Crainte ou espoir à la COP27?

Andrew Steer et Kelly Levin

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Les dirigeants réunis à Charm el-Cheikh se doivent de fournir une excellente justification à tous les vols émetteurs de CO2 qui les ont amenés sur place.

© Keystone

Amusez-vous donc à interroger deux experts du climat de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques en Égypte (COP27) et demandez-leur de vous donner leur opinion sur l'avenir: vous risquez alors d'entendre des réponses assez différentes. «Jamais nous n'avions imaginé assister à des progrès aussi flagrants», vous expliquera l'un d'eux, tandis que l'autre déplorera que nous nous ruions la tête la première vers le précipice comme des lemmings. Ils ne peuvent pas avoir tous les deux raison, pas vrai?

En fait, les deux disposent de nombreuses preuves allant dans leur sens et ce n'est qu'en équilibrant les deux points de vue que nous parviendrons à susciter le sentiment d'urgence nécessaire pour résoudre la crise climatique.

Pour susciter l'espoir, le premier expert pourrait souligner que le coût de l'énergie solaire a chuté de 99 % depuis que le président Jimmy Carter a fait installer des panneaux solaires sur le toit de la Maison Blanche en 1979 et que 2022 est sur le point d'être une année record pour les énergies renouvelables. Les ventes de véhicules électriques sont en croissance si rapide que le moteur à combustion interne est déjà en déclin permanent. En Indonésie, le taux de perte des forêts primaires est en chute depuis cinq ans de suite, en raison d'un partenariat novateur entre les pouvoirs publics, les entreprises, la société civile et les experts en technologie.

En outre, près de 100 pays – représentant plus de 75 % des émissions mondiales – se sont engagés à atteindre zéro émission nette d'ici le milieu du siècle. En outre, les États-Unis viennent tout juste de faire une importante contribution sur leur avenir vert avec la Loi sur la réduction de l'inflation, qui pourrait mobiliser environ 800 milliards de dollars ou plus en investissements liés au climat.

Toutes ces transformations dépendent du financement mondial du climat, qui doit lui-même être multiplié par huit par rapport à ses niveaux actuels.

Mais au cas où nous croirions que nous sommes presque sortis de l'ornière, notre expert pessimiste ne manquera pas de souligner qu'avec seulement 1,1° Celsius de réchauffement, le changement climatique génère déjà des coûts sans précédent. Des inondations désastreuses à travers le Pakistan cet été ont laissé un tiers du pays sous l'eau et le sud-ouest de l'Amérique du Nord subit sa pire sécheresse depuis 1’200 ans. En Chine, la sécheresse paralyse la production d'énergie hydroélectrique et forcé les usines à fermer. Depuis 1998, la Grande Barrière de corail a connu six phénomènes de blanchiment de masse. En Antarctique oriental, où les températures un jour cette année ont fait un bond à 38,5 °C au-dessus de la normale, un énorme plateau de glace vient de s'effondrer - le premier événement de ce genre depuis au moins un demi-siècle.

Pire encore, la guerre de la Russie en Ukraine a déclenché une ruée sur les combustibles fossiles: ce qui fait que les entreprises, les banques et les pouvoirs publics ont plus de difficultés que prévu à tenir leurs promesses climatiques. Nous nous dirigeons vers des hausses de température bien supérieures au seuil de 2°C fixé par l'accord de Paris sur le climat. Une planète aussi chaude nous serait à peine reconnaissable aujourd'hui.

Un nouveau rapport important de Systems Change Lab – une initiative organisée par l'Institut des ressources mondiales, le Bezos Earth Fund (Fonds Bezos pour la Terre) et ses partenaires – met en lumière ces deux réalités et montre une nouvelle façon de penser le changement. Du côté pessimiste, le rapport montre qu'aucune des 40 transformations sectorielles nécessaires pour faire face à la crise climatique de cette décennie n'est encore sur la bonne voie.

Par exemple, l'élimination progressive du charbon doit être six fois plus rapide – l'équivalent du retrait annuel de 925 centrales à charbon de taille moyenne. De même, les taux annuels de déforestation doivent diminuer 2,5 fois plus vite et la croissance récente des rendements agricoles doit être presque multipliée par sept cette décennie pour nourrir une population croissante sans empiéter sur les zones boisées. Toutes ces transformations dépendent du financement mondial du climat, qui doit lui-même être multiplié par huit par rapport à ses niveaux actuels.

 Nous sommes sur le point d'entamer la quatrième année de la décennie décisive pour éviter un changement climatique catastrophique.

Mais le rapport explique également que le changement est rarement linéaire et que des progrès exponentiels (une accélération soudaine «en crosse de hockey») sont possibles lorsqu'ils sont encouragés par un leadership audacieux et par des politiques de soutien. En l'espace de deux ans à peine, entre 2019 et 2021, la production solaire a augmenté de 47% à l'échelle mondiale et l'énergie éolienne de 31%, dépassant considérablement les prévisions des analystes. Entre 2013 et 2021, la part mondiale des ventes de bus sans carbone est passée de 2% à 44% – soit une multiplication par 20 en moins de dix ans.

En outre, nous savons que certains systèmes peuvent être poussés vers des points de non-retour positifs – comme la parité des prix entre les sources existantes de combustibles fossiles et les énergies renouvelables – après quoi le changement devient impossible à arrêter. Nous devons faire tout notre possible pour atteindre ces points de non-retour dès que possible. Étant donné le faible budget carbone restant dont l'humanité dispose, nous n'avons plus le luxe de poursuivre uniquement les options les moins coûteuses. Nous devons changer les systèmes dans tous les domaines de l'activité humaine – de la manière dont nous cultivons nos aliments et dotons nos foyers en électricité, à celle dont nous construisons nos villes et transportons les personnes et les marchandises.

Pour accélérer la transition vers une économie à zéro émission nette, il faudra introduire des incitations, proposer de nouvelles réglementations et lois, des changements de comportement, d'innovation et un leadership inébranlable. Nous sommes sur le point d'entamer la quatrième année de la décennie décisive pour éviter un changement climatique catastrophique. Nous devons déplacer des montagnes, quels que soient les coûts initiaux.

Les dirigeants du monde qui se réunissent à la COP27 ce mois-ci ne doivent ni se morfondre, ni déclarer avec joie que la victoire est à portée de main. Ils devraient plutôt examiner de manière réfléchie ce qui doit être transformé et ce qu'il faudra faire pour franchir les points de non-retour essentiels. C'est à présent que nous devons créer les conditions qui rendront les changements plus positifs à la fois irrésistibles et imparables. Cela donnerait une bonne raison d'être à tous ces vols émetteurs de carbone à destination de Charm el-Cheikh.

 

Copyright: Project Syndicate, 2022.

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