De la crainte à l’espoir

Peter de Coensel, DPAM

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L’année 2021 s’annonçant difficile pour l’obligataire, il faut voir loin et s’armer de patience.

Les marchés obligataires internationaux sont anxieux. La nervosité des sélectionneurs de fonds obligataires s’accroît en raison inverse des performances qui, depuis le début de l’année, s’enfoncent en terrain négatif. Les gérants de fonds obligataires sont mis à l'épreuve. Ils doivent non seulement prendre leurs décisions dans un contexte de volatilité croissante, mais aussi réussir à maintenir un équilibre entre les mesures de protection de leurs portefeuilles à court terme et leur confiance dans un potentiel à long terme qui est à la hausse. La promesse d’une relance, basée sur l’anticipation d’une forte croissance du PIB dès 2021, s’est traduite par une pentification marquée de la courbe des taux aux Etats-Unis. Le succès de la relance implique en effet le redémarrage d’un processus de progression des attentes en matière d'inflation. 

Le programme d’achats d’actifs de la banque centrale étant clairement établi,
la probabilité d’une crise du type de celle de 2013 est limitée
Pentification et relance

Cette pentification de courbe des taux n’a guère inquiété les marchés actions du fait qu’elle résulte principalement de l’amélioration des perspectives de croissance. La Réserve fédérale (Fed) a pour sa part rassuré les intervenants sur le marché en réaffirmant son maintien des taux directeurs au niveau actuel pendant encore deux ans au moins. De plus, le programme d’achats d’actifs de la banque centrale étant clairement établi, la probabilité d’une crise du type de celle de 2013(1) est limitée. Cependant, si les indications prospectives venaient à évoquer un désarrimage des taux ou une réduction des achats d’actifs, alors les primes de terme pourraient augmenter.

Jusqu'à présent, la pentification des courbes des taux n’a fait que refléter les perspectives de relance, notamment sur l’ensemble des marchés d’obligations d’Etat libellés en dollars (Australie, Nouvelle-Zélande, Canada), mais aussi sur celui des bons du Trésor américain. Aux Etats-Unis, les attentes d'inflation à 10 ans, à savoir le point mort d’inflation, ont culminé à 2,25% pour reculer ensuite de 10 points de base et clôturer la semaine dernière à 2,16%. De fait, la progression du point mort qui a démarré en avril 2020 a été alimentée par des taux réels plus bas ainsi que par la hausse légère des taux nominaux. Mais cette dynamique s’est interrompue la semaine passée. 

Hausse des taux en vue?

Sur le marché, les ventes ont été plus importantes sur les taux réels que sur les taux nominaux. Les marchés obligataires estiment dorénavant que la combinaison des politiques monétaire et budgétaire pourrait doper la croissance durant les trois à cinq ans à venir. Comme nous l’avions montré la semaine dernière, si ce scénario de relance à court terme se réalise, le 10 ans américain pourrait évoluer autour de 1,45%. Selon notre scénario central, il devrait passer à 1,60% d’ici la fin 2021, compte tenu de la hausse de la croissance ainsi que d’un supplément de prime de terme. Comment cela s’explique-t-il?

Quel est le risque que la Fed commette une erreur de politique monétaire
du fait que la croissance et l’inflation s’avèrent plus élevées qu’attendu? 

Le scénario risqué est construit à partir de l’hypothèse d’une Fed qui hésite à exprimer fermement sa détermination en matière de taux et d’assouplissement quantitatif. Tout se passerait alors comme si le génie était sorti de sa bouteille, car en coulisses, le marché table de plus en plus sur une réduction de l’assouplissement quantitatif en 2022 puis sur une première hausse des taux directeurs au 2e semestre 2023. Est-ce raisonnable? Quelles sont les chances que la Fed cède à la pression du marché si l’inflation progresse effectivement d’avril à juin? Quel est le risque que la Fed commette une erreur de politique monétaire du fait que la croissance et l’inflation s’avèrent plus élevées qu’attendu sur l’horizon habituel de ses projections? 

De fait, le marché est véritablement en train de tester la capacité de la Fed à agir conformément à sa nouvelle règle de ciblage de l’inflation moyenne. Une erreur de sa part pourrait se traduire par une pentification encore plus marquée de la courbe des taux, les investisseurs obligataires exigeant, pour se protéger, des primes de terme plus élevées. La politique monétaire influence de manière très directe l’évolution et l’importance de la prime de terme, que cette dernière soit positive ou négative. La combinaison d'une dynamique de relance (qui viendrait corroborer les attentes d'inflation et soutenir la croissance réelle) et d'un désarrimage de la politique monétaire (qui pousserait les primes de terme à la hausse) est susceptible de catapulter le 10 ans américain au-dessus de 2,00%. 

Sachant que le marché raisonne généralement à partir des probabilités de réalisation des différents scénarios, attribuons pour les besoins de l’exercice, un taux de 75% à un impact lié uniquement à la relance et de 25% à une augmentation des primes de terme et d’une croissance plus forte qu’attendu, cela aboutit à un 10 ans américain qui reste aux alentours de 1,60% (75% x 1,45% + 25% x 2,00% = 1,5775%). 

Les portefeuilles équilibrés, qu’ils soient défensifs ou dynamiques,
affichent des performances nettement positives.

Si l’on se place sur le marché à terme, les taux des bons du Trésor à 5 ans dans 5 cinq ans ont clôturé à 2,15%, soit à leur niveau de fin 2019. A cette époque, la courbe des taux américains était relativement plate, les taux à 5 ans se situant autour de 1,70%, ceux à 10 ans à 1,85% et ceux à 30 ans à 2,25%. Or, vendredi dernier, les taux à 30 ans se sont établis à 2,14%, comblant ainsi pratiquement l’écart. 

Des performances peu rassurantes

Pour revenir au thème de l’anxiété qui règne sur les marchés obligataires, examinons les déboires enregistrés depuis le début de l’année : la performance des emprunts d’Etat européens a été de – 2,25% et celle des obligations d’entreprises de qualité de -0,71% (rappelons qu’en 2020, la performance de ces dernières, à 2,73%, a été pratiquement de moitié inférieure à celle des emprunts d’Etat, à 5,25%). Cette année, la résistance des obligations d’entreprise s’explique par leurs échéances moyennes nettement plus courtes ainsi que par le programme ininterrompu d’achat d’obligations d’entreprise de la BCE. 

En matière de performances, la palme revient au segment des obligations européennes à haut rendement (+1,19%) qui est d’ailleurs le seul à afficher des résultats positifs sur le marché obligataire. Les performances au plan mondial ne sont guère plus rassurantes: elles s’établissent à -1,72% pour l’indice JP Morgan Global Government Bond (GBI) et elles sont passées la semaine dernière de +0,50% à -0,92% pour le JP Morgan GBI-Emerging Market Global Diversified. Il convient donc de faire face à la réalité: 2021 sera vraisemblablement une année difficile pour les investisseurs obligataires. 

Mais une bonne nouvelle

Il existe cependant des éléments encourageants: les portefeuilles équilibrés, qu’ils soient défensifs ou dynamiques, affichent des performances nettement positives. Et tant que le discours sur la relance prévaudra, les actions seront en mesure de bien résister à la hausse des taux, car qui dit croissance potentielle plus élevée, dit également taux réels en hausse. Cependant, si les taux américains à 10 ans, qu’ils soient réels ou nominaux, venaient à grimper de 60 à 75 points de base par rapport à leurs niveaux de clôture de -0,81% et 1,34% en raison de la crainte d'un resserrement de la politique monétaire plus rapide que prévu, les marchés actions pourraient sombrer dans la panique. Mais dans ce cas, ce serait une bonne nouvelle pour les investisseurs en titres à taux fixe, car ils bénéficieraient ainsi d’une belle occasion d’achat sur repli, une stratégie qui fonctionne toujours sur les marchés obligataires. Mais, il faut l’admettre, elle exige de la patience, une vertu qui tend à se perdre de nos jours.

 

(1) En 2013, lorsque la Fed a évoqué la possibilité d’un arrêt de sa politique d’assouplissement quantitatif, le marché obligataire a fortement corrigé. 

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