Essence et dépendances

Thomas Planell, DNCA Invest

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Les énergies renouvelables ne résolvent pas tout à fait le problème de notre dépendance…

Si la page de la crise du gaz de 2022 est tournée, le chapitre n'est pas clos. L'entrée dans la période estivale de reconstitution des stocks nous donnera un aperçu de la longueur du chapitre. Quant à atteindre l'épilogue de cette histoire chahutée qu’est la quête de la sécurité énergétique, c'est une autre affaire. Elle risque de trainer en longueur, tant que nous contenterons de troquer une dépendance pour une autre.

Si le choc pétrolier de 1973 a marqué les esprits, il ne fut pas un galop d’essai pour les producteurs du Moyen-Orient. En 1967, l'Arabie Saoudite, le Koweït, l'Irak, la Libye et l'Algérie avaient déjà utilisé l’arme pétrolière contre les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne de l'Ouest. Entre juin et août 1967, 1,5 million de barils par jour (mb/j) avaient été retirés du marché. Mais la violence du choc de 1973 (4,4 mb/j) fut sans commune mesure. Près de 15% du volume mondial négocié vint ainsi à manquer. Sans variable d'ajustement disponible (les États-Unis étant devenus depuis le début de la décennie importateurs nets), le déficit n'a pu être comblé. L’embrasement des prix et l’effondrement de la croissance économique ont jeté le monde occidental dans la stagflation.

Début avril, l'Arabie saoudite a décidé de réduire sa production d'un demi-million de barils par jour. Le point mort fiscal du Royaume (qui accumule les mégas projets) se situe entre 70 dollars et la zone des 80 dollars au-delà de laquelle il sécurise un excédent budgétaire proche de 6%. Tandis qu’à 82 dollars, le prix du baril WTI est 10 dollars au-dessus de celui auquel les Etats-Unis reconstituent leurs réserves stratégiques.

Le ralentissement économique occidental (qui devrait s’aggraver selon l’AIE, créée en réponse au premier choc pétrolier) contrebalance en partie le choc d'offre aux yeux des investisseurs.

Avec le repli de 500.000 barils par jour de la production russe, c’est au total, du côté de l'OPEP+ (qui produisait déjà en deçà de ses quotas) 1,6 million de barils en moins. À l’échelle de la production du cartel (93,9 mb/j en 2020), cette réduction de moins de deux points de pourcentage pourrait paraître modérée. Mais, avec un déficit net de 2 millions de barils par jour selon certaines estimations, le second semestre pourrait en réalité être marqué par une réduction des stocks occidentaux et une pression haussière significative sur les prix. Pour l’instant, en hausse de moins de 10% seulement depuis l’annonce, les cours restent contenus. Il n’est d’ailleurs pas inhabituel d’observer ce type de variation à cinq jours, en réalité très fréquente sur les marchés pétroliers.

Les attentes d'inflation se sont peu émues de la décision du cartel. Les breakevens américains étaient même en baisse au lendemain de l'annonce, autour de 2,305% à dix ans, niveau dont ils s’éloignent peu en dépit d’un consumer price index sous les attentes en mars. La corrélation entre le pétrole et les attentes de croissance économique continue de jouer à plein. Il est vrai qu'historiquement, en dehors de 1973, ce sont surtout les chocs de demande qui ont causé les mouvements haussiers les plus forts sur le pétrole.

Au contraire, les annonces de baisse de production par l'OPEP ont surtout pesé sur les attentes de croissance, et donc in fine, sur la demande de pétrole. Au cours des 40 dernières années, quand le taux de chômage américain s’est emballé (+3,5% entre 1980 et 1982, +2% entre 1990 et 1992, +2,4% entre 2008 et 2009, +11,2% en 2020) le pétrole a en moyenne baissé de 44%, suggérant une sensibilité de 1,7% du prix du baril pour chaque hausse de 0,10% du chômage américain.

Le ralentissement économique occidental (qui devrait s’aggraver selon l’AIE, créée en réponse au premier choc pétrolier) contrebalance en partie le choc d'offre aux yeux des investisseurs.

Pour Bruxelles, le plus important semble de bannir le moteur à combustion en 2035 plutôt que de progresser sur l’encadrement du marché de l'électricité ou de mettre à niveau le parc nucléaire.

Pour l'instant, il semble donc que le ralentissement économique attendu ait le dernier mot sur le prix des hydrocarbures, qui représentent encore 80% du mix énergétique mondial. Au point que la tempête de l'hiver dernier semble définitivement oubliée.  Le gaz naturel évolue sous les 40 euros le MWh, loin des pics à 300 euros d'il y a quelques mois.

On semble peu à peu convaincu que l'Europe peut se passer sans heurts des importations russes… À condition de fermer les yeux sur les importations de diesel indien par exemple, raffiné à partir de pétrole russe… Ou encore sur les importations de GNL depuis la Russie qui n'ont pas toutes été coupées. Tandis que, s'il n'est pas taché de sang, le GNL américain auquel l'Europe a recours depuis la guerre n'est pas pour autant vert. On sait combien l'extraction des bassins de schistes n'est pas des plus vertueuses.

Pour Bruxelles, le plus important semble néanmoins de bannir le moteur à combustion en 2035 plutôt que de progresser sur l’encadrement du marché de l'électricité ou de mettre à niveau le parc nucléaire. Ce qui profite à la Chine. Parmi les plus avancés sur la voie de la mobilité électrique, le pays commence à exporter en masse ses véhicules à batterie bon marché (non dénués de qualités) sur le territoire européen, comme en atteste la vertigineuse croissance des ventes de la marque LYD en Europe. Notamment destinées à alimenter la flotte, les énergies renouvelables ne résolvent pas tout à fait le problème de notre dépendance.

À l'image des cellules photovoltaïques de nos installations, les terres rares, indispensables, proviennent du marché chinois qui cultive le secret quant à ses réserves. Il faudra beaucoup de temps pour que les initiatives de sécurisation des approvisionnements en minéraux et métaux critiques proposées par la Commission européenne produisent leurs premiers effets.

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