Faut-il acheter la récession?

Axel Botte, Ostrum AM

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La récession intégrée par les marchés ou le bras de fer avec les banques centrales inquiètes de l’inflation.

Le sentiment des intervenants de marché est par nature sensible aux évolutions marginales des indicateurs avancés et des enquêtes d’activité ou de prix. La perception du risque, plus encore que la réalité sous-jacente, est déterminante pour l’équilibre des prix des actifs à court terme. Un équilibre précaire semble s’être installé avec un positionnement extrêmement vendeur d’actifs risqués susceptible de se retourner au moindre signe de détente monétaire. Les ventes spéculatives de contrats S&P 500 sont, par exemple, au même niveau qu’au pire de la pandémie au printemps 2020. Les banques centrales maintiennent un discours centré sur l’inflation justifiant des hausses de taux chaque fois plus importantes qu’anticipé. Les dernières décisions de la Banque de réserve d’Australie, la Fed, la BCE ou la Banque Populaire de Chine abondent dans ce sens. Les banques centrales naviguent à vue, de sorte que leur communication avancée apparaît caduque. Ce bras de fer contribue à la pression à l’aplatissement des courbes de taux, voire l’inversion, comme sur le spread 2-10 ans américain. Le paradoxe est que la baisse des taux longs stabilise les actions, malgré le ralentissement économique en cours.

La hausse médiane des salaires des individus ayant changé d’emploi au cours des 12 derniers mois ressort à +7,9% sur un an.
La première ligne de défense de la BCE

L’issue de ce bras de fer dépendra de plusieurs facteurs, notamment la tolérance des banques centrales pour une récession. Le discours de Christopher Waller en juin laissait entendre que la Fed s’accommoderait facilement d’une hausse du chômage vers 4,25%, afin de limiter les anticipations d’inflation. L’inflation américaine est à 9,1%, bien loin des 5,2% qui prévalaient lorsque Powell défendait encore l’idée d’une inflation transitoire à Jackson Hole, l’an dernier. Si la baisse des prix de l’essence transparaît déjà dans certaines enquêtes de prix auprès des entreprises et des ménages, les prétentions salariales demeurent élevées. La hausse médiane des salaires des individus ayant changé d’emploi au cours des 12 derniers mois ressort ainsi à +7,9% sur un an. Le pouvoir de négociation des travailleurs risque d’alimenter l’inflation, malgré l’ajustement récent des anticipations de prix. Les marchés réagissent aux changements marginaux. La neutralité de la politique monétaire est aussi élusive. Les taux d’intérêt actuels sont bien loin de décourager la demande de crédit des ménages aux États-Unis. En zone euro, la hausse de 50pb des taux directeurs met un terme à l’absurdité des taux négatifs et achète l’adhésion des faucons au nouvel instrument de gestion de crise. La BCE s’oblige enfin à réagir à l’inflation record. Le IPT (instrument de protection de la transmission) est conditionné au respect de règles budgétaires et ne serait activé qu’après l’épuisement des ressources liées aux réinvestissements du PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme), qualifiés de «première ligne de défense» par Christine Lagarde. La BCE cherche ainsi à dissocier la politique de taux de la gestion des risques financiers. Rien n’indique qu’il existe un niveau de spread qui déclencherait le IPT et de toute façon, la solvabilité d’un pays dépend du niveau des taux d’intérêt, eux-mêmes liés à l’inflation de la zone euro. L’articulation des outils reste donc nébuleuse, d’autant que le dispositif des ORLTC (opération de refinancement long terme ciblé) devra être prorogé ou amendé pour éviter une contraction du bilan de 1300 milliards d’euros en juin 2023.

Le risque Italien

Les marchés de taux se sont montrés sensibles aux composantes de prix des enquêtes régionales de la Fed et plus généralement aux signaux de ralentissement. L’inversion de la courbe américaine s’est accentuée. La Fed doit devenir restrictive, mais ne le restera pas éternellement, selon le marché. Quoi qu’il en soit, la myopie des intervenants semble interdire de parier sur des scénarios d’inflation pérenne, d’autant que le baril de WTI commence à refléter le redressement de la production américaine. Les valorisations des points morts sont pourtant attrayantes, à 2,3% à 10 ans. En zone euro, le comportement du Schatz est erratique. La hausse des taux de 50pb a propulsé le 2 ans vers 0,78%, avant un plongeon de 30pb en deux séances. Le retournement du marché reflète l’engagement de la BCE à agir «en fonction des données», puis la baisse des indices des directeurs d’achat français et allemand le lendemain. Le Schatz traduit aussi un certain manque de collatéral et la recherche de sécurité face au risque italien. Le IPT est un instrument de crise qui servira davantage à éviter une contagion du risque politique italien aux autres dettes périphériques.

Le marché du crédit bénéficie de rachats de positions vendeuses. La volatilité du Crossover reste forte, mais le marché réagit aux moindres signaux favorables, comme la reprise des flux de gaz russe. Les mauvaises nouvelles économiques sont finalement bien accueillies, tant elles réduisent la probabilité d’une politique monétaire plus restrictive et la volatilité implicite. C’est un paradoxe récurrent des marchés actuels, qui tend aussi à favoriser les valeurs de croissance et le facteur «qualité».

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