Et si les résultats d’entreprises commençaient à s’inverser?

Vincent Manuel, Indosuez Wealth Management

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L’affaiblissement de la demande chinoise et le moindre restockage pourraient limiter le pricing power des acteurs des matériaux de base.

Le deuxième trimestre fut un feu d’artifice: une croissance des résultats record, un taux de marge au plus haut et un niveau de révisions à la hausse quasiment jamais vu… Difficile de faire mieux, d’autant que ces bonnes nouvelles de l’été ont conduit les analystes à réviser à la hausse leurs attentes pour la suite de l’année. Ceci précisément au moment où les prix de l’énergie ont pris leur envol dès fin août et où les tensions sur les chaînes d’approvisionnement et sur les salaires US se font plus évidentes. Faut-il désormais craindre une déception sur les résultats à l’aube de la saison des publications du troisième trimestre?

A première vue, et si l’on s’en tient à une logique arithmétique sur l’impact des prix de l’énergie et des salaires sur l’ensemble des entreprises, ce risque peut sembler exagéré; mais le sujet est plus problématique pour un certain nombre de secteurs industriels. 

Même si les salaires continuent de progresser à un rythme élevé aux Etats-Unis (autour de 5% sur un an selon les données officielles et plutôt entre 3 et 4% selon l’indice des salaires de la Fed d’Atlanta), ils ne représenteraient qu’environ 13% des revenus des entreprises du S&P500: pas de quoi générer mécaniquement un pincement des marges des entreprises américaines au-delà d’un demi-point. Néanmoins, un certain nombre de secteurs est plus nettement affecté par cette tendance: dans les secteurs de la distribution, de l’industrie ou encore des services informatiques, le poids des salaires pèserait plutôt autour de 20% des revenus. Ce risque est à relativiser en Europe où nous n’observons pas de tensions sur les salaires.

Nous sommes face soit à un sujet d’inflation, soit à un sujet de marges et de croissance.

La consommation d’énergie représenterait quant à elle environ 5% de l’indice des coûts de production (PPI) mais ce poids avoisine ou dépasse les 20% dans les secteurs des activités minières et métallurgiques, de la chimie, du papier et des transports et représenterait 10% des coûts de production dans le secteur de l’alimentaire et des boissons. Et, au sein de l’indice des prix à la production qui a crû de 8,3% sur un an aux Etats-Unis à fin août, les matériaux de base ont augmenté de 50% et les biens industriels intermédiaires de 23%. Toute la question est donc de savoir si ces acteurs industriels ont la capacité à transférer ces hausses de prix à leurs clients; nous sommes donc face soit à un sujet d’inflation, soit à un sujet de marges et de croissance. 

On constate par ailleurs une diffusion des problèmes d’approvisionnement. Au niveau macro-économique, l’écart entre l’indice des nouvelles commandes et l’indice d’activité manufacturière illustre bien ces difficultés d’approvisionnement. Apple est en train de réviser à la baisse ses perspectives de ventes d’iPhones pour cette raison. On observe également le reflet de ces difficultés dans la révision à la baisse par le FMI des perspectives de croissance mondiale.

Pour les entreprises, les déséquilibres offre/demande devraient logiquement se traduire par un ajustement par les prix dans un contexte de multiplication des micro-pénuries. Pour le moment, la vigueur de la reprise et les effets de pénurie ont permis aux entreprises industrielles de monter leurs prix pour préserver leurs marges; mais l’affaiblissement de la demande chinoise et le moindre restockage pourraient limiter le pricing power des acteurs des matériaux de base dont la hausse des prix du premier semestre a commencé à s’inverser tandis que les prix de l’énergie accélèrent depuis la fin de l’été. C’est ce scénario que les marchés jouent en ajustant à la baisse la valorisation du secteur, quitte à conduire à des valorisations extrêmement attractives en termes de free cash flow yield.

Les secteurs bancaire et pétrolier bénéficient à la fois d’un bon potentiel de bonnes surprises et de valorisations attractives.

A l’inverse, de bonnes surprises sont à attendre du côté des secteurs positivement corrélés soit à la hausse des taux comme le secteur bancaire, soit à la hausse du prix de l’énergie comme le secteur pétrolier qui souffre en termes de valorisation de son caractère moins investissable sur le plan ESG, ce qui se traduit par une décote importante et un taux de dividendes élevé. Ces secteurs bénéficient à la fois d’un bon potentiel de bonnes surprises et de valorisations attractives et pourraient continuer de rattraper le retard accumulé sur le reste du marché.

Enfin, un ensemble de secteurs devrait rester à l’écart de ces pressions négatives sur les marges – ils ont en commun un pricing power élevé – non pas en raison d’un rapport de force temporairement favorable lié à des déséquilibres offre/demande, mais en raison d’un avantage compétitif lié à des barrières à l’entrée ou une marque forte. C’est évidemment le cas des valeurs du luxe et de la technologie, qui ont corrigé récemment dans un contexte de remontée des taux qui déprécie mécaniquement les valeurs de croissance, mais ces dernières pourraient retrouver un attrait dans cette phase, notamment si les taux longs devaient se stabiliser après la récente hausse.

Finalement, nous pouvons nous attendre à une saison de résultats encore dynamique mais avec un niveau de surprises positives moins élevé qu’au trimestre précédent, ainsi qu’un risque de révision à la baisse qui augmente dans l’industrie et des investisseurs qui se préoccuperont de la tendance pour 2022, année pour laquelle l’on s’attend à une progression beaucoup plus mesurée des bénéfices. 

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