Finance et durabilité se conjuguent au futur

Florence Anglès, REYL

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La croissance n’est soutenable que si elle préserve le capital naturel et intègre les dimensions environnementale et sociale.

 

La croissance est-elle soutenable? Depuis les années 1970, nous avons pris conscience que nous vivons dans un monde où les ressources sont limitées. Cette rareté des matières premières conduit alors inexorablement à une perte de vitesse de l’économie, qui ne répond pas uniquement à une vision mécaniste newtonienne mais suit bien au contraire la loi d’entropie et plus particulièrement le deuxième principe de la thermodynamique. Ainsi, la croissance n’est soutenable que si elle préserve le capital naturel et intègre au-delà de son volet économique, les dimensions environnementale et sociale. Cette croissance n’est autre que le développement durable, c’est-à-dire «un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs».

Depuis le rapport: créateur d’emplois, 380 millions, et de valeur 12'000 milliards de dollars d’ici à 2030. Pour les partisans de la soutenabilité faible ou forte, l’innovation joue un rôle central et est indissociable du développement durable. Cette dernière qualifiée d’éco-innovation est un important levier stratégique de compétitivité pour les entreprises, leur permettant ainsi de réduire les coûts, d’offrir de nouvelles perspectives de croissance et de redorer leur blason en améliorant leur image auprès de leur clientèle.

La Commission européenne veut transformer
en profondeur le secteur financier.

La durabilité transcende les frontières géographiques pour devenir un phénomène d’ampleur internationale. L’Union européenne a dévoilé le 8 mars 2018 son plan d’action pour financer la croissance durable. Cette feuille de route poursuit trois objectifs: réorienter les flux de capitaux vers une économie plus durable et inclusive, intégrer la durabilité dans la gestion des risques financiers, favoriser la transparence et les investissements durables. Comme l’Europe est confrontée à un déficit d’investissement annuel de près de 180 milliards d'euros pour atteindre ses objectifs à l’horizon 2030, la Commission européenne veut transformer en profondeur le secteur financier, pour que ce grand promoteur du développement économique, serve d’appui au développement durable. En favorisant les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans les décisions de financement et d’investissement, la finance et la durabilité s’unissent et donnent naissance à la finance dite durable.

Cette dernière regroupe l’investissement socialement responsable (ISR), l’investissement vert, la finance solidaire et de manière plus générale l’investissement responsable. Son origine n’est pas récente. A titre d’exemple, l’ISR est un mouvement qui a débuté aux USA sous l’impulsion de congrégations religieuses désireuses d’exclure de leurs investissements certains secteurs comme l’alcool, le tabac, le jeu… Les premier fonds ont fait leur apparition dans les années 1920 et reposaient sur une approche dite de sélection négative, consistant à supprimer certains secteurs considérés comme contraire à la morale. Le plus célèbre d’entre eux, le Pioneer Fund a été lancé en 1927 à Boston. La crise de 1929 n’a pas été propice au développement de cet investissement «éthique» et il faudra attendre les années 1970 pour voir apparaître un regain d’intérêt pour l’ISR sous fond de guerre du Vietnam et du scandale du Watergate.

Certaines grandes institutions financières helvétiques
se sont positionnées sur la finance durable depuis de nombreuses années.

C’est à cette époque qu’apparaît le premier fonds ISR  adoptant une approche best in class, le Pax World Fund, consistant à conserver l’ensemble des secteurs et en favorisant les entreprises socialement responsables. Cette approche vise à combiner la performance financière et les critères ESG ou extra-financiers. En Europe, exception faite de la Suède, ces investissements n’ont fait leur apparition que tardivement dans le courant des années 1980-1990 sous l’impulsion du rapport Brundtland «Our Common Future» et du développement durable. La Suisse, dotée d’un secteur financier de qualité, peut bénéficier d’un avantage compétitif dans ce domaine. Considéré initialement comme un secteur de niche, certaines grandes institutions financières helvétiques se sont positionnées sur la finance durable depuis de nombreuses années attendant patiemment un engouement plus marqué des clients privés et institutionnels pour ce type d’investissement. D’après le rapport sur l’investissement durable en Suisse 2018 du Swiss Sustainable Finance en collaboration avec l’Université de Zurich, en 10 ans les investissements durables en Suisse ont fortement augmenté passant de 33 milliards en 2007 à 391 milliards en 2017 provenant pour 86% d’investisseurs institutionnels et pour 14% d’investisseurs privés. Les classes d’actifs privilégiées sont les actions (28%), les investissements immobiliers (22%) et les obligations souveraines (17%).

Cette tendance ne peut que s’accentuer à l’avenir avec l’essor du développement durable et de la demande croissante des investisseurs institutionnels. La place financière de Genève, terre d’accueil du siège mondial des places financières durables avec l’implantation du secrétariat du réseau FC4S (Financial Centres for Sustainability), aura l’opportunité de démontrer son expertise en la matière.

La finance durable est ainsi un phénomène d’ampleur internationale. Toutefois, elle ne pourra gagner l’esprit du grand public que si elle offre un couple rendement-risque attractif ou du moins comparable à celui des produits financiers classiques. Même si nous manquons encore de recul sur cet aspect et que les données disponibles demeurent perfectibles en termes de consistance, de qualité, de couverture et de fréquence, BlackRock a indiqué dans une étude récente que les critères ESG peuvent être appliqués à la plupartdes classes d’actifs sans perdre en rendement ajusté du risque.

Le développement durable est donc un nouveau
projet de société qui nécessite des financements importants.

Du point de vue académique, une publication 2018 des professeurs Rajna Gibson Brandon et Philipp Krüger «The Sustainability Footprint of Institutional Investors» du Swiss Finance Institute et de l’Université de Genève met en évidence le fait que la durabilité réduit le risque et est à l’origine de rendements supérieurs à long terme. Les placements durables semblent donc tout autant performants et intègrent d’autres dimensions suscitant l’intérêt des investisseurs engagés soucieux de leur environnement et de la société en général. Comme la couverture des classes d’actifs et des zones géographiques des produits financiers durables ne cesse de croître d’année en année, ils deviennent de plus en plus incontournables dans l’univers d’investissement.

Le développement durable est donc un nouveau projet de société qui nécessite des financements importants. Ces derniers ne seront possibles qu’avec l’appui du secteur financier. Des initiatives majeures sont en cours pour changer les règles du jeu de la finance afin d’en modifier son ADN et d’introduire dans ses gènes la notion de durabilité. La finance durable est une réponse aux récentes crises économiques et écologiques et également une manière d’en finir avec la vision trop court-termiste du profit. En mettant en avant les notions de transparence, de responsabilité, de durabilité, les banques gagnent à n’en point douter la confiance et l’intérêt des clients d’aujourd’hui et de demain. Cette lame de fond n’est-elle pas une opportunité pour elles de s’adapter et de se transformer afin de répondre davantage aux besoins de leur écosystème et d’intégrer ainsi l’ensemble des parties prenantes selon les règles de bonne gouvernance?