GenAI dans le crédit: la Suisse doit montrer l'exemple

Alexandre Buga & Eric Gutzwiller, Deloitte

3 minutes de lecture

L'octroi de prêts est une activité majeure des banques et cruciale pour l'économie suisse. L'IA générative va redéfinir l'ensemble de ce processus.

L'intelligence artificielle offre depuis longtemps la promesse de transformer les services financiers. Mais c'est l'IA générative (GenAI) qui révèle aujourd'hui la portée de cette transformation, en particulier dans le domaine du crédit. Les banques qui agissent dès aujourd’hui façonneront l'avenir des relations avec les clients, des décisions en matière de risque de crédit et de l'efficacité opérationnelle. La Suisse risque cependant de prendre du retard.

Nos récentes analyses présentent la manière dont l'IA générative est en train de remodeler la chaîne de valeur des prêts, de l'intégration des clients au traitement des documents, en passant par l'évaluation du crédit et le suivi du portefeuille. Les grands modèles linguistiques peuvent déjà automatiser les demandes de renseignements courantes, extraire des informations de documents non structurés et adapter les produits de crédit en fonction des besoins et des comportements des clients, en fonction de la propension au risque d'une institution. Les solutions d'IA agentique, dans leur prochaine version, transformeront également l'expérience client en temps réel.

Pourquoi est-ce important pour la Suisse?

Le modèle bancaire suisse est ancré dans la précision, la qualité, l'expérience et la confiance. De plus, il affiche le taux le plus élevé d'Europe de logements en propriété non entièrement amortis (environ 89%), ce qui montre l'importance des prêts pour la population. Si, à l'avenir, des concurrents internationaux entrant sur le marché suisse (surtout maintenant, après le vide créé par la fusion d'UBS et de Credit Suisse) offrent des services plus rapides, plus intelligents et plus fiables basés sur l'IA générative, les clients pourraient commencer à se tourner vers d'autres pays. Une approche prudente a certes servi le secteur, mais rater le train de l'innovation est également un risque, d'autant plus que les taux d'intérêt suisses diminuent à nouveau, ce qui devrait entraîner une augmentation des demandes de crédit.

L'automatisation de l'examen des comptes de résultat, des bilans ou des documents de garantie hypothécaire peut accélérer considérablement le processus d'approbation du crédit.

Le potentiel économique de l'IA est immense. Dans le domaine des prêts en particulier, des améliorations de l'efficacité des processus allant jusqu'à 70% sont à portée de main lorsque l'IA est appliquée à des tâches telles que l'analyse des demandes de crédit et la modélisation des risques.

Le traitement intelligent des documents en est un exemple: l'automatisation de l'examen des comptes de résultat, des bilans ou des documents de garantie hypothécaire peut accélérer considérablement le processus d'approbation du crédit. Sur les marchés plus avancés, les responsables de crédit sont déjà assistés par des copilotes d'IA qui vérifient les politiques de crédit, suggèrent des conditions de prêt ou signalent les documents manquants, améliorant ainsi la précision et les délais d'exécution.

Cela est particulièrement pertinent pour le marché suisse, où plus de 99% des entreprises sont des PME sans notation et où l'accès à des crédits rapides et basés sur des données est essentiel. Des gains en efficacité, même modestes, dans ce domaine pourraient se traduire par des décisions de crédit plus rapides et plus équitables ainsi que par une réduction significative des coûts opérationnels pour les banques. Parallèlement, les systèmes d'alerte précoce peuvent réduire les pertes sur prêts d'au moins 20%.

Les banques suisses sont actives, mais de manière sélective

Certaines institutions en Suisse explorent déjà des cas d'utilisation de l'IA générative dans le conseil à la clientèle et l'analyse de crédit, y compris des projets pilotes avec des assistants de crédit virtuels et des outils permettant d’enrichir les profils des clients avec des données externes. D'autres expérimentent l'automatisation des documents de crédit et les assistants IA internes. Un récent webinaire de Deloitte a montré que plus des deux tiers des banques prévoient d'introduire l'IA générative dans leur processus de prêt cette année. Pour beaucoup, ces efforts restent cependant encore cloisonnés et à petite échelle.

C’est compréhensible: la confidentialité des données, la justification et la fiabilité des modèles sont essentielles. Mais il ne s'agit pas d'un appel à abandonner les contrôles. Il s'agit d'un appel à passer de manière responsable des projets pilotes à une application à grande échelle. D'autres marchés montrent que les institutions qui intègrent rapidement l'IA générative dans les processus de crédit réalisent déjà des prêts plus rapides, une amélioration de l'expérience utilisateur et une réduction du ratio coûts/revenus.

Prochaines étapes

Les institutions de crédit suisses devraient identifier les cas d'utilisation les plus prometteurs - souvent avec un retour sur investissement de 80 à 140% - tout au long du cycle de vie du prêt et accélérer la mise en œuvre, avec une vision de la chaîne de valeur de bout en bout. Il est également important de responsabiliser les équipes, car l'IA générative n'est pas réservée aux spécialistes des données : les responsables des risques, les équipes de conformité et les chargés de clientèle ont besoin d'une formation pour utiliser et superviser les outils d'IA de manière responsable.

En outre, le renforcement des écosystèmes tels que les partenariats fintech et les alliances technologiques est essentiel pour intégrer les capacités de l'IA générative dans les flux de travail réels, en particulier avec l'augmentation attendue de l'OpenBanking (par exemple, l'API commune de SFTI pour les prêts hypothécaires). Et le maintien d'un dialogue avec les organismes de contrôle permet de garantir que les modèles restent transparents, équitables et conformes aux cadres en évolution.

Une autre mesure à prendre en compte est le modèle opérationnel de la banque. Les prêts représentant environ les deux tiers du bilan et de l'organisation d'une banque traditionnelle, tout changement substantiel dans ce processus soulève en fin de compte des questions sur les changements globaux du modèle opérationnel et sur sa préparation pour le futur.

Et qu'en est-il des décideurs politiques? Si la Suisse veut rester l'une des principales places financières mondiales, elle doit permettre l'innovation en toute sécurité. Les «sandbox» réglementaires, les programmes de renforcement des compétences en IA et certaines orientations concernant la gouvernance des modèles et l'utilisation des données peuvent favoriser la prochaine phase d'adoption.

En résumé: l'IA générative dans le domaine du crédit n'est pas un concept futur, elle est déjà en train de remodeler le fonctionnement des banques. La question pour les institutions suisses est simple : faut-il être en tête de la transformation ou suivre les autres qui l'ont déjà fait?

A lire aussi...