BCE, ou l’art de ne pas trop montrer son jeu

Bruno Cavalier, Oddo BHF

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La communication de la BCE devrait rester inscrite dans le cadre défini par Draghi, à savoir que la politique monétaire est la plus efficace si elle conduite avec persistance et modifiée avec prudence.

La communication de la BCE tient en quatre points. Primo, ne pas modifier les taux directeurs tant que la sortie du QE n’est pas totalement digérée. Secundo, ne pas arrêter le QE avant la fin de cette année. Tertio, affirmer que les achats de titres pourraient être accrus en cas de besoin (nul n’y croit mais passons). Enfin, réinvestir l’intégralité des actifs arrivant à échéance. L’expérience a montré que la BCE sous Mario Draghi n’était jamais pressée de révéler tout son jeu tant que ce n’était pas absolument nécessaire. Ça ne l’est pas encore. La réunion de jeudi pourrait modifier quelques détails mais l’essentiel est que la BCE n’a pas de scrupule à poursuivre une politique monétaire très/trop accommodante.

L’inflation reste très en-deçà de la cible de la BCE

Jadis, conduire la politique monétaire en zone euro était un problème assez simple, du moins en apparence: la BCE montait ses taux directeurs pour éviter que l’inflation ne dérape au-dessus de sa cible et les réduisait si le risque allait dans l’autre sens. Pour l’essentiel, la communication de la BCE consistait à piloter au coup par coup les anticipations de taux directeurs des marchés financiers. Dans les années 2005-2008, la BCE avait ainsi inventé un système binaire de mots-code (vigilance / monitoring) qui se traduisait simplement en hausse des taux ou en statu quo à la réunion suivante.

«La BCE n’a pas de scrupule à poursuivre
une politique monétaire très/trop accommodante.»

Désormais, la politique monétaire n’est plus définie par le seul niveau des taux mais par les interactions entre les différents outils, les taux directeurs bien sûr, mais aussi les nouveaux achats d’actifs et les réinvestissements des actifs arrivant à maturité. Pour la banque centrale, afficher ses intentions sur la politique future est devenu une affaire plus compliquée que par le passé.

Dans ces conditions, le risque d’avoir des problèmes de communication, soit chez l’émetteur du message (BCE), soit chez le récepteur (les marchés), s’en trouve accru. On garde en mémoire le malentendu suivant les annonces d’un assouplissement de politique monétaire le 3 décembre 2015. Ce jour-là, BCE et marchés ne s’étaient pas compris du tout et le taux de change de l’euro/dollar avait connu l’une des plus fortes hausses intraday.

Il y a actuellement quatre aspects principaux dans la communication de la BCE:

  • Une forward guidance sur les taux directeurs
  • Une promesse d’achats d’actifs sans limitation précise de durée
  • Un biais accommodant portant sur la politique d’achats d’actif
  • Une politique de réinvestissement intégral

Aucun de ces éléments ne va sans une certaine ambiguïté, mais un principe paraît admis par l’ensemble du Conseil des Gouverneurs (CG): la normalisation de la politique monétaire de la BCE se fera de manière séquentielle, à l’image, sinon à l’imitation, du comportement de la Fed depuis 2014.

«A l'image de la Fed, la normalisation de la politique monétaire
de la BCE se fera de manière séquentielle.»

La séquence d’événements est la suivante: étape 1: stopper le QE; étape 2: relever les taux directeurs; étape 3: ajuster la taille du bilan. La BCE n’en est encore qu’à débattre des conditions pour aborder la première de ces étapes. Les minutes de la dernière réunion du CG du 25 janvier ont montré qu’il n’y avait pas un grand appétit pour modifier d’ores et déjà en profondeur la communication de la BCE. Ce serait prématuré au vu des conditions économiques. L’inflation s’est éloignée de la cible au cours des trois derniers mois: elle est estimée à 1,2% sur un an en zone euro en février contre 1,5% en novembre 2017. Le staff de la BCE n’a sûrement pas revu en hausse la trajectoire d’inflation future qui était en décembre dernier de 1,5% sur 2019 et 1,7% sur 2020. Seuls des ajustements de détail sont envisageables.

Au final, la communication de la BCE devrait rester inscrite dans le cadre général qu’avait défini par Draghi l’an dernier, à savoir que la politique monétaire est la plus efficace – c’est-à-dire contribue à ramener l’inflation vers la cible – si elle conduite avec persistance et modifiée avec prudence. Son audition au Parlement européen il y a quelques jours n’a pas laissé attendre d’inflexion notable. Le Conseil veut éviter les changements brusques ou désordonnés. Comme on a pu le constater ces deux dernières années, quand il s’agit de révéler des changements de politique monétaire, la BCE veut éviter de se lier les mains jusqu’à la dernière minute possible. Ce n’est pas le cas puisque le programme actuel de QE va se poursuivre au moins six mois. La direction future ne fait guère de doute (réduction des achats puis arrêt des achats puis hausse des taux) mais le moment de rentrer dans le détail de ces annonces n’est pas venu.