Factor investing: deux vues opposées sur la taille

Cyril Gomez

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Félix Goltz de Scientific Beta réfute l’assertion d’AQR sur l’illusion de la prime de risque reposant sur la taille.

Les petites capitalisations sont-elles plus rentables que les grandes – sur le long terme? Les professionnels de l’investissement semblent de plus en plus divisés autour de cette question qui, il y a encore moins de dix ans, se posait à peine. Deux protagonistes occupent le devant de la scène. D’un côté, AQR Capital Management (AQR), une société de gestion internationale basée à Greenwich (dans le Connecticut). Cofondée en 1998 par le gérant alternatif Clifford Asness, elle est réputée pour l’intégration de concepts de la finance comportementale et l’une des premières à appliquer les principes de l’investissement factoriel et du smart beta. Pour AQR, le rendement excédentaire qui semble se dégager de l’exposition au facteur taille serait une illusion.

De l’autre côté, en France, le provider d’indices smart beta Scientific Beta (ScB), spin-off du centre de recherche académique EDHEC-Risk Institute. Qui a récemment réfute dans une note-réponse la position d’AQR sur ce point spécifique. ScB reproche en effet à AQR de ne pas prendre en compte les effets de corrélation d’un facteur par rapport aux autres facteurs, afin d’en évaluer la pertinence au sein d’un portefeuille multifactoriel optimal.

Le beta du marché serait à l’œuvre derrière
les rendements des petites capitalisations.

Fin septembre, après avoir publié deux notes (en janvier 2015 et mai 2018) remettant en question la validité de la prime de risque reposant sur la taille, AQR est revenu à la charge. Affirmant que «l’effet taille» ou le rendement excédentaire dont la taille est censée être la source est en réalité le résultat de l’exposition à un autre facteur. A savoir le beta du marché. La plus grande sensibilité des petites capitalisations par rapport aux fluctuations du marché en général expliquerait cette surperformance. Autrement dit, selon AQR, la taille n’y serait pour rien en tant que tel.

De leur côté, les experts de ScB soulignent l’absence du bien-fondé qu’il y a à comparer le facteur taille au risque non diversifiable qu’est le facteur de marché, si l’on veut estimer son impact sur le portefeuille global. Cette démarche exclut en effet la corrélation entre la taille est les autres sources de risque systématique. Cela revient à réduire le choix entre taille et marché, ce qui ne reflète pas la réalité de l’ensemble des options de placement.

Or les investisseurs disposent aujourd’hui d’une gamme plus ou moins étendue de facteurs dont la persistance de la prime de risque est avérée. Et, explique ScB, la façon de tester la pertinence du facteur taille en particulier au sein d’un portefeuille global multifactoriel consiste à l’inclure au sein de ce dernier. Plus précisément, l’expérience consiste à inclure les sept facteurs académiquement reconnus que sont les facteurs «value», «momentum», «faible volatilité», «profitabilité», «taille», «faible investissement» et le beta de marché. Et ce en attribuant un poids à chacun de ces facteurs de façon à ce que la combinaison de leurs pondérations respectives maximise le ratio de Sharpe de l’ensemble du portefeuille.

C’est ce qu’a entrepris ScB sur la base de données s’étendant sur une période d’au moins 50 ans, pour ne pas tirer de conclusions erronées que peuvent susciter des périodes trop courtes. Ce qui ressort de cette expérience est que le portefeuille multifactoriel optimal est celui au sein duquel le facteur taille pèse pour 9% environ du poids total de tous les facteurs. Pourtant, la taille est le facteur qui génère les plus faibles rendements.

Comment s’explique l’attribution d’un poids si important au facteur
étant la source des rendements les moins élevés?

Son poids est, par exemple, nettement supérieur au poids du facteur value (2,9% seulement) et proche de ceux des facteurs momentum (11,4%) et faible volatilité (11,7%). Ces deux derniers affichent pourtant des rendements environ trois fois plus élevés que le facteur taille. Comment s’explique l’attribution d’un poids si important au facteur étant la source des rendements les moins élevés? «La raison en est que le poids optimal de chaque facteur ne dépend pas seulement des rendements ou des rendements ajusté du risque. Il repose également sur les caractéristiques de risque, en particulier la volatilité et la corrélation entre des facteurs autres que le facteur marché», expliquent Felix Goltz et Ben Luyten, analystes quantitatifs chez Scientific Beta.

«Le poids positif du facteur taille reflète le fait que l’inclusion d’une exposition à ce facteur améliore les propriétés de risque/rendement du portefeuille multifactoriel, même si ce facteur produit des rendements peu élevés», poursuivent les auteurs de la note. Toutefois, en dépit de ses faibles rendements, le facteur taille est faiblement corrélés aux autres facteurs et c’est de là que son inclusion s’accompagne d’un meilleur ratio de Sharpe. C’est donc avant tout un facteur de diversification. 

Ignorer cette capacité de diversification revient à ignorer la vraie valeur ajoutée du facteur taille. «En attirant l’attention, comme le fait AQR, sur l’inexistence d’une prime de la taille lorsque mise au regard du facteur marché, revient à relayer une observation n’ayant aucune pertinence pratique», concluent les experts de Scientific Beta.