Cycle: 1 - Stagnation séculaire: 0

Bruno Cavalier, ODDO BHF

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On pourra dater de début 2018 le moment où les marchés ont collectivement cessé de croire à la «stagnation séculaire».

Il y a deux types de récession. Celles qui s’oublient vite – c’est la catégorie la plus fréquente – et les autres. Aux Etats-Unis, la récession du 1er type dure en moyenne neuf mois. Il faut ensuite un peu moins de deux ans pour que l’emploi, la production ou les ventes retrouvent leur niveau pré-crise. Rien de tel dans la récession du 2e type: c’est le genre de crise que les vétérans des marchés peuvent raconter la voix chevrotante à leurs petits-enfants. Elle dure plus longtemps, elle est plus sévère, elle cause des dommages plus persistants. Il se trouve alors un économiste éminent pour dire qu’on n’en sortira jamais. En 1938, Alvin Hansen, un professeur d’Harvard parfois surnommé le «Keynes américain», avait inventé la théorie de la «stagnation séculaire». A cette date, la production industrielle se situait encore près de 20% sous son niveau de 1929. Idem pour le niveau des prix. En 2013, un autre professeur d’Harvard, Lawrence Summers, a ressuscité cette thèse et, usant de son magistère intellectuel, il en a fait une idée en vogue et l’objet de débats sérieux. On était invité à croire que la croissance, l’inflation et, par suite, les taux d’intérêt resteraient bas pour très longtemps, peut-être pour toujours. En somme, on avait devant nous un monde sans croissance et sans volatilité, autrement dit sans cycle. Les banques centrales ont certainement aidé à acclimater cette idée en menant des politiques de taux zéro (voire de taux négatifs) pendant des années. Ces politiques perdurent d’ailleurs dans beaucoup de pays, en zone euro, dans les pays scandinaves, en Suisse, au Japon.

Comme souvent, quand se produit une rotation thématique,
les ajustements sont parfois violents.

On pourra dater du début 2018 le moment où les marchés ont collectivement cessé de croire, même de loin, à la «stagnation séculaire». Comme souvent, quand se produit une rotation thématique, les ajustements sont parfois violents. L’envolée subite des indices de volatilité, tel que le VIX, démontre qu’il n’y a rien de «séculaire» dans la situation présente. Sauf à avoir passé les deux dernières années en hibernation, on savait déjà que le risque de déflation avait disparu de la planète en 2016 et que la croissance économique globale avait vivement accéléré en 2017. La question du moment est de savoir si la surchauffe n’est pas au coin de la rue. Si c’était le cas, on pourrait craindre que les banques centrales durcissent vivement les politiques monétaires, alimentant la remontée des taux de marché et déplaçant les craintes sur la soutenabilité de la dette des Etats, des entreprises ou des ménages.

Il va de soi que le risque de surchauffe n’a pas la même intensité partout. Il est légitime de poser la question dans le cas des Etats-Unis, bien moins en Europe ou au Japon. L’économie américaine affiche un chômage très bas, son écart de production est redevenu (légèrement) positif, certains segments du crédit sont tendus (crédit-auto, crédit-étudiant), les prix d’actifs immobiliers ou financiers sont élevés. Pour autant, il n’y a pas de tensions flagrantes sur les prix et les salaires. Les gains salariaux s’affermissent modestement, ce qui est logique vu l’évolution des conditions d’emploi. Le rebond des prix est plus net ces derniers mois mais cela efface, en large partie, la série de chocs négatifs enregistrés l’an passé. Les mesures d’inflation anticipée ne se tendent pas et restent dans l’ensemble sous la cible de la Fed. Plus préoccupante est l’orientation de la politique budgétaire: l’administration Trump a adopté un biais pro-cyclique tout en s’affranchissant des contraintes d’équilibre à long terme. La réforme fiscale de décembre 2017 et l’accord budgétaire conclu au Congrès ces derniers jours vont pousser le déficit fédéral vers 5% du PIB (vs 3,5% en 2017). La Maison Blanche promet de surcroît un plan de dépenses d’infrastructure sur dix ans. Les motivations politiques de ces annonces sont assez claires, avant les élections de mi-mandat de 2018 et les élections de 2020. Reste que le creusement des déficits budgétaires américains – à rebours de l’Europe et à un moment où la Fed réduit lentement ses détentions de Treasuries - peut alimenter la remontée des taux d’intérêt.

La remontée des taux longs reflète davantage une hausse de la prime de terme
qu’une anticipation d’un resserrement monétaire accéléré.

Malgré leur hausse récente, les taux longs des pays développés restent bas au regard des perspectives de croissance et d’inflation. Le problème tient surtout à la rapidité du sursaut (environ +50bp en deux mois sur le 10 ans US) et ses répercussions sur les autres marchés financiers (actions, FX). A ce stade, la remontée des taux longs reflète davantage une hausse de la prime de terme qu’une anticipation d’un resserrement monétaire accéléré. Après tout, ni la Fed, ni la BCE, ni la BoJ n’ont changé quoi que ce soit à leurs intentions respectives depuis le début de l’année. L’idée dominante reste de sortir lentement, et non d’un coup, des politiques monétaires de crise. Au vu de leurs stratégies actuelles, le bilan cumulé des grandes banques centrales aura cessé de grossir vers la fin 2019, pour la première fois en dix ans. Il n’est pas anormal, dans ces conditions, que les taux de marché deviennent enfin plus sensibles aux évolutions positives du cycle économique.

 

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