Facteurs psychologiques vs fondamentaux d’une entreprise

William De Vijlder, BNP Paribas

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D’après une enquête réalisée auprès des directeurs financiers de 469 entreprises américaines, 84% d’entre eux s’attendent à une récession aux États-Unis au premier trimestre 2021.

D’après une enquête de l’université Duke réalisée auprès des directeurs financiers de 469 entreprises américaines, 84% d’entre eux s’attendent à une récession aux États-Unis au premier trimestre 20211. Ce pourcentage très élevé est préoccupant dans la mesure où des études empiriques menées dans ce pays montrent l’étroite corrélation des anticipations de résultats des directeurs financiers, pour les douze prochains mois, avec les investissements prévus et réels des entreprises2. Ainsi, lorsqu’un grand nombre de directeurs financiers s’attend à une récession, on peut craindre que cela se traduise par une baisse des prévisions de bénéfices et des investissements, et donc par des anticipations baissières autoréalisatrices, les craintes de récession finissant par entraîner une récession.

Pour le moment, ce n’est pas ce que disent les chiffres: le chiffre d’affaires devrait progresser, selon les prévisions, de 6,3% et les investissements, de 8,2%3. De plus, le niveau d’optimisme des directeurs financiers concernant leur propre entreprise a augmenté en mars, à 70,4 après un bref recul en décembre. Cependant, concernant l’économie en général, il continue de diminuer. De quoi donner une certaine crédibilité à l’idée qu’une récession finira par arriver, influençant ainsi les business plans des entreprises. 

Les indicateurs de confiance des chefs d’entreprises constituent un élément important de l’analyse économique. Les résultats des enquêtes sont souvent disponibles plus rapidement que certains déterminants des investissements des entreprises comme les bénéfices de ces dernières4 par exemple.

Une corrélation positive entre le moral des chefs d’entreprises et les décisions de ces derniers en termes de recrutement, de marketing ou d’investissement pourrait simplement refléter les anticipations relatives aux fondamentaux de l’entreprise (chiffre d’affaires, profitabilité, charges financières, etc.). C’est là que la confiance joue le rôle de signal. La relation entre la confiance et les décisions de l’entreprise peut aussi découler d’esprits animaux. Selon John Maynard Keynes, ces décisions résultent d’un besoin spontané d’agir. Aujourd’hui, cette notion «fait référence à notre relation particulière avec l’ambiguïté ou l’incertitude. À certains moments, elles nous paralysent et, à d’autres, elles ont un effet revigorant et motivant , nous amenant à surmonter nos peurs et nos indécisions»5. Ainsi, ces esprits animaux peuvent provoquer une déconnexion entre les fondamentaux et les décisions de l’entreprise, selon l’optimisme ou le pessimisme de ses dirigeants.

Dans une étude récente, Enders et al. ont analysé ce que cela implique concrètement6. Ces auteurs comparent, à l’échelle de l’entreprise, les réponses aux enquêtes réalisées en Allemagne auprès de chefs d’entreprises et les décisions de ces derniers en matière de fixation des prix et de production. Dans cette étude comparée, l’effet des fondamentaux d’entreprise a été éliminé. Les auteurs notent que les entreprises optimistes (pessimistes) augmentent (réduisent) leur production davantage que celles adoptant une position neutre concernant l’avenir. Elles sont aussi plus susceptibles de relever (d’abaisser) les prix

Comme indiqué plus haut, ces résultats peuvent traduire une anticipation relative aux fondamentaux de l’entreprise ou un effet purement lié aux esprits animaux. Pour faire la distinction, les auteurs analysent le rôle des erreurs de prévision. Ainsi, les entreprises trop optimistes/pessimistes font preuve d’esprits animaux. La corrélation entre sentiment et décisions relatives à la production et aux prix vaut aussi pour les entreprises qui se sont révélées optimistes ou pessimistes de façon erronée, c’est - à -dire qui se sont trompées dans leurs prévisions. Les esprits animaux jouent là aussi un rôle. Enfin, les auteurs de l’étude ont conçu un indicateur de l’optimisme/pessimisme agrégé et ont analysé dans quelle mesure ce dernier est lié aux fluctuations de l’économie en général.

La production industrielle et le niveau des prix réagissent fortement et de manière significative à une hausse d’optimisme erroné. En cas de pessimisme excessif, les effets sont bien plus limités voire, s’agissant de la production industrielle, négligeables. Peut -être devrions -nous alors moins nous préoccuper par la forte probabilité de récession qui ressort de l’enquête de Duke University auprès des directeurs financiers. 

1 Duke's Fuqua School of Business / CFO Magazine Global Business Outlook, mars 2019. 
2 Gennaioli Nicola, Ma Yueran, Shleifer Andrei (2015), Expectations and Investment, document de travail NBER n°21260. 
3 L’enquête de mars n’a pas publié de prévisions de résultats. 
4 Pour une vue d’ensemble, se reporter à William De Vijlder, Quels sont les déterminants de l’investissement des entreprises, BNP Paribas, Conjoncture, septembre-octobre 2016
5 George A. Akerlof et Robert J. Shiller, Les esprits animaux – Comment les forces psychologiques mènent la finance et l’économie, Princeton University Press, 2009 
6 Zeno Enders, Franziska Hünnekes et Gernot J. Müller, Firm expectations and economic activity, document de travail CESifo 7623, avril 2019
 

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