Fiscalité mondiale uniforme à l'ère numérique

Gillian Tans, Booking.com

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Si la taxe sur les services numériques entrait en vigueur, ce serait les start-ups et les écosystèmes numériques européens qui en pâtiraient le plus.

Parvenir à une solution concernant la manière dont doivent être imposées des entreprises de plus en plus mondialisées et informatisées est vital pour la santé future des échanges commerciaux et des investissements transfrontaliers. Le débat actuel sur cette question est malheureusement embourbé dans la confusion et les complications et les réponses politiques populistes qui diabolisent les entreprises du numérique ne contribuent pas à éclaircir ce débat.

L’exemple par excellence en est la proposition de la Commission européenne de créer une taxe sur les services numériques (TSN), dévoilée en mars 2018. Cette mesure vise avant tout les multinationales de l’économie numérique et les géants du secteur, les GAFA (pour Google, Amazon, Facebook et Apple), dont les structures leur permettent de délocaliser leurs bénéfices vers des pays proposant une fiscalité avantageuse. Mais si la TSN entrait en vigueur, ce serait surtout les start-ups et les écosystèmes numériques européens qui en pâtiraient le plus.

Les entreprises ne peuvent être imposées que sur les bénéfices réalisées
dans les pays où elles sont physiquement présentes.

En tant qu’entreprise évoluant sur un marché mondialisé, Booking.com, que je dirige, s’inquiète à plusieurs titres de la vision limitée qu’incarnent les propositions de la Commission européenne pour l’avenir du commerce, raison pour laquelle nous devons nous opposer au concept de la TSN dans sa totalité.

Cette proposition de taxe sur les services numériques, ainsi que les tentatives précipitées faites par plusieurs États membres de l’UE de mettre en place une taxation du numérique, reflètent l’idée obsolète que les entreprises du numérique sont différentes des entreprises traditionnelles. Avec le basculement d’industries entières vers le numérique, cette distinction devient de plus en plus intenable et chercher à la préserver ne peut que causer des torts sérieux et à long terme aux entreprises et aux économies nationales européennes.

En vertu des conventions fiscales internationales actuelles, les entreprises ne peuvent être imposées que sur les bénéfices réalisées dans les pays où elles sont physiquement présentes, mais pas si les échanges sont dématérialisés. Les débats souvent vifs autour de cette question ont créé l’image de multinationales du numérique profitant des infrastructures et des marchés nationaux sans être mises à contribution au plan fiscal.

Cette perception de plus en plus répandue a servi de base aux propositions législatives de la Commission européenne, dont la TSN à l’échelle de l’UE, et une réforme des «règles relatives à l’imposition des sociétés de telle sorte que les bénéfices soient enregistrés et taxés là où les entreprises ont une interaction importante avec les utilisateurs par l’intermédiaire de canaux numériques». Mais au lieu de produire un régime fiscal équitable et favorable au commerce, la TSN a toutes les chances de saper les bénéfices et les occasions que présente actuellement l’économie numérique pour les entreprises et les consommateurs.

Cette approche intrinsèquement inéquitable
faussera la concurrence.

La TSN proposée – supposée être une solution provisoire, dans l’attente d’un accord sur des mesures mondiales – présente deux défauts spécifiques.

En premier lieu, imposer les entreprises sur leur chiffre d’affaires plutôt que sur leurs revenus fera peser une charge fiscale insoutenable sur les entreprises qui ont un chiffre d’affaires important sans pour autant réaliser de bénéfices substantiels. Au lieu d’assujettir les géants numériques ciblés, la TSN constituera probablement un obstacle pour les nombreuses start-ups européennes qui sont devenues des leaders dans leurs domaines respectifs.

Cette approche intrinsèquement inéquitable faussera la concurrence, compromettra la création d’entreprise et sera préjudiciable à la croissance économique des États membres. Les dirigeants de l’UE sont malheureusement si focalisés sur le contrôle des structures des géants du web qu’ils ne voient pas les conséquences négatives à long terme qu’aurait la TSN sur la croissance des entreprises européennes.

Le deuxième problème est l’émergence probable d’une multiplicité de taxation du numérique, à la fois au sein de l’UE et au-delà. Alors que la Commission européenne affirme que la taxe sur les services numériques proposée a pour vocation d’empêcher l’adoption de mesures similaires au niveau national au sein de l’UE, de récentes évolutions au Royaume-Uni, en France et en Italie vont dans le sens contraire.

De plus, une stratégie de taxation irréfléchie et hâtive par l’UE pourrait se traduire par un modèle suivi au niveau international, avec une nébuleuse de règles fiscales mondiales où la confusion, les différences et certaines formes de double imposition seraient acceptées comme étant la norme. Les conséquences, en termes de survie et de croissance des petites et moyennes entreprises dans le monde, pourraient être graves.

Un consensus mondial sur l’adoption d’un cadre fiscal
uniforme est aujourd’hui indispensable.

Sur une note plus positive, l’OCDE a réalisé des progrès substantiels vers une solution de consensus sur la taxation de l’économie numérique qui couvrirait les moteurs de recherche, les plateformes en ligne et les médias sociaux. Je pense fermement que la collaboration au niveau de l’OCDE et du G20 est indispensable pour développer des règles fiscales équitables et transparentes pour les entreprises fournissant des services numériques. Il s’agit d’une approche que je soutiens pleinement et la plus susceptible de protéger les intérêts des sociétés et des économies.

Les entreprises comme la nôtre fonctionnent dans un environnement véritablement mondialisé. Nous sommes obligés de nous conformer à un ensemble de règles fiscales, ce que nous faisons volontiers comme toutes les entreprises progressistes de l’ère numérique. Ce que nous appelons de nos vœux est un régime d’imposition des sociétés qui soit équitable et favorable à la croissance sur tous les fronts, en particulier quand les conditions économiques sont difficiles. L’impôt sur les sociétés doit continuer à être basé essentiellement sur les revenus et un consensus mondial sur l’adoption d’un cadre fiscal uniforme est aujourd’hui indispensable.

Il ne faut pas tarder à parvenir à tel consensus. L’économie mondiale est chaque jour plus fondée sur le numérique. En tant qu’entreprise européenne, nous souhaitons voir les entreprises européennes grandir, prospérer et devenir les chefs de file de ce nouvel environnement prometteur. Des mesures fiscales disparates, comme la TSN, pour les entreprises du numérique sont des approches à court terme et irréalistes qui seront en fin de compte contreproductives pour tout le monde.

Copyright: Project Syndicate, 2019.

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