Crise, quelle crise?

Gilles Prince, Edmond de Rothschild (Suisse)

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L’afflux de liquidité issu des plans de soutien monétaires a fait office de carburant pour pousser les investisseurs à un optimisme quasi sans limites.

©Keystone

Le rebond des marchés boursiers depuis le point bas du 23 mars a été spectaculaire, une progression de près de 35% pour l’indice mondial des actions. Elles sont donc de retour à une poignée de pour cent des plus hauts historiques, et cela après que la crise du COVID-19 ait oblitéré quatre ans de gains boursiers en un mois. Impressionnant!

L’afflux de liquidité issu des plans de soutien monétaires et budgétaires explique en grande partie ce rebond, ou en tout cas, il a fait office de carburant pour pousser les investisseurs à un optimisme quasi sans limites. L’incertitude tant détestée a disparu et l’horizon des investisseurs s’est raccourci au phénomène de reprise immédiate et de mise à disposition d’un vaccin ou traitement. Mieux encore, les plans de soutien sont devenus des plans de relance économique que les banquiers centraux réclamaient sans succès il y a quelques mois à peine. Les marchés ont donc ignoré les mauvais chiffres économiques et ils se sont repliés bien moins que le choc d’activité ne le laissait présager.

Un début de rotation sectorielle a commencé fin mai
et pourrait indiquer le début de la phase suivante du rallye.

La crise financière du COVID-19 serait donc terminée, et au vu des performances boursières les investisseurs extrapolent désormais le début d’un nouveau cycle. Par conséquent, si cela était vrai, la poursuite du rallye devrait être accompagnée par les entreprises plus cycliques, lesquels ont un potentiel de rattrapage, et non pas uniquement par les valeurs de croissance et de qualité. Un début de rotation sectorielle a d’ailleurs commencé fin mai et pourrait indiquer le début de la phase suivante du rallye. Autre argument, le positionnement en actions des investisseurs institutionnels et alternatifs reste modéré. Les positions spéculatives en futures sur indices actions restent négatives, et les liquidités en portefeuilles sont au-dessus de la moyenne historique. Si ces acteurs de marché devaient se joindre à la fête, alors un potentiel de hausse supplémentaire existerait bel et bien.

Tout est bien qui finit bien? Ne nous emballons pas, les marchés ne vont jamais en ligne droite, les anticipations des investisseurs sont par définition changeantes et le marché semble quelque peu complaisant pour ne pas dire déconnecté de la réalité. Un éloignement des fondamentaux est à nos yeux toujours source de vulnérabilité et un certain nombre de risques pourraient faire pivoter le sentiment de marché. Nous observons en effet peu de réactions au flux négatif de nouvelles, que ce soit au sujet des heurts à Hong Kong, d’une guerre froide en développement entre les deux superpuissances, du processus de Brexit qui s’enlise, ou des prévisions économiques pointant vers une reprise graduelle et incomplète de l’activité. 

La reprise en forme de «V» attendue est illusoire.

La prochaine étape de l’escalade sino-américaine pourrait être une remise en cause des accords de phase 1 et la menace de nouveaux tarifs, ce que les bourses mondiales n’apprécieraient pas beaucoup. En ce qui concerne le Royaume-Uni, Boris Johnson ne dispose plus que de quelques semaines pour demander un éventuel report de l’échéance de la période transitoire se terminant en fin d’année. On notera aussi qu’il est encore trop tôt pour exclure le risque d’une seconde vague de contamination sachant que la pandémie se poursuit notamment au Brésil ou qu’une seconde vague se développe en Iran. La rentrée de septembre pourrait être un tournant.

En ce qui concerne la macro-économie, les indicateurs d’activité montrent une reprise certes encourageante, mais graduelle et encore bien loin des niveaux initiaux de février. Nous sommes encore loin des niveaux d’activité nécessaires qui permettront aux entreprises des secteurs les plus affectés de renouer avec les profits. La reprise en forme de «V» attendue est illusoire. Ensuite, il apparaît que les actions sont chèrement valorisées alors que les perspectives bénéficiaires de cette année sont faibles et les marges sous pression. Reconnaissant ces incertitudes, bon nombre de sociétés n’offrent pas de visibilité sur les résultats 2020. Les actionnaires semblent donc plus optimistes et confiants que les dirigeants. 

Au final, il est clair que les marchés financiers ont intégré beaucoup de bonnes nouvelles et sont évalués à la perfection et la tendance haussière apparaît vulnérable. Toutefois, la peur de manquer la suite du rallye est trop forte et les moteurs de la hausse trop puissants pour se permettre de rester en dehors du marché. Le cas d’une surpondération aux actions est néanmoins difficile à faire. Restons donc exposés aux actions, mais soyons sélectifs, car la poursuite du rallye sera cyclique ou ne sera pas.

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