En Chine, le tumulte réglementaire détourne l'attention des fondamentaux

Stéphane Monier, Lombard Odier

4 minutes de lecture

Pour l'instant, l’actualité réglementaire domine le marché et les investisseurs doivent rester réactifs. Mais la volonté d’imposer un nouveau cadre réglementaire devrait s'essouffler d’ici six à douze mois.

Points clés
  • La réglementation des entreprises technologiques et les interventions des autorités ont fait chuter les marchés boursiers tandis que la Chine édicte des normes de surveillance et de protection des données
  • Le vieillissement de la population va impacter le PIB, toutefois la productivité chinoise signifie que le pays peut atteindre son objectif de doubler la taille de son économie d'ici 2035 
  • Les politiques monétaires et budgétaires sont plus favorables et l’environnement réglementaire devrait concentrer ses efforts sur la conformité dans les six à douze mois
  • La volatilité à court terme signifie que les investisseurs doivent rester réactifs. Les solides assises de la Chine soutiennent les investissements dans la deuxième principale économie du monde.

Les interventions des autorités chinoises à l'encontre des sociétés technologiques se sont poursuivies la semaine dernière, entraînant un nouveau recul des cours boursiers des principales entreprises du pays. Dans le même temps, le gouvernement a réitéré ses appels en faveur d'une meilleure répartition des richesses, ce qui a entraîné une baisse des actions des entreprises de soutien scolaire. La chute des cours des actions chinoises a incité les investisseurs, dont nous faisons partie, à examiner de plus près les perspectives de la Chine. La volatilité à court terme ne devrait pas assombrir les atouts sous-jacents de la Chine en matière d'investissement.

Ces interventions s’apparentent à une tentative de la Chine de mettre en place une législation sur la protection des données et sur les trusts, jusqu'alors faible comparativement à celle de ses pairs mondiaux, et de se rapprocher des normes internationales. Afin de contrer les monopoles, les régulateurs chinois ont durci l'application des lois antitrust, notamment par le biais d’amendes, d’avertissements et d’enquêtes sur les acquisitions et les joint-ventures. Ces règles ont constitué un défi pour Alibaba, Tencent, Baidu, Didi Global ou Meituan. Les autorités chinoises ont également fixé des standards plus élevés pour les introductions en Bourse. Elles ont notamment suspendu l’entrée en Bourse d'Ant Group à Hong Kong et Shanghai, d’un montant de 37 milliards de dollars - la plus importante au monde si elle avait eu lieu - et renforcé les exigences en matière de prêts en ligne et de fonds propres des banques. 

L'Administration chinoise du cyberespace (CAC) a opéré des changements en matière de sécurité des données, en limitant la collecte de données personnelles, après que Weibo ait tenté d’influencer l'opinion publique sur les médias sociaux l'année dernière. Mi-juillet, la CAC a également retiré Didi Global, qui compte près de 500 millions de clients pour ses services de véhicules avec chauffeur, des stores chinois d’applications sur portable. Didi s’était introduite à la Bourse de New York (NYSE) le 30 juin. Les autorités exigent désormais que les entreprises comptant plus d'un million d'utilisateurs et souhaitant être cotées sur un marché étranger, se soumettent à un examen de cybersécurité. Par ailleurs, au début du mois, l'un des jeux vidéo de Tencent Holding a été qualifié de «drogue électronique» par un média gouvernemental. L’action de Tencent, la plus grande entreprise chinoise en termes de valorisation boursière, a dégringolé de 11%, ce qui porte à 45% sa chute depuis son point culminant de janvier 2021.

«La prospérité pour tous»

Une partie de cette réglementation a été expliquée par la quête d’une meilleure redistribution des richesses. La Commission centrale des Affaires économiques et financières du pays a déclaré la semaine dernière qu'elle prévoyait «de réglementer les revenus excessifs et d'encourager les groupes et entreprises à revenus élevés à contribuer davantage à la société». La semaine dernière, le président chinois Xi Jinping a lancé un nouveau défi à l'industrie technologique en lui demandant de «réglementer ses rémunérations élevées». Plutôt que d'œuvrer à la création de richesses à tout prix, le parti vise désormais «la prospérité pour tous».

La Chine veut devenir une économie à revenu élevé au cours des quinze prochaines années en doublant son produit intérieur brut. Selon la définition de la Banque mondiale, une économie à haut revenu est une économie dont le revenu national brut par habitant est supérieur à 12’535 dollars. En 2019, le PNB par habitant de la Chine était de 10’410 dollars, soit une multiplication par dix depuis que le pays a adhéré à l'Organisation mondiale du commerce en 2001. En 2018, la Banque mondiale a estimé que 373 millions de citoyens chinois gagnaient moins de 5,50 dollars par jour, ce qui correspond au seuil de pauvreté que l’institution a fixé pour les «pays à revenu moyen supérieur». 

Autre indicateur de la pensée du Parti communiste, les régulateurs ont également déclaré le mois dernier que le soutien scolaire devait être à but non lucratif dans les matières principales, afin de réduire le coût de la vie et ainsi augmenter le taux de natalité de la Chine. En octobre 2015, après plus de trois décennies, la Chine a élargi sa politique de l'enfant unique à deux enfants par couple. Cela n'a pas empêché l'année 2020 d'enregistrer la plus faible croissance démographique du pays depuis le premier recensement fiable de 1953, et de voir le taux de fécondité de la nation régresser à 1,3 enfant par femme, au-dessous du 1,7 des Etats-Unis et du 1,4 du Japon. En mai 2021, le gouvernement chinois a relevé la limite à trois enfants. 

Les défis démographiques s'accumulent pour la Chine, car sa population vieillit et un moins grand nombre de travailleurs doit compenser une base imposable plus faible. Le rapport entre les actifs et les plus de 65 ans est passé de 11% à 20% en une décennie, alors que la population en âge de travailler a diminué de 3%. 

Malgré les prévisions des Nations unies indiquant que la population chinoise culminera en 2030, il est probable qu'elle ait déjà atteint son niveau le plus élevé. Même la Banque populaire de Chine (BPC) a révélé l’existence d’incitations à surévaluer les données démographiques aux niveaux régional et ministériel, car les budgets sont liés aux chiffres de la population. «Nous devons prendre conscience que la situation démographique de la Chine s'est inversée», a déclaré la banque centrale en avril.

Perspectives de croissance

Le vieillissement démographique a commencé à peser sur la croissance globale de la Chine en 2016, à raison de 10 à 30 points de base par année. Durant les quinze prochaines années, nous nous attendons à ce que ce processus abaisse la croissance de 50 points de base en moyenne, supprimant ainsi jusqu'à 1% du PIB d'ici 2035. Toutefois, si la Chine parvient à répliquer les trajectoires de productivité de la Corée du Sud ou de Taïwan, elle devrait pouvoir maintenir sa croissance annuelle entre 4,0 et 4,5% malgré la pression démographique. 

En mars, la BPC anticipait une croissance potentielle annualisée comprise entre 5% et 5,7% jusqu'en 2025. Selon nous, la croissance potentielle à long terme de la Chine est désormais inférieure à 5%. Cela dit, nous tablons sur un taux de croissance de 5,3% pour l’année prochaine, ce qui exclurait un déclin de l'emploi, malgré les conséquences démographiques négatives d’une population vieillissante. 

A très court terme, l'impact économique du variant Delta, le ralentissement des flux de crédit et d'investissement ainsi que les récents changements réglementaires vont affaiblir la croissance au troisième trimestre. Cependant, l’économie continue à bénéficier d’un soutien budgétaire et monétaire. Nous pensons que les trois derniers mois de 2021 compenseront une partie de la faiblesse de ce trimestre, et prévoyons une croissance supérieure au potentiel, de 8,7% pour l'ensemble de l'année.

Ajustement de l’allocation aux actions

Pour l'instant, l’actualité réglementaire domine le marché et les investisseurs doivent rester réactifs. Néanmoins, nous pensons que la volonté d’imposer un nouveau cadre réglementaire s'essoufflera d’ici six à douze mois, car la Chine entre dans une phase de mise en conformité et les entreprises s'adaptent. Celles qui ne se trouvent pas encore dans le viseur se conformeront aux règles afin d'éviter d’attirer une attention dommageable. Nous ne pensons pas non plus que cet élan réglementaire, destiné à combler un vide, prendra une tournure encore plus dramatique vers la nationalisation. 

En mars, nous avons réduit notre exposition aux actions chinoises avec un positionnement de portefeuille sous-pondéré, car nous avons constaté des risques réglementaires croissants, un durcissement de la politique monétaire et une dynamique des bénéfices défavorable. Ce positionnement prudent a porté ses fruits. Aujourd'hui, les valorisations des actions sont plus proches de leurs moyennes et, grâce à la politique monétaire plus accommodante de la BPC, nous nous attendons à une amélioration de l'activité économique. En conséquence, nous pensons que les marchés vont se révéler plus stables et que le profil risque/rendement est désormais plus équilibré. Nous avons ainsi tiré profit des récents mouvements des cours pour ramener notre positionnement à un niveau neutre. 

Les rendements des obligations chinoises conservent leur attrait et continuent à offrir des vertus de diversification du portefeuille. Le renminbi bénéficie toujours de valorisations solides et d'une balance des paiements robuste, cependant le ralentissement des exportations et la politique plus neutre de la banque centrale signifient que nous avons pris des bénéfices sur notre exposition à la devise en réduisant de moitié notre surpondération.

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