Une chose m’a frappé: une grande majorité d’entre eux étaient étonnés de la bonne marche de leurs affaires l’année dernière et de leur performance réjouissante au début de 2020. Apparemment, les Suisses évaluent leurs perspectives commerciales de manière réaliste, sans tomber dans l’euphorie. La différence par rapport à 2018 est flagrante pour moi. À l’époque, c’est surtout l’industrie qui avait tiré profit de la flambée passagère des besoins en biens d’investissement de l’économie américaine faisant suite à la réforme fiscale introduite aux États-Unis. Aujourd’hui, les signes des temps ont changé. L’économie helvétique a réagi avec succès à la vigueur persistante du franc, à la progression des salaires et au ralentissement de la croissance en 2019 en augmentant son efficacité et en se concentrant sur sa gamme de produits et de services. Ces «cures de remise en forme» récurrentes sont une composante du secret de la compétitivité des entreprises suisses. Elles sont bénéfiques dans les mauvaises périodes comme dans les bonnes, car elles favorisent la paix du travail et stimulent la consommation privée. 

À cela s’ajoute le fait que la «température de fonctionnement» actuelle de l’économie, en Suisse comme sur les marchés financiers mondiaux, est idéale, «ni trop chaude ni trop froide», grâce au soutien de la solide consommation privée, de la faiblesse de l’inflation, du dynamisme de l’activité de construction et des signes d’un «éveil du printemps» dans le secteur manufacturier – une croissance dont la vitesse est celle d’un tracteurs diesel de quarante ans, ce qui est précisément optimal pour les marchés financiers. D’autant que la politique monétaire actuelle qui les soutient reste expansive sous l’effet d’anciens et de nouveaux risques mondiaux tels que le coronavirus, la dette internationale, le conflit commercial ou encore les crises géopolitiques. Ce constat concerne non seulement la politique monétaire de la Suisse, mais également celle de la zone euro, des États-Unis, du Japon et de la Chine.

Sur le plan local, les entrepreneurs suisses sont davantage préoccupés, en maints endroits, par le manque croissant de main d’œuvre qualifiée, les taux négatifs et la vigueur du franc plutôt que par les risques mondiaux. Le fort endettement de la Suisse récemment critiqué par l’agence de notation Moody’s a suscité plus de haussements d’épaules que d’inquiétudes lors de mes entretiens. Et la crainte fréquemment évoquée il y a encore un an face aux (trop) nombreux investissements émanant de Chine a disparu. En effet, les défis intérieurs et extérieurs auxquels la République populaire est confrontée entravent ses flux d’investissements en Suisse depuis un certain temps déjà.

Gestion des devises: comment les entreprises peuvent éviter les taux négatifs

Le choc du franc remonte à cinq ans déjà. Aujourd’hui, l’euro est à nouveau un sujet de préoccupation majeur pour de nombreux entrepreneurs. Après la récente critique formulée par Washington à l’encontre de la Banque nationale suisse (j’en ai parlé il y a deux semaines) et suite au regain d’aversion au risque des marchés financiers suscité par le coronavirus, le franc enregistre une nouvelle appréciation, qui est douloureuse pour bien des entreprises. Heureusement, la plupart d’entre elles avaient anticipé une baisse de l’euro il y a plusieurs années déjà, augmentant leur efficacité, retirant de leur offre les produits d’exportation assortis d’une faible marge ou déplaçant leur fabrication dans la zone euro. En outre, elles recourent généralement à une couverture systématique des risques de change. Et les sociétés contraintes d’acheter régulièrement des euros pour des raisons d’ordre opérationnel font de nécessité vertu.  Bon nombre d’entre elles reconnaissent que les emprunts à double monnaie leur permettent non seulement d’optimiser leur gestion opérationnelle des devises mais aussi d’éviter les taux négatifs sur leurs liquidités, ce qui présente un double avantage dans le contexte actuel, d’après les feed-back que je reçois de toutes parts. 

Double avantage des emprunts à double monnaie

J’aimerais illustrer brièvement ici l’utilité des emprunts à double monnaie. En effet, lors des nombreux entretiens que j’ai eus la semaine dernière, j’ai constaté que près de la moitié de mes interlocuteurs connaissaient très bien cette forme de placement et les autres pratiquement pas. Les avantages sont évidents: ces emprunts sont simples, ils peuvent être personnalisés et sont susceptibles d’aider de manière efficace à éviter les taux négatifs et à améliorer la gestion des cours de change.  

En voici un exemple: une obligation à double monnaie d’une durée d’un mois libellée en francs suisses paie un coupon fixe qui dépend du contexte de marché, de la volatilité et du taux de change souhaité à l’échéance, mais qui est généralement nettement supérieur au taux négatif de –0,75% pratiqué en Suisse actuellement. Ce coupon fixe est payé dans tous les cas (sachant qu’il y a un certain risque inhérent à l’émetteur). Le montant du placement et le coupon fixe sont versés à la date de remboursement soit dans la monnaie de l’investissement (p. ex. en euros) ou dans la monnaie alternative, le franc suisse, en fonction du taux de change EUR/CHF à l’échéance. 

Si le cours initial est inférieur au prix d’exercice, le montant du placement est versé en euros. Par exemple, si le cours EUR/CHF d’environ 1.07 au début du placement chute en dessous du seuil de 1.06 convenu à l’échéance (ces chiffres sont donnés à titre d’illustration uniquement, sans engagement), l’emprunt est remboursé en euros au prix d’exercice choisi, c’est-à-dire 1.06 dans l’exemple présent. Et si le cours EUR/CHF s’élève à 1.08, le montant du placement est remboursé en francs. Cette formule ne constitue pas une couverture du risque de change au sens strict. Mais l’investisseur qui a besoin d’euros pour ses affaires ou des vacances dans la zone euro à la fin de ce mois de placement peut même en retirer un double avantage dans certaines circonstances. D’une part, il perçoit un intérêt positif sur ses liquidités, d’autre part, il est possible qu’il puisse acheter les euros qu’il lui faut de toute façon à un cours avantageux. 

Bien entendu, des structures similaires peuvent être personnalisées pour toute monnaie liquide, diverses durées et différents prix d’exercice. L’exemple donné illustre seulement le fonctionnement général de ce type de placement mais ne correspond pas à un produit spécifique.

L’euro pourrait réserver une bonne surprise

Parmi les monnaies importantes pour l’économie suisse, c’est l’euro qui divise le plus les clients et nos analystes. Alors que les premiers s’attendent pour la plupart à une dépréciation de la devise européenne, les seconds misent au contraire sur sa hausse. En dehors de la sous-valorisation fondamentale de l’euro, on observe un consensus marqué selon lequel ce dernier pourrait faire autre chose que dévaluer. En effet, comme la zone euro a fortement souffert de la récession du secteur manufacturier en 2019, elle pourrait voir sa dynamique de croissance relative s’inverser en 2020. Étant donné que son excédent de la balance courante est le plus élevé du monde, elle est extrêmement affectée en cas de ralentissement conjoncturel, mais elle est favorisée en cas de reprise. Or, une accélération de l’expansion dans la zone euro semble imminente cette année. La solide consommation, mais aussi un redressement de l’industrie et des mesures de politique budgétaire devraient y contribuer. La croissance helvétique, qui s’est révélée déjà robuste en 2019, à 1,4%, semble en revanche avoir une marge de progression plus limitée, de sorte que la demande d’euros en 2020 pourrait augmenter beaucoup plus que celle de francs suisses. En résumé, la gestion active des devises permet non seulement de réduire les risques de change, mais elle constitue aussi une source bienvenue de rendements supplémentaires dans le cadre de la gestion des liquidités.

Risque de contagion: le coronavirus et les marchés financiers

Les informations concernant la propagation actuelle d’un nouveau virus en provenance de Chine m’amènent à exposer brièvement trois réflexions.

  1. Cette semaine, le coronavirus a affecté les marchés financiers mondiaux tel un «cygne noir» classique, à savoir un risque que personne ne voyait venir hier et qui pourrait changer bien des choses aujourd’hui, comme ce fut le cas lors de l’épidémie de SRAS en 2002/2003. Dans de telles situations, il faut surveiller attentivement a) les événements concrets et b) les prévisions des acteurs du marché concernant l’évolution future. D’après mon expérience, les grands risques de ce genre sont généralement sous-estimés lors de leur apparition, puis ils s’accroissent jusqu’à qu’ils soient même surestimés et que la puissance contagieuse de la peur empêche de les gérer de manière rationnelle. Mais lorsque la crainte domine les acteurs du marché, la reprise n’est généralement pas loin. Souvent, la menace réelle atteint son zénith plus tôt que les marchés ne l’avaient prévu. Et dès que ceux-ci aperçoivent les signes concrets de la «fin de l’alerte», ils font volte-face très rapidement. En résumé, il convient de suivre attentivement les faits et les attentes des marchés à intervalles rapprochés.
  2. Une bonne diversification ou des couvertures avantageuses sont déterminantes dans de telles périodes. Au moment de la rédaction de cette lettre d’information, les actions chinoises avaient déjà perdu 12% de leur valeur depuis l’apparition de l’épidémie. Un mandat de gestion de fortune en francs suisses et au profil pondéré affiche encore une progression de 0,5% environ depuis le début de l’année. Qu’est-ce qu’un «cygne noir» comme celui-ci nous signale? Eh bien que nous savons beaucoup moins de choses que nous ne le croyons. L’événement qui frappe la Chine nous rappelle que la meilleure protection contre notre incertitude, c’est-à-dire contre les nombreux risques qui ne se sont heureusement jamais concrétisés, est une diversification intelligente, une diversification entre les placements, les monnaies, les thèmes d’investissement, les secteurs d’activité et les pays.
  3. Si l’apparition du SRAS en 2003 devait nous livrer des enseignements, ceux-ci concerneraient peut-être spécifiquement les marchés financiers. Néanmoins, il est encore trop tôt pour faire une comparaison approfondie des deux épidémies.
    A l’époque – de manière similaire à aujourd’hui – ce sont plus particulièrement la Chine et la région administrative de Hong Kong qui ont été affectées par l’apparition de la maladie. Les compagnies aériennes, le tourisme, les produits de luxe et les secteurs qui y sont liés ont essuyé les premiers revers, tandis que certaines actions des secteurs pharmaceutiques et de technique médicale se sont élevées. Alors que le taux de recherche du mot-clé «SRAS» culminait chez Bloomberg, l’indice Hang Seng atteignait son plus bas. Il a amorcé sa correction en janvier 2003, lors du déclenchement de l’épidémie, et s’est redressé lorsque le nombre de nouveaux cas d’infection s’est stabilisé au début d’avril, pour signer ensuite de nouveaux records (voir graphique 1). Le gouvernement chinois a soutenu les branches les plus affectées par des mesures ciblées de politique budgétaire ainsi que par un assouplissement monétaire. Il pourrait bien procéder de même en 2020 également. Au début d’autres épidémies (grippe porcine, grippe aviaire, Ebola) qui avaient suscité des réactions dans le monde entier, l’indice S&P 500 avait chuté temporairement puis s’était redressé de 8% en moyenne en l’espace de six mois d’après les calculs de MarketWatch.

Trois conséquences pour les investisseurs

  1. Comme la vie regorge de risques, les marchés financiers versent des primes de risque élevées sur le long terme. Celui qui sait investir en gardant la tête froide, en ciblant un horizon de placement lointain et en opérant une diversification judicieuse percevra ces primes de risque à moyen terme, protégeant et augmentant ainsi sa fortune. C’est le principe de base d’une bonne gestion de fortune, et il s’est révélé fondé une fois de plus cette semaine.
  2. Les marchés tiennent compte des événements du moment mais aussi des attentes. C’est la raison pour laquelle ils sont soumis à des cycles, lesquels sont parfois déclenchés par un comportement grégaire, la peur ou l’espoir. Leurs réactions sont souvent excessives. Lorsque l’épidémie actuelle sera jugulée, les marchés asiatiques se redresseront eux aussi et enregistreront peut-être même des records. Quoi qu’il en soit, un portefeuille bien diversifié en profitera à plus d’un titre.
  3. Lorsque l’épidémie et la peur auront dépassé leur point culminant, l’euro présentera un grand potentiel de hausse. D’ici là, les entrepreneurs et les investisseurs peuvent tirer parti des formules individualisées d’emprunt à double monnaie et améliorer ainsi leur gestion des devises tout en augmentant les rendements de leurs liquidités.

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