Credit Suisse: personne ne s’excuse, personne ne démissionne

Beat Wittmann, Porta Advisors

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La Suisse n’est pas seule. Les banques de la zone euro ne présentent pas toujours des modèles d’affaires viables et durables.

La réputation de la Suisse est en jeu, du centre financier comme du pays lui-même. A la suite du mariage forcé entre UBS et Credit Suisse, le jeu des reproches ne cesse de s’aggraver. Pourtant, à ce jour, aucun acteur majeur n’a assumé ses responsabilités, ne s’est excusé (par exemple au sein de Credit Suisse) ni n’a démissionné.

La population suisse n’était pas préparée. Elle a été choquée par la chute de Credit Suisse. Les sondages d’opinion mettent en évidence qu’un large consensus estime que l’effondrement est auto-infligé, que les anciens et les actuels dirigeants sont à blâmer et devraient être tenus pour responsables.

Et le gagnant est: UBS

Le grand gagnant est la «méga-banque» UBS est impatiente que la transaction soit sous toit. La grande banque doit toutefois gérer le sujet avec précaution et éviter de tirer indûment profit des circonstances. Nous pensons que le cas devrait évoluer en fonction du choix entre la scission et la vente de certaines parties de Credit Suisse et l’imposition d’une réglementation nettement plus stricte et des restrictions politiques. Nous ne serions pas surpris de voir Credit Suisse renaître et se concentrer sur une activité suisse solide. La solution profiterait à tous les stakeholders.

Attention à d’autres cadavres issus des placards du portefeuille de Credit Suisse.

Il est clair que le danger d’effets secondaires existe dans un environnement macroéconomique en train de se détériorer. Une augmentation de la volatilité, l’aversion au risque, le resserrement des taux d’intérêt et les effets retardés sur l’économie et le système financier pourraient causer de nouvelles victimes et divers amortissements issus du portefeuille d’investissement de Credit Suisse.

Des passeports suisses à la tête des banques suisses- Pourquoi?

Les élections fédérales se tiendront en octobre 2023. Dans ce contexte, la chute de Credit Suisse sera fortement politisée. Différents partis exigent que l’affaire ne reste pas sans conséquences. Les propositions sont parfois censées, comme une réduction de la banque d’investissement et le relèvement des exigences de fonds propres, et parfois absurdes comme celle, venant de l’UDC, d’exiger le passeport suisse pour les positions de direction et le contrôle des actionnaires dans la banque suisse.

N’oublions pas que la crise de Credit Suisse est largement le fruit de décisions de citoyens suisses et que des dirigeants étrangers ont été mis en place par des membres de conseil d’administration suisses. N’ignorons pas plus longtemps qu’au travers des siècles, la banque suisse, la pharma et l’industrie luxe ont été fondées par des immigrés et des réfugiés.

Le nouveau mantra des ratios financiers des banques

Il est surprenant, pour ne pas dire choquant, de constater à quel point, lorsqu’une crise éclate, le management des banques et les autorités politiques se fient aux ratios financiers standards. Ils se cachent derrière ces ratios et y croient dur comme fer. Les ratios financiers sont certes nécessaires mais ils ne suffisent pas pour juger de la viabilité et de la durabilité des activités bancaires ni pour affronter une perte de confiance des investisseurs et des clients.

Ainsi, quand une crise éclate, les autorités politiques se retrouvent à dormir au volant ou à regarder dans le rétroviseur. Elles doivent alors réagir au lieu d'agir, ce qui alimente les craintes de contagion dans le secteur financier et dans le public, y compris au sein des entreprises et des consommateurs.

A cause de la réglementation actuelle, les banques font tout leur possible pour éviter d'investir des fonds propres réels (cash) dans leurs activités et, de plus, elles évaluent elles-mêmes leurs actifs pondérés en fonction du risque.

Erreurs de communication: une réalité blanchie.

La confiance est une condition nécessaire mais insuffisante dans les métiers de la banque. Le contenu de la communication en temps de crise et le style de gestion de la direction et des décideurs politiques ont atteint des sommets de créativité et d’absurdité.

L’amateurisme, l’incompétence, l’irresponsabilité, l’avarice et même les mensonges sont blanchis et se traduisent par une communication malchanceuse, maladroite, négligente ou sub-optimale.

Pour expliquer l’échec de Credit Suisse, il est trop simple d’accabler des étrangers, des spéculateurs immoraux, des concurrents déloyaux, des réseaux sociaux malhonnêtes ou divers complots.

Le rétablissement de la confiance nécessaire et la correction des déficiences structurelles des modèles d’affaires bancaires ne sera accomplie que par la confrontation à la réalité, une analyse complète et la mise en oeuvre de réformes fondamentales: minimiser la banque d’investissement, augmenter les exigences de fonds propres, aligner les intérêts économiques et la rémunération et réformer la supervision et le cadre réglementaire.

Marchés financiers: des indicateurs indispensables

Le cadre macroéconomique reste complexe et difficile. Après les récents relèvements des taux directeurs de la BCE et de la Fed, les pressions vont se poursuivre sur les maillons les plus vulnérables du secteur financier.

La clé consiste à analyser les cours des actions bancaires, les dérivés de crédit (CDS), les valorisations et les notations de crédit. Dans le cas de Credit Suisse, ces indicateurs ont indiscutablement et correctement mis en lumière la détérioration du sentiment du marché ainsi que de la situation financière.

Banques européennes: les marchés testeront les leaders et les autorités

Christine Lagarde, la présidente de la BCE, a répété la semaine dernière que le secteur bancaire de la zone euro était résilient en vertu de ses fonds propres abondants, de ses liquidités et des réformes entreprises depuis 2008.

La réalité est très différente. Les banques de la zone euro ne présentent pas toujours des modèles d’affaires viables et durables. Beaucoup d’entre elles ne se sont pas fondamentalement restructurées. Beaucoup n’ont répondu que tardivement aux changements technologiques et aux modifications de comportements des clients.

Malheureusement, la plupart restent des champions nationaux protégés et mal orientés par les décideurs politiques. Elles figurent dans le dernier quart des classements en termes de performance de leurs actions. Les prix de CDS et les valorisations (Cours par rapport à la valeur intrinsèque) les rendent vulnérables au risque de contagion succédant aux turbulences récentes, aux Etats-Unis et en Suisse.

Christine Lagarde a lancé aux leaders des 27: «Nous devons progresser dans l’accomplissement de l’union bancaire et dans la création d’un marché des capitaux réellement européen».

La prochaine crise d’un acteur majeur du secteur bancaire pourrait être comprise comme une opportunité, celle d’une réelle mise en œuvre de la consolidation et de la finalisation d’un marché bancaire et financier européen. L’Europe bancaire accomplirait un pas de géant. Elle saisirait enfin la chance offerte par la taille attractive de l’UE et du marché européen.

Les marchés financiers devraient continuer de mettre à l’épreuve, ces prochains jours et semaines, non seulement les ratios financiers des banques, mais aussi les qualités de leadership, de solidité des modèles d’affaires et de résolution des décideurs politiques.

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