Fiscalité: Vaud reste attrayant pour les entreprises mais pas pour les particuliers

Yves Hulmann

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Les règles de BEPS 2.0 obligeront de plus ce canton à trouver de nouveaux facteurs de différenciation pour attirer les sociétés, relève Janick Pochon de KPMG Suisse.

La Réforme fiscale et financement de l’AVS (RFFA) à peine sous toit, c’est une autre nouvelle réglementation, d’envergure internationale cette fois, menée sous l’impulsion de l’OCDE qui vient à nouveau bousculer le système d’imposition des entreprises tout juste mis en place. Avec un large soutien des votants en 2019 et 2020, le canton de Vaud a introduit un taux d’impôt ordinaire sur le bénéfice des entreprises de 14%, le tout accompagné de différentes mesures destinées à favoriser les activités de recherche et développement. Avec ce taux, identique à celui de Genève, le canton de Vaud se place juste en dessous de la moyenne suisse des taux maximum en matière d’imposition des entreprises de 14,87% pour l’année 2021, indique le «Baromètre fiscal vaudois» publié cette semaine par le cabinet de conseil KPMG et la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI).

Entreprises: Vaud et Genève compétitifs sur le plan suisse…

En comparaison intercantonale, tous les autres cantons de Suisse romande, à l’exception de Neuchâtel (13,57%), appliquent des taux légèrement plus élevés pour les entreprises. C’est le cas des grands cantons alémaniques comme Zurich (19,7%), Argovie (18,55%) ou Berne (21,04%). En revanche, Appenzell Rhodes-Intérieures (12,66%), Bâle-Ville (13,04%), Thurgovie (13,35%) ainsi que tous les cantons de Suisse centrale appliquent des taux inférieurs à 13%, le plus bas d’entre eux étant, sans surprise, à Zoug (11,85%). Au niveau national, la moyenne suisse du taux d’impôt sur le bénéfice des entreprises, encore située à 18,7% en 2010, a constamment diminué tout au long de la dernière décennie pour se situer 15% en 2020, tandis qu’elle devrait être encore ramenée à 14,3% d’ici 2025, compte tenu des réductions de taux déjà votées par certains cantons, comme à Zurich notamment.

En Europe, seuls la Hongrie (9%), la Bulgarie (10%), l’Irlande ou le Liechtenstein (12,5%) imposent encore moins les bénéfices des entreprises.

En comparaison européenne, seuls quelques pays comme la Hongrie (9%), la Bulgarie (10%), l’Irlande et le Liechtenstein (12,5%) imposent encore moins les bénéfices des entreprises, indique le comparatif de KPMG.

BEPS 2.0 redéfinit les règles du jeu 

Entretemps, les récents développements internationaux ont changé la donne en matière de fiscalité des entreprises. Mené sous l’égide de l’OCDE et des pays du G20, le projet BEPS («Base Erosion and Profit Shifting», ou érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices en français) vise à imposer les bénéfices des entreprises à l’endroit où l’activité créatrice de valeur est réalisée. Il vise à empêcher que les multinationales transfèrent une partie de leurs bénéfices dans des pays à la fiscalité la plus avantageuse afin d’économiser des impôts. Les mesures prévues par l’OCDE à l’horizon 2023 se répartissent entre deux piliers: le premier implique l’attribution d’un pourcentage déterminé du bénéfice au pays du marché qui réalise un certain chiffre d’affaires. Cette règle s’applique aux entreprises multinationales dont le chiffre d’affaires dépasse les 20 milliards d’euros et dont la rentabilité par rapport aux ventes est supérieure à 10%.

Le deuxième pilier vise, lui, notamment à garantir un taux d’imposition effectif minimal de 15% pour les multinationales partout où elles opèrent. Il s’applique aux entreprises dont le chiffre d’affaires annuel mondial est supérieur à 750 millions d’euros. Selon des premières estimations émanant du Département fédéral des finances (DFF), le pilier 1 ne concernerait qu’entre trois et cinq multinationales suisses, soit notamment Nestlé, Novartis et Roche, tandis que le pilier 2 «impacterait bien plus d’entreprises».

Pour les entreprises concernées, passer d’un taux d’imposition ordinaire de 14% à 15% représenterait-il une grande différence? Deux aspects sont ici à prendre en compte, nuance KPMG: d’une part, suite à l’implémentation de la RFFA, de nouvelles réductions fiscales avaient été mises en place en faveur des contribuables. A partir du taux ordinaire publié par les cantons, il faut encore retrancher l’effet fiscal maximal de diverses déductions liées notamment aux activités de recherche et développement (particulièrement dans le canton de Vaud), à l’abandon d’un statut fiscal (principalement dans des cantons de Suisse alémanique) et aux intérêts notionnels (Zurich). Pour le canton de Vaud, le taux d’impôt minimal, après ces déductions, se situe en 2021 à 11,02%, comparé à 11,06% en moyenne suisse. 

L’augmentation d’impôt attendue pour les entreprises multinationales vaudoise ne peut «pas être calculé par une simple comparaison de taux».

Le taux d’imposition ordinaire, de 14% pour Vaud et de 14,87% en moyenne suisse, «n’est donc pas seul comparatif pertinent», relève KPMG. En termes de revenus fiscaux à attendre pour les autorités, le cabinet de conseil souligne aussi qu’il s’agit d’un exercice complexe, compte tenu notamment des différences entre les normes comptables internationales et le droit comptable suisse. Dès lors, l’augmentation d’impôt attendue pour les entreprises multinationales vaudoise ne peut ainsi «pas être calculé par une simple comparaison de taux» (11,02% pour le taux minimal et 14% pour le taux ordinaire par rapport aux 15% prévus dans le cadre de BEPS 2.0). 

En termes d’attractivité fiscale, l’introduction des règles prévues dans le cadre de BEPS 2.0 aura ainsi un impact non négligeable sur la compétitivité des cantons suisses sur plan international, en particulier pour ceux qui imposent les bénéfices des entreprises à un niveau inférieur à la moyenne suisse, à l’exemple aussi du canton de Vaud. De nouvelles mesures, qu’elles soient fiscales ou d’autres natures, devront être mises en place pour maintenir l’attractivité de la Suisse. «Le canton de Vaud, et la Suisse, devront trouver d’autres façons de se différencier», estime Hélène Béguin, président du conseil d’administration de KPMG Holding SA.

Après Genève et Bâle-Campagne, Vaud impose le plus fortement les personnes physiques

C’est d’autant plus le cas pour Vaud étant donné que ce canton peut tout sauf se targuer d’une fiscalité attrayante pour les personnes physiques. Dans le cadre d’une comparaison inter-cantonale des taux maximum appliqués à l’impôt sur le revenu en 2021, le trio de tête des cantons à plus forte fiscalité est occupé par Genève (44,97%), Bâle-Campagne (42,22%) et Vaud (41,5%). C’est nettement supérieur à la moyenne suisse des taux maximum en matière d’impôt sur le revenu qui est située à 33,77%. A l’exception du Jura avec 40,18%, tous les autres cantons romands analysés par l’étude ont des taux plafonds inférieurs à 40%.

«Vaud impose fortement la classe moyenne. Les déductions introduites ces dernières années n’ont pas modifié cette situation.»

Par ailleurs, Vaud est aussi, juste après Neuchâtel, l’avant-dernier canton qui imposait le plus lourdement les revenus moyens (125'000 francs de revenu brut) alors qu’il s’agit même le canton suisse qui taxe le plus lourdement les hauts revenus (500'000 francs brut). Quant aux bas revenus (60'000 francs brut), Vaud se place au 15e rang parmi 26 cantons suisses. «Vaud impose fortement la classe moyenne. Les déductions introduites ces dernières années, de par leurs impacts limités, n’ont pas modifié cette situation», constate Janick Pochon, responsable de la fiscalité des entreprises de KPMG pour le canton de Vaud.

Le fait qu’une très petite proportion de contribuables assure une grande partie des revenus fiscaux est aussi un aspect auquel Claudine Amstein, directrice de la CVCI, rend attentif. En effet, 7,5% des assujettis vaudois disposant d’un revenu imposable de plus de 150’00 francs participent à hauteur de plus de 41% aux recettes de l’impôt sur le revenu du canton, illustre-t-elle, soulignant par la même occasion qu’il est important pour le canton de garder ces revenus élevés. En termes de compétitivité, «la marge de manœuvre des cantons se fera sur l’imposition des personnes physiques», estime la directrice de la CVCI. 

Neuchâtel, Fribourg et le Valais imposent moins fortement l’outil de travail

A mi-chemin entre la fiscalité des entreprises et celle des personnes physiques, qu’en est-il des entrepreneurs dont l’essentiel de la fortune est constituée par la leur propre société? A cet égard, le canton de Vaud compte à nouveau parmi les cantons qui imposent le plus lourdement les contribuables qui se trouvent dans ce type de situation. Si l’on part de l’exemple d’un entrepreneur-actionnaire qui possède une entreprise non cotée active dans le canton de domicile et dont la valeur est évaluée à 3 millions de francs, les différences entre les taux d’imposition – hors abattement de la base imposable ou du taux pour l’utilisation de travail qui peut varier entre 40% et 60% - qui sont appliqués par différents cantons romands n’apparaissent pas spectaculaires à première vue: ces taux sont de 0,79% dans le canton de Vaud, de 0,68% à Neuchâtel, de 0,63% dans le Valais et de 0,59% à Fribourg. Après prise en compte de l’abattement fiscal, les écarts entre les cantons sont beaucoup plus marqués: Vaud reste à 0,79%, tandis que ce taux tombe à 0,38% dans le Valais, à 0,36% à Fribourg et à 0,27% à Neuchâtel. En gardant le même exemple de départ, un entrepreneur vaudois paiera 23'700 francs par ans au titre du seul impôt sur la fortune contre 8’200 francs pour un entrepreneur neuchâtelois dans la même situation.

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