La BCE est-elle devenue américaine?

Vincent Manuel, Indosuez Wealth Management

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La formulation elle-même de l’ancien objectif d’inflation aurait eu des effets déflationnistes sur les anticipations des agents économiques.

©Keystone

Début juillet, la BCE a surpris le marché: en annonçant que le résultat de la revue stratégique de sa politique monétaire la conduisait à réviser son objectif d’inflation en adoptant une cible symétrique de 2%, acceptant ainsi que l’inflation puisse dépasser 2%. La semaine dernière, Christine Lagarde a enfoncé le clou en indiquant que l’inflation pourrait dépasser durablement la cible de 2% avant que la BCE ne modifie sa politique monétaire.

Cette nouvelle posture ne manque pas d’amener les investisseurs à s’interroger: la BCE cherche-t-elle à se donner plus de flexibilité dans un contexte d’inflation instable? Est-ce plus structurellement un abandon de l’ancrage initial de la BCE calqué sur la philosophie de la Bundesbank? Est-ce une façon détournée de pouvoir assurer le financement favorable des Etats plus longtemps? Enfin, le fait que cette décision intervienne moins d’un an après la décision de la Fed d’adopter une nouvelle cible d’inflation (permettant de dépasser 2% plus ou moins durablement) conduit forcément à se poser la question d’une inspiration américaine de la nouvelle stratégie de la BCE ; mais est-ce un parallèle trop facile pour être exact?

La BCE confirme un ancrage de sa politique accommodante
qui dépasse le contexte de la résurgence de la crise Covid.

Premièrement, l’argumentation utilisée dans la revue de la stratégie de politique monétaire démontre la dimension relativement structurelle de cette nouvelle cible d’inflation. La BCE reconnait que le contexte d’inflation structurellement basse et d’abaissement du taux d’intérêt réel d’équilibre (et non uniquement la reprise post-Covid) constituent en effet des challenges qui impliquent d’ancrer des anticipations d’inflation ; et pour ce faire un ciblage symétrique autour de 2% est plus efficace que l’ancienne formule (inflation inférieure à mais proche de 2%). La formulation elle-même de l’ancien objectif aurait eu des effets déflationnistes sur les anticipations des agents économiques. En cela, l’inspiration et la proximité de vue est claire avec sa consœur américaine. Dans le contexte européen actuel, c’est aussi une manière de dire que les achats d’actifs (initiés ou renforcés en 2020 face à la pandémie) pourraient être justifiés par la faiblesse de l’inflation, en deçà de sa cible.

Deuxièmement, si la BCE a rappelé que même si l’objectif de sa politique demeure la stabilité des prix, elle n’a pas manqué d’indiquer qu’elle apporte son soutien aux politiques économiques de l’Union pour atteindre des objectifs de croissance, de plein emploi, de progrès social et de protection de l’environnement. Sans changer les textes, mais en citant le traité de l’UE, c’est une manière de montrer que les objectifs de sa politique monétaire ne se limitent pas à la stabilité des prix, et c’est une façon de créer un équilibre entre cet objectif et l’objectif de croissance et enfin les objectifs sociétaux. Là aussi, la justification et la portée sont plus structurelles que conjoncturelles.

La réunion de la semaine dernière et la conférence de presse semblent apporter une dimension supplémentaire au sujet. En indiquant qu’il faudrait sans doute accepter une inflation temporairement au-dessus de 2% pour stabiliser durablement l’inflation autour de sa cible, et en donnant une «forward guidance» concernant les taux qui resteraient aux niveaux actuels, elle confirme un ancrage de sa politique accommodante qui dépasse le contexte de la résurgence de la crise Covid.

La volonté affirmée de vouloir accélérer le rythme des achats d’actifs
a été perçue positivement par les marchés obligataires.

Un mot sur les perspectives concernant la politique d’achats d’actifs de la BCE. Celle-ci ne semble pas pressée de mettre fin au PEPP qui devrait se poursuivre au moins jusqu’à mars 2022 (ou jusqu’au moment où la crise Covid sera considérée comme terminée) et avec un réinvestissement des maturités au moins jusqu’à fin 2023. La référence aux «conditions financières favorables» intègre de fait la volonté de maintenir un cadre de financement favorable pour l’ensemble des agents y compris les Etats, au-delà de la question de la Covid. 

La volonté affirmée de vouloir accélérer le rythme des achats d’actifs a été perçue positivement par les marchés obligataires, avec des courbes de taux qui ont continué de s’aplatir pendant la conférence de Christine Lagarde. La réaction des dettes dites périphériques à cette nouvelle politique ne s’est pas faite attendre. Le principal gagnant de cette évolution reste en effet la dette italienne, dont le taux 10 ans a baissé de 50 bp depuis mai en passant de 1,1% à son pic à près de 0,6% la semaine dernière.

Toutefois, la question de la composition des achats d’actifs de la BCE se reposera après mars 2022; le jour où la BCE arrêtera d’augmenter la taille de son bilan et se contentera de réinvestir les maturités, il serait possible et logique qu’elle revienne à une clef d’allocation classique entre dettes de chaque pays de la zone, ce qui serait favorable pour la dette allemande et sans doute moins favorable pour la dette italienne. De ce point de vue, le mandat de la BCE garde un caractère très marqué par le contexte européen (devise unique, multiplicité des politiques budgétaires et des dettes publiques) et l’interdiction du financement direct des Etats demeure. En somme, la BCE n’est plus aussi allemande que par le passé, pas encore américaine, mais tout simplement européenne.

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