Automobile: comment rater sa transition énergétique

Bruno Allain, Quaero Capital

3 minutes de lecture

Par conservatisme ou aveuglement, le secteur automobile traditionnel risque de devenir un cas d'école de transition ratée. Six erreurs à ne pas répéter.

Nos économies sont lancées dans la transition vers un modèle décarboné. Elles tentent en tout cas de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Ce mouvement est entamé depuis suffisamment longtemps pour qu’investisseurs, politiques et citoyens fassent montre d’une certaine exigence vis-à-vis des différents acteurs, au premier rang desquels se trouvent les grandes entreprises cotées.

Les progrès de certains secteurs sont scrutés avec une attention particulière, comme celui des transports car sa mutation est à la fois un enjeu climatique considérable et une révolution de nos vies quotidiennes.

Nous observons l’évolution de ce secteur et sommes peu enthousiastes devant les plans stratégiques des constructeurs automobiles occidentaux «historiques». Ces acteurs ne sont pour l’instant pas à la hauteur du défi de la transition, ce qui fait peser un risque considérable sur leur avenir et contribue à l’émergence de nouveaux concurrents plus agiles et plus en phase avec l’évolution du marché.

Le secteur automobile traditionnel, par conservatisme ou aveuglement, a selon nous commis 6 erreurs à ne pas reproduire.

1. Sous-estimer la tendance

Fin avril, le CEO de Renault Luca de Meo a évoqué le potentiel spin-off de sa division électrique qui deviendrait indépendante de celle des véhicules traditionnels.

Penser qu’un Renault-hors-électrique coté puisse avoir un sens1, c’est sous-estimer la puissance de la transition en cours et son inévitable point d’arrivée: l’arrêt total de la vente des véhicules à moteur thermique. On peut s’étonner que les constructeurs historiques ne bâtissent pas toute leur stratégie autour de cette conclusion, d’autant plus évidente que tous les pays annoncent les uns après les autres la date à laquelle les ventes de véhicules à moteur thermique seront purement et simplement interdites2.

2. Ignorer / méconnaître les attentes de ses clients

Les constructeurs automobiles traditionnels ont largement sous-estimé la demande de véhicules électriques offrant des gains de parts de marché inespérés aux nouveaux entrants (Tesla continue à ce jour de vendre plus de véhicules électriques aux Etats-Unis que tous les autres constructeurs réunis!).

En outre, les constructeurs traditionnels semblent encore mal mesurer les attentes nouvelles qui découlent du changement de paradigme en cours. Les études montrent que le niveau de satisfaction est très étroitement lié à la souplesse et à l’efficacité au moment de recharger sa batterie. Ce n’est pas un hasard si Tesla doit une part non négligeable de sa réputation à son réseau de super-chargeurs propriétaires et si certains acteurs chinois tels que NIO investissent dans un réseau de remplacement-minute de batteries.

Faire disparaître l’anxiété liée à l’autonomie du véhicule électrique est une priorité sur ce nouveau marché.

3. Penser qu’on a le temps

Au cours des dix-huit derniers mois, les constructeurs automobiles «historiques» ont annoncé le calendrier de la fin programmée de leurs ventes de véhicules à moteur thermique. Parmi les plus agressives, des sociétés comme Volvo visent ainsi 2030 pour achever leur bascule vers le tout-électrique. Plus prudents, des constructeurs comme GM, Mercedes ou Audi évoquent 2035.

Ces objectifs peuvent sembler ambitieux, mais le sont-ils vraiment?

Le 4 avril dernier, via un simple communiqué de presse, le constructeur automobile chinois BYD a annoncé avoir stoppé définitivement la production de véhicules thermiques au mois de mars, devenant ainsi le premier constructeur au monde à achever cette mutation.

Ce «retard à l’allumage» des constructeurs traditionnels serait peut-être moins préoccupant si l’électrification ne s’accompagnait pas de deux tendances:

  • L’apparition dans le paysage concurrentiel d’un nombre exponentiel de nouveaux acteurs pure plays disruptifs
  • Une bataille féroce pour l’accès à certaines ressources minières (notamment celles entrant dans la composition des batteries) qui nécessite de sécuriser sa chaîne d’approvisionnement très en amont

4. Trop se reposer sur les politiques (1/2): croire que le régulateur arrangera tout

S’il a perdu de sa superbe dans les indices boursiers, il demeure un domaine dans lequel le secteur automobile pèse toujours très lourd: la politique. Cela s’explique d’une part par la forte intensité en main-d’œuvre du secteur, mais également parce ce que l’histoire du secteur est mêlée étroitement à l’histoire sociale, syndicale et économique de nos pays. C’est pourquoi aujourd’hui encore, ce qui touche à l’automobile revêt bien souvent une importance politique disproportionnée par rapport à son poids économique et l’opinion publique reste très sensible aux crises affectant le secteur et aux fermetures d’usines.

Le poids politique du secteur automobile (bien illustré par Joe Biden et son «I’m a car guy») est en réalité une arme à double tranchant car il conforte l’industrie dans l’idée que la régulation est à son service. De là sans doute une forme de frilosité aujourd’hui préjudiciable et une certaine impréparation pour le «monde d’après».

5. Trop se reposer sur les politiques (2/2): ne pas avoir peur de disparaître

En raison de cet «héritage», dans des pays comme l’Allemagne, les Etats-Unis, le Japon ou la France, les entreprises du secteur automobile sont «systémiques» comme on a pu le voir lors de la crise de 2008. Les Etats, d’une manière plus ou moins directe, n’hésitent pas à venir en aide à la filière dès lors que celle-ci traverse une crise. Cela signifie que le secteur bénéficie du fameux moral hazard décrié par nombre d’économistes et d’investisseurs, cette situation dans laquelle l’entreprise ne joue pas son avenir en fonction de ses choix stratégiques.

Le soutien inconditionnel garanti des Etats a pu constituer une force par le passé, mais il explique aussi sans doute les errements actuels. Les constructeurs automobiles occidentaux sont, aussi, en train de rater leur transition parce qu’ils peuvent se le permettre.

6. Confondre électrification et transition énergétique

Quelle que soit l’industrie, pour réussir la transition énergétique il est important de comprendre ce qu’elle représente réellement. Or, à voir les présentations de certains constructeurs automobiles «historiques», on peut se demander si certains ne confondent pas transition et électrification.

Leur idée est de remplacer une voiture thermique par une voiture électrique.

Or, c’est un nouveau modèle de nos déplacements qui doit être pensé. Il passera par un recours à différents modes de transports selon les distances et les circonstances, alliant transports en commun, véhicules individuels de plus petite taille, modèles économiques autour de véhicules partagés, vélos traditionnels ou électriques etc. C’est un modèle «pluriel», plus vertueux de déplacements qui doit être inventé.

Les constructeurs automobiles historiques doivent être beaucoup plus présents sur ce champ de réflexion et d’innovation.

 

1 Renault n’est pas le seul groupe à avoir mené cette réflexion. Le CEO de Ford a annoncé en mars avoir renoncé à ce même projet, pour s’orienter vers une séparation en interne des deux divisions.
2 2025: Norvège – 2030: Suède, Danemark, Pays-Bas, Irlande, Singapour – 2035: UK

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