De l’Economie en Amérique

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Aujourd’hui comme au temps d’Alexis de Tocqueville, c’est aussi de la Démocratie en Amérique qu’il convient de se préoccuper.

Une (courte) visite aux Etats-Unis, m’a permis de percevoir un malaise grandissant face à la confirmation du ralentissement de l’économie. Aujourd’hui comme au temps d’Alexis de Tocqueville, c’est aussi de la Démocratie en Amérique qu’il convient de se préoccuper.

Depuis le début de l’année, les marchés ont repris leur course en avant. Mais les acteurs économiques et les investisseurs sont devenus plus prudents dans un environnement qu’ils jugent désormais beaucoup plus incertain, pour ne pas dire menaçant. Est-ce justifié?

La première puissance économique du monde se porte encore très bien. En témoignent plusieurs indicateurs d’activité, tels que l’emploi qui continue de progresser. Alors qu’on ne l’espérait plus, le taux d’activité des personnes recommence à croître, parmi les femmes d’une part et chez les millenials qui – enfin – intègrent plus nombreux le marché du travail. Plus de 70% des entreprises cotées ont surpassé leurs annonces bénéficiaires pour le quatrième trimestre. Les prévisions pour cette années sont encore de l’ordre de +7%, ce qui traduit des perspectives de croissance encore solides, alors même que les effets des baisses d’impôts s’estompent. Même en phase de décélération, l'économie américaine reviendrait vers son potentiel, c’est-à-dire, une croissance de l’ordre de 2% cette année.

Les aléas de la politique forcent l’attentisme.

Mais de nouveaux risques apparaissent: le fort endettement des entreprises et le renchérissement des coûts de financement des dettes les moins solides. Les défauts de remboursement sur les prêts automobiles ont également fortement augmenté.  En outre, le marché de l’immobilier se tasse.  Enfin, l’Amérique voit ses partenaires et rivaux commerciaux ralentir: l’Europe et la Chine marquent le pas. Concernant cette dernière, les indicateurs fiables manquent de plus en plus. La croissance semble désormais inférieure à 3% au  lieu des 5,5% à 6% officiellement promis.

L’horizon s’est donc assombri. Les ventes de détail de fin d’année ont été anormalement faibles. Les indices de confiance des consommateurs se sont détériorés. Les aléas de la politique forcent l’attentisme. Quel que soit le résultat des négociations commerciales sino-américaines, les mesures douanières déjà prises, notamment sur l’acier et l’aluminium, ont touché les industries concernées – notamment l’automobile – qui n’ont pas pu répercuter les hausses de prix qu’elles ont dû absorber. Les politiques de quotas d’importations sont encore plus mal perçues par les entreprises touchées, car elles créent des pénuries. Dans tous les cas, de nombreux secteurs doivent reconsidérer leurs circuits d’approvisionnement sans pour autant être assurés de leur pertinence à terme.  Ainsi, le Congrès ne semble-t-il pas près de ratifier le nouvel accord entre le Mexique, le Canada et les Etats-Unis. D’autres mesures – toujours dans l’automobile – pourraient encore perturber les marchés.

De même, les politiques de restriction migratoire accroissent les coûts de recrutement et de management des entreprises faisant appel à du personnel non américain, du fait de l’alourdissement des procédures et de l'allongement des délais d’embauche. Ce ne sont que des exemples, il reste encore difficile d’extrapoler l’impact des mesures commerciales au niveau macroéconomique.

De son côté la Réserve Fédérale a nettement infléchi son discours. Jerome Powell en mettant en avant la poursuite du resserrement monétaire et le «pilotage automatique» de la réduction du bilan de la Fed a certainement contribué à l’affolement des marchés à l'hiver dernier. Depuis le revirement de janvier, la Fed a rassuré, se montrant plus attentiste sur les taux et plus modeste sur la réduction des actifs. Mais ce retour à la neutralité – déjà interprété comme un arrêt définitif du resserrement monétaire – a aussi conforté les craintes des plus pessimistes sur les risques qui pèseraient sur la croissance.

Dans une société à la population vieillissante,
d’où viendront les gains de productivité?

A plus long terme, l’Amérique s’interroge aussi. Quelle est la contribution de l’immigration à sa propre croissance et quel risque encourt-elle en voulant la réduire? Dans une société à la population vieillissante, d’où viendront les gains de productivité? Le développement de l’Intelligence Artificielle est une réponse qui fait peur à tous. Comme d’autres révolutions industrielles avant celle-ci, elle induit des bouleversements majeurs sur le marché du travail et dans une société où les élites semblent encore mal préparées à y répondre. Enfin le débat sur la transition énergétique rebondit avec la proposition des jeunes loups du parti Démocrate de lancer un grand plan pour la réduction des gaz à effet de serre.

Ces questions ne semblent pas devoir trouver de réponses immédiates dans un climat politique très dégradé:

  • Le Président Trump a décidé de recourir à des mesures exceptionnelles d’urgence pour financer la prolongation du mur frontalier avec le Mexique. Cette procédure lui permet de mobiliser les fonds d’autres agences – notamment la Défense. Ce recours, considéré par beaucoup – y compris dans les rangs des Républicains – comme un grave précédent et un abus de pouvoir, devrait déclencher de nombreuses procédures judiciaires de contestation. Cette atmosphère conflictuelle entre le Président et le Congrès, focalisera l’attention des médias.
  • Par ailleurs, les révélations sur la campagne électorale de 2016 et la conduite des affaires publiques à la Maison Blanche continuent d’entacher l’image de la Présidence. Les  conclusions finales de l’enquête Mueller pourraient mettre directement en cause des membres de la famille Trump.

L’Amérique est déjà entrée en campagne électorale. Face au Président sortant, certes affaibli mais toujours incontournable, la liste des prétendants démocrates s’allonge de jour en jour. Les premiers débats en vue de la primaire sont déjà programmés pour le début de l’été.

La polarisation de la vie politique, à droite comme à gauche, dévoile la division du pays et rejaillit sur la politique économique actuelle, comme sur le programme des premiers candidats démocrates déclarés. Une chose est certaine, personne ne semble se préoccuper de la forte augmentation des déficits et de la dette du pays.

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