Les banques systémiques comme Credit Suisse ne sont pas «privées»

Emmanuel Garessus

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La rémunération d’un patron de banque systémique ne devrait pas dépasser celle du patron de la BNS, selon Beat Wittmann, de Porta Advisors.

Beat Wittmann, associé de Porta Advisors, évalue la crise de Credit Suisse sous l’angle structurel, considérant que la source des problèmes n’est pas liée aux personnes. La place financière suisse doit prendre des mesures majeures afin d’être résiliente, déclare-t-il à Allnews.

Est-ce que la BNS aurait pu sauver Credit Suisse?

C’est absurde. La crise de Credit Suisse, contrairement à une opinion souvent répandue lundi, n’est pas une surprise. Il suffisait de considérer l’évolution du cours de l’action pour prendre conscience de l’étendue du problème. Les marchés financiers ont constamment réagi à la baisse, aussi bien à la nomination des nouveaux dirigeants de la banque qu’à la présentation du nouveau plan stratégique en octobre. Il suffisait aussi d’observer la hausse du coût de refinancement de la banque et l’évolution des dérivés de crédit (CDS). Tous les indicateurs pointaient vers l’accélération de la chute. 

La sortie de Harris Associates, dont la participation est passée de 10 à 0%, a envoyé un signal clair. Le refus de l’actionnaire saoudien de ne pas investir davantage signalait l’absence de contrepartie en cas de baisse du cours. Le message était fort. Et les sorties de fonds des investisseurs puis des clients complétaient ce triste constat. 

Les autorités politiques n’ont réagi que trop tardivement. Il a fallu que les régulateurs étrangers s’inquiètent de l’avenir d'une grande banque systémique suisse pour que Berne réagisse. Sans conclusion d’une transaction ce week-end, les marchés auraient forcé la transaction ce lundi en quelques heures. 

Qu’auraient dû faire les autorités politiques avant ces derniers jours?

Le problème n’est pas lié à des personnes mais aux structures. C’est le système qui produit la responsabilité ou son absence. La Suisse aurait dû doter les autorités de régulation (FINMA) de ressources et de compétences professionnelles nettement supérieures pour surveiller les banques systémiques. 

La sortie de Harris Associates, dont la participation est passée de 10 à 0%, a envoyé un signal clair.

Un membre du Conseil fédéral recommandait, lors d’un événement auquel j’ai assisté en décembre, de laisser le management de Credit Suisse mettre en œuvre son plan et de rester calme. Le gouvernement se cache derrière l’idée selon laquelle les banques systémiques sont des entreprises privées. Ce n’est pas la réalité. Elles ont une responsabilité majeure en tant qu’intermédiaire financier responsable de l’offre de liquidités à l’économie. C’est en réaction à ce statut qu’elles sont dites systémiques et obtiennent une garantie en contre-partie. Si le Conseil fédéral n’agit pas en conséquence, il est obligé de réagir. 

D’ailleurs le département fédéral des finances ne dispose pas du niveau de compétences à l’égard des marchés financiers dont il devrait disposer dans un pays dont la place financière se veut forte. Si la Suisse veut présenter deux champions mondiaux de la finance, elle doit engager les ressources nécessaires pour les superviser. Il suffit de considérer que Janet Yellen est à la tête du Trésor américain. La Banque Nationale Suisse est l’exception qui confirme la règle, mais il ne lui appartient pas d’être leader dans un tel processus.

Enfin, j’ajouterai que les critères de sélection des membres de conseil d’administration sont très insuffisants. Le manque de compétences est criant lorsqu’il s’agit de comprendre les interactions entre une grande banque, l’économie réelle et les marchés financiers internationaux. Dans le cas de Credit Suisse, c’était dramatique. Le manque de liens entre les rémunérations et les risques du management doit aussi être dénoncé. Les pertes d’une banque systémique sont socialisées et les bénéfices privatisés. Des bonus sont corrects lorsqu’il s’agit d’une banque privée. Mais il est absurde que le président du conseil d’administration de Credit Suisse ou d’UBS, deux banques systémiques, gagne davantage d’argent que Thomas Jordan à la BNS. 

J’observe aussi que les décisions prises ce week-end n’étaient pas le résultat d’un processus très démocratique. La Suisse organise des votations sur quantité d’objets secondaires, mais elle est capable d’imposer un droit d’urgence sur un sujet clé. Il en résulte un dégât d’image majeur pour la Suisse. 

La taille du bilan d’UBS dépasse largement celle de l’économie suisse. Comment gérer ce risque? 

La situation a effectivement empiré ce week-end. Il est encore plus important de minimiser l’activité d’UBS dans la banque d’investissement, augmenter les fonds propres, mieux sélectionner les administrateurs, aligner les intérêts en termes de rémunération, et accroître les ressources et les compétences au niveau des autorités. Plutôt que de modifier la notion de capital ajusté du risque, je propose des fonds propres 5 fois supérieurs pour une banque systémique. Sinon, la prochaine crise de la place suisse n’est qu’une question de temps. Car le risque est plus concentré. 

Les pertes d’une banque systémique sont socialisées et les bénéfices privatisés.
Faut-il l’obliger à se séparer de plusieurs de ses activités?

Je n’ai aucun doute qu’UBS prendra ce type de décision. UBS n’a nul besoin de garder la banque d’investissement de Credit Suisse. De plus, les doublons sont nombreux dans les activités en Suisse. 

Qu’aurait dû être une stratégie correcte pour Credit Suisse?

Credit Suisse aurait dû fermer ses activités de banque d’investissement aux Etats-Unis et se concentrer sur la Suisse. Si le management ne voulait pas faire ce choix, le Conseil fédéral aurait dû l’y forcer. Aujourd’hui, il est trop tard pour chercher des excuses, pour accuser les Américains, les réseaux sociaux ou les marchés. 

Est-ce qu’il y a un risque de contagion du fait des AT1?

Des gérants d’actifs internationaux ne manquent pas de critiquer la décision d’amortir les obligations AT1 et de sauver les actionnaires. Les raisons de ce choix me sont assez obscures. Il en résultera des coûts significatifs pour refinancer les banques. La question se pose d’ailleurs de savoir si toutes les mesures seront mises en œuvre.

Faut-il acheter des actions bancaires actuellement?

Je ne crois pas du tout au scénario d’une crise telle qu’en 2008. Ce week-end, les décisions qui ont été prises étaient les seules possibles. La transaction permettra de stabiliser l’économie et les marchés financiers. Progressivement, le marché se concentrera sur le choix des meilleurs établissements.

Pourquoi le système bancaire américain est-il nettement plus solide que l’européen?

Le marché américain a d'abord ’avantage de ne pas être fragmenté, alors qu’en Europe on défend des champions nationaux. La 2e raison est liée au fait que les Américains contrôlent le dollar, la première monnaie au monde. Enfin, la désintermédiation du capital passe par les marchés financiers et non par le système bancaire. Il en résulte une meilleure transparence. La régulation est également nettement mieux dotée en termes de compétences et de ressources. Il suffit de regarder le CV de Janet Yellen. Dans les situations de crise, la différence est flagrante.