Commerce: l’impasse où s’engage l’administration Trump

James McCormack, Fitch

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Pas de discussions bilatérales. Depuis la mi-mai et la visite du vice-premier ministre chinois Liu He, le silence radio entre les deux parties est complet.

Tout porte à croire que le différend commercial entre les États-Unis et la Chine s’aggravera avant de se calmer, et que le déficit commercial des États-Unis se creusera plutôt qu’il ne se résorbera. En réalité, une évolution de la conjoncture – si elle se concrétisait – telle qu’elle permettrait à l’administration du président américain Donald Trump de crier victoire finirait par miner la crédibilité de sa politique économique.

Pour faire face à l’augmentation des droits de douane imposée par les États-Unis sur les importations chinoises, les responsables politiques, à Pékin, ont trois options. La première est de capituler, en modérant les «pratiques discriminatoires» identifiées par le rapport de mars 2018 du bureau du représentant américain au Commerce. Rien ne permet de penser, jusqu’à présent, que la Chine ait choisi cette option.

Deuxième solution: la Chine pourrait se lancer dans l’escalade. C’est-à-dire élever ses droits de douane plus haut que ceux des Américains, les appliquer à un éventail plus large (pour une valeur en dollars plus élevée) de produits exportés par les États-Unis, ou contrecarrer les droits imposés sur ses propres exportations en laissant le renminbi se déprécier face au dollar. Les dirigeants chinois pourraient aussi ne pas s’en tenir aux biens et prendre en compte les flux de capitaux et les activités associées où des entreprises américaines sont impliquées, incitant leur administration à entraver les opérations en Chine des sociétés américaines, financières ou non. Cette hypothèse n’est guère plus probable que la première, du moins à cette étape du différend.

L’adhésion de pays tiers est une garantie capitale
pour conforter la position de la direction chinoise.

C’est une troisième option qu’a jusqu’à présent privilégiée la Chine, à mi-chemin entre capitulation et escalade. La Chine a pris des mesures de rétorsion, mais proportionnées, correspondant à l’augmentation des droits de douane américains et à la valeur en dollars des marchandises touchées. En même temps, elle a tenté d’exploiter son avantage moral, en obtenant une condamnation internationale du protectionnisme et de l’unilatéralisme. Cela ne lui a guère coûté d’efforts, car plusieurs autres économies de premier plan sont aujourd’hui confrontées à la hausse des barrières douanières des États-Unis. L’adhésion de pays tiers est une garantie capitale pour conforter, chez elle, la position de la direction chinoise. Si le gouvernement était perçu comme par son opinion comme victime d’une intimidation américaine, il lui faudrait adopter une ligne beaucoup plus dure dans le différend commercial.

De leur côté, les États-Unis, quoi qu’ils soient à l’origine du différend, disposent d’une marge de manœuvre assez limitée. Même si cette administration est notoirement imprévisible, un revirement complet et sans conditions semble hors de question. Mais le statu quo ne l’est pas moins, puisque la Chine a relevé la barre en répliquant de la même manière. La seule porte de sortie est donc l’escalade – une éventualité déjà envisagée publiquement par l’administration Trump qui a menacé d’imposer des droits supplémentaires à toutes les importations venant de Chine.

Certes, l’escalade pourrait être évitée, soit par le dialogue, soit par une réduction significative du déficit commercial des États-Unis. Mais aucune des deux issues n’est probable à court terme. Depuis la mi-mai et la visite du vice-premier ministre chinois Liu He, le silence radio entre les deux parties est complet. Lors de la rencontre ministérielle du G20 en Argentine, au mois de juillet, les États-Unis ont annoncé qu’ils n’auraient pas de discussions bilatérales avec les Chinois. 

La conjoncture économique aux États-Unis tend
à favoriser l’accroissement du déficit commercial.

En l’absence de pourparlers, une réduction globale du déficit commercial américain pourrait encore fournir à l’administration Trump un prétexte politique pour calmer le différend, même si la balance commerciale entre les deux pays demeure inchangée. Le problème est que la conjoncture économique aux États-Unis tend à favoriser l’accroissement du déficit commercial.

Pour commencer, l’indice de diffusion des prévisions de dépenses en capital fixe (Future Capital Spending Diffusion Index) établi par la Banque de la Réserve fédérale de Philadelphie laisse voir un renforcement continu de l’investissement manufacturier. Si le niveau des indices est légèrement retombé depuis le début de 2018, il demeure à des hauteurs qu’on n’avait pas connues durant plus de trente ans. Depuis les années 1970, cet indice est en outre fortement corrélé aux investissements d’outillage et d’équipement – dont il est l’un des principaux indicateurs –, eux-mêmes fortement liés aux importations américaines et à la balance commerciale. Ainsi l’optimisme du secteur manufacturier contribuera-t-il probablement au creusement du déficit commercial à mesure qu’augmenteront les importations pour satisfaire les besoins d’investissement.

Un renforcement du dollar aura le même effet. La monnaie américaine est revenue à son niveau – si l’on pondère celui-ci en fonction des échanges – de la fin des années 1990 et du début des années 2000, quand la croissance des importations dépassait largement celle des exportations et lorsque le déficit commercial a doublé en valeur nominale, pour atteindre 400 milliards de dollars. Et si l’on s’en tient au seul taux de change, une réduction du déficit commercial est difficilement envisageable, puisque la hausse actuelle des taux d’intérêt et l’accélération de la croissance économique renforcent le dollar.

Le risque est aujourd’hui de voir une 
administration Trump frustrée doubler la mise. 

Dernier facteur à considérer : la position budgétaire extraordinairement expansionniste des États-Unis, dont la contribution à la croissance économique potentielle évoquée plus haut et à l’optimisme des milieux d’affaires n’est pas négligeable. Étant donné le soutien explicite du gouvernement à une politique de croissance forte et de redressement du secteur manufacturier, on ne saurait s’étonner d’un climat favorable à l’investissement.

Les États-Unis semblent s’être involontairement laissés entraîner dans une politique commerciale qui est un cul-de-sac. En suivant son programme d’impulsion fiscale et d’exaltation du secteur manufacturier, l’administration Trump encourage les dépenses d’investissement, ce qui a pour effet de creuser le déficit commercial. Par ailleurs, des taux d’intérêts en hausse couplés à une forte croissance tireront probablement plus haut le dollar, renforçant les vents contraires qui soufflent sur les exportations.

Dans une telle situation, plus les États-Unis tenteront de résoudre leur «problème» commercial, plus celui-ci prendra de l’ampleur. Le risque est aujourd’hui de voir une administration Trump, frustrée des conséquences de sa propre politique, doubler la mise. Alors qu’elle a déjà dépassé les bornes, elle peut très bien penser qu’au contraire, elle n’est pas allée assez loin.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

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