Entre le marteau et l’enclume

Alan Mudie, Woodman Asset Management

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Les banques centrales sont condamnées à lutter contre l'inflation tout en essayant d’apaiser les tensions du système financier.

Les banquiers centraux n’ont jamais eu une vie facile, mais les événements des dernières semaines ont rendu leur travail encore plus difficile. Ils semblent coincés entre l’enclume de pressions inflationnistes persistantes et le marteau de faillites bancaires médiatisées. Comment peuvent-ils sortir de ce piège ?

Les banques centrales modernes ont des mandats légèrement différents de leurs gouvernements — certaines, telle la Fed, visent le plein emploi, mais presque toutes sont tenues de maintenir la stabilité des prix, souvent définie comme le maintien de l’inflation à 2,0% ou en dessous. Il n’y a pas de magie particulière dans ce niveau, sinon qu’il reste assez bas pour être relativement indolore pour les ménages et les entreprises tout en se situant à une distance raisonnable de la déflation, c’est-à-dire une baisse générale des prix.

Mais les banques centrales ont un autre mandat essentiel qui est rarement mentionné — agir en tant que «prêteur de dernier ressort» pour éviter les paniques bancaires et assurer le bon fonctionnement du système financier. En effet, les racines de la Fed remontent à la panique bancaire de 1907 — après que les marchés ont été renfloués par des garanties personnelles et les fonds de financiers individuels comme J. P. Morgan, le Congrès a réalisé que le gouvernement avait la responsabilité de garantir la stabilité financière, ouvrant la voie à la création de la Fed en 1913.

Pour des raisons évidentes, le mandat d’inflation est celui qui est le plus familier au public. En tant que phénomène monétaire, l’inflation est liée aux flux et reflux de l’offre de monnaie, que les banques centrales peuvent influencer par leur supervision des banques commerciales. Et en tant que phénomène économique, l’inflation tend à augmenter pendant les expansions et à diminuer pendant les récessions, que les banques centrales peuvent influencer par la politique monétaire. Aucune autre institution publique n’est aussi bien placée pour faire face à ce qui est devenu la préoccupation économique numéro un des Américains.

Du côté du marteau

Les récents rapports sur les prix ont déçu les attentes d’une rapide atténuation des pressions inflationnistes, due à l’effondrement des prix de l’énergie (le brut Brent est en baisse de -40,7% par rapport au pic de l’année dernière et le gaz naturel européen de -87,3%). Néanmoins, l’inflation sous-jacente ne semble pas se relâcher aussi rapidement qu’espéré. Dans la zone euro, l’inflation sous-jacente (IPC core, qui exclut les prix volatils de l’alimentation et de l’énergie) a atteint un niveau record en février à 5,6%, tandis que l’IPC général et l’IPC core ont tous deux augmenté au Royaume-Uni. Et aux États-Unis, l’IPC core de février à 5,5% est toujours nettement supérieur aux taux directeurs — fixés mercredi dernier à 4,75 -5,0% — tandis que l’IPC «sticky» de la Fed d’Atlanta, qui mesure les prix qui changent le moins fréquemment, est toujours bloqué à un niveau record depuis 40 ans.

Tant que les consommateurs n’auront pas vu une diminution significative du rythme de hausse de leurs factures ménagères, il sera difficile pour les banques centrales de ne pas agir. Il y a deux semaines, la BCE a augmenté les taux de dépôt de 50 points de base, soulignant que l’inflation reste « trop élevée », et la semaine dernière, la Fed, la BOE et la BNS ont toutes augmenté leurs taux, respectivement de 25Pb, 25Pb et 50Pb.

La normalisation de la politique monétaire a servi à mettre en évidence les fragilités des modèles d'entreprise insuffisants,
Du côté de l’enclume

On dit souvent que les banques centrales resserrent leur politique jusqu’à ce que quelque chose se casse, et les événements des trois dernières semaines semblent indiquer que ce point a été atteint, avec les deuxième et troisième plus grandes faillites bancaires de l’histoire des États-Unis suivies de près par la vente forcée de la deuxième plus grande banque de Suisse. Il est vrai que chaque cas a ses spécificités idiosyncratiques — une surexposition à des dépôts non assurés et une gestion des risques insuffisante dans les cas de Silicon Valley Bank et Signature Bank, et des problèmes de stratégie d’entreprise non-résolus et une série apparemment interminable de clients à problèmes très médiatisés dans le cas de Credit Suisse (CS). Mais ces maux ne seraient jamais devenus mortels si les taux d'intérêt étaient restés proches de zéro - la normalisation de la politique monétaire a servi à mettre en évidence les fragilités des modèles d'entreprise insuffisants, même si les taux directeurs restent inférieurs à l'inflation des deux côtés de l'Atlantique.

La crise a contraint les banques centrales à intervenir. La Fed a accepté de prêter aux banques contre un collatéral de haute qualité au pair plutôt qu'aux prix de marché, et a coordonné une augmentation de la liquidité en dollars via des accords de swap avec la BCE et quatre autres banques centrales. La BNS a offert jusqu'à 100 milliards de francs suisses d'assistance en liquidités à UBS et CS, en plus de l'accès illimité des banques à ses facilités de liquidité existantes. Et peut-être que la BCE sera contrainte d'intervenir si la baisse massive des actions de Deutsche Bank et la hausse de ses CDS, des swaps qui permettent aux investisseurs de se couvrir contre un défaut, se traduisent par une crise à part entière.

Et maintenant?

En somme, l'ampleur de la crise dans le secteur bancaire mondial au cours des derniers jours est telle que les régulateurs seront contraints de réagir. Leur réponse devrait impliquer un resserrement supplémentaire de la supervision et de nouvelles exigences visant à renforcer les ratios de capital et de liquidité au-delà des niveaux actuels. Cela entraînera à son tour des banques plus averses au risque avec des rendements sur capitaux propres structurellement plus faibles. Le danger est que l'effet combiné de ces mesures entraîne un resserrement supplémentaire des normes de crédit des banques, réduisant ainsi l'accès au crédit des entreprises et des ménages, ce qui est susceptible de fragiliser l'activité économique.

La faiblesse du secteur bancaire, comme en témoigne la forte baisse (-20%) des actions des banques de la zone euro depuis le 6 mars, nous montre que la crise n'est pas encore terminée, ce qui signifie que les banques centrales devront maintenant poursuivre deux objectifs potentiellement contradictoires - réduire l'inflation tout en apaisant les tensions du système financier. Des deux, le second est susceptible de prendre le dessus. Les banquiers centraux ont déjà démontré leur volonté de jouer le rôle de prêteur en dernier ressort. De plus, ils peuvent espérer qu'un ralentissement économique pourrait atténuer les pressions inflationnistes, permettant ainsi un assouplissement de la politique monétaire. Cependant, une activité plus faible - ou une récession - ne présage rien de bon pour les bénéfices des entreprises ni pour les marchés boursiers mondiaux. Les investisseurs pourraient également se retrouver coincés entre le marteau et l'enclume.

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