De la meilleure manière de sortir d’un fossé

Christopher Smart, Barings

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Quelques clés pour l’analyse des dépenses publiques américaines et de leur impact sur l’économie à long terme.

Quoique souvent trompeuses, les métaphores peuvent aussi s’avérer utiles. Ainsi imaginer Joe Biden au volant d’une automobile peut permettre de mieux comprendre la situation dans laquelle se trouve celui qui est chargé de l’élaboration de la politique économique. Il doit faire bouger son véhicule et sait qu’il n’existe pas de dépanneuse suffisamment puissante pour l’aider. Appuyer sur l’accélérateur signifie prendre le risque d’une embardée incontrôlable ou de faire patiner les roues et de s’embourber davantage.

Au vu des 1900 milliards de dollars que la nouvelle administration va ajouter à la dette américaine ainsi que des dépenses qui suivront cette année, les investisseurs s’interrogent. Cette explosion monétaire va-t-elle précipiter l’économie vers une catastrophe inflationniste ou produire une génération d’entreprises zombies et conduire à une baisse durable de la productivité? Les réponses à ces questions sont négatives et si l’inflation reprend un jour le chemin de la hausse, il est probable que ce sera à un rythme aussi lent que celui qui a prévalu durant sa baisse de ces dernières décennies. Dans l’intervalle, les nouveaux emprunts ne poseront pas de problèmes supplémentaires tant qu’ils servent à des dépenses qui maintiennent la croissance à un niveau supérieur à celui des taux d’intérêt.

Le débat concernant la dette donne généralement lieu à une grande confusion. Même si l’encours de la dette américaine représente dorénavant plus de 100% du PIB et semble encore devoir augmenter, la charge de cette dette a en réalité diminué du fait du bas niveau des taux d’intérêt.  Par ailleurs, le risque de défaut est pratiquement nul dans la mesure où un pays qui émet des emprunts dans sa propre monnaie dispose toujours de la possibilité d’en imprimer davantage.

Plus la durée pendant laquelle une personne reste sans emploi
est longue, plus il lui sera difficile de retrouver du travail.

La question la plus épineuse qui se pose vient du fait que l’inflation a reculé alors que le déficit et l’endettement des Etats-Unis s’envolaient. Selon certains économistes, la mondialisation et la disruption des marchés du travail causée par la Chine ont participé à contenir la hausse des salaires. D’autres estiment que la stimulation de l’épargne découlant du vieillissement de la population a participé au maintien de taux bas. La médiocrité des infrastructures et les inégalités sont également susceptibles d’y avoir contribué.

Mais tout passe et l’inflation pourrait même reprendre un jour lorsque les dépenses de la tranche la plus âgée de la population en viendront à dépasser l’épargne de la tranche relativement moins nombreuse des jeunes travailleurs. Tel est du moins l’argument avancé par Charles Goodhart et Manoj Pradhan dans un ouvrage provocateur paru l’année dernière. En effet, de nouveaux tarifs douaniers et des guerres commerciales risquent de réduire encore les avantages tirés de la mondialisation. Cependant, si tous ces facteurs étaient les principaux responsables de la baisse des coûts enregistrée depuis des décennies, il est difficile d’envisager un revirement soudain ou accidentel de cette tendance alors que l’innovation technologique continue à réduire les coûts de production.

Si l’hypothèse de l’embardée inflationniste semble peu probable, qu’en est-il du risque de s’embourber? Une distribution trop généreuse de chèques peut certes décourager un certain nombre d’individus de retourner au travail, mais le principal sujet de préoccupation est celui des légions toujours plus nombreuses de chômeurs de longue durée. Or, plus la durée pendant laquelle une personne reste sans emploi est longue, plus il lui sera difficile de retrouver du travail. Une autre question à laquelle il est encore plus difficile de répondre est celle de l’impact de l’argent bon marché sur la productivité des entreprises et sur la pérennité de celles qui ne restent à flot entreprises que parce que leurs charges d’intérêts sont très basses. Jusqu’à présent ces préoccupations paraissent cependant théoriques dans la mesure où l’argent bon marché n’a pas réduit le nombre de faillites et où la productivité entame actuellement sa remontée.

Il n’existe pas de solutions faciles ou de réponses clés en main aux problèmes
auxquels l’administration Biden se trouve confrontée.

Pour ce qui concerne l’accroissement des dépenses publiques, le plus important sera de s’assurer qu’elles portent principalement sur ses projets qui améliorent le potentiel de croissance de l’économie à long terme, notamment dans les domaines des infrastructures et de l’éducation. Bien évidemment, ces dépenses supposent des choix politiques difficiles dans la mesure où il s’agit de rationaliser le processus d’approbation des projets et de s’attaquer aux problèmes sociaux complexes qui façonnent l’enseignement et l’apprentissage. En matière climatique, la politique devra également viser à l’équilibre entre coûts et opportunités économiques. Et, tout aussi controversée est la question de la réforme de l’immigration alors que la croissance durable exige une augmentation du nombre de personnes employées.

Repousser les échéances

S’assurer que l’argent est bien dépensé et que les dettes restent supportables sont les principaux sujets abordés dans un récent rapport rédigé conjointement par Robert Rubin, ex-secrétaire au Trésor, Peter Orszag, ex-directeur du budget, et Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie. Plutôt que de s’appuyer sur la fixation d’objectifs arbitraires en matière d’endettement ou de déficit, ce trio improbable suggère de repousser les échéances des emprunts de manière à réduire leur sensibilité à une éventuelle hausse des taux. Il préconise également d’utiliser des «stabilisateurs automatiques» plus robustes pour stimuler les dépenses, par exemple dans les infrastructures en période de ralentissement économique, c’est-à-dire au moment où elles sont les plus nécessaires.

Il n’existe pas de solutions faciles ou de réponses clés en main aux problèmes auxquels l’administration Biden se trouve confrontée durant cette phase de mise en place des bases de la relance de ces quatre prochaines années. Par ailleurs, le débat qui porte sur ce qui constitue ou non une bonne politique évolue pratiquement aussi rapidement que le débat politique lui-même. Cependant, s’il y a une certitude, c’est que le véhicule ne peut pas rester planté dans le fossé et qu’il n’y a aucune dépanneuse en vue.

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