Asie émergente: victime géopolitique?

Salima Barragan

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Selon Marcus Weston de JK Capital Management, les obligations d’Asie émergente n’ont pas été impactées par la guerre commerciale.

©Keystone

Les pays asiatiques sont pris dans les tumultes d’une dispute commerciale qui se joue entre les Etats-Unis et la Chine. Comme dans la théorie des jeux (l’équilibre de Nash), ils doivent anticiper les stratégies des deux puissances pour maximiser leurs gains. Pour Marcus Weston, spécialiste des marchés asiatiques chez JK Capital Management, société du groupe La Française et basée à Hong Kong, les marchés obligataires asiatiques n'ont pas encore été impactés de manière significative par le litige mais restent très sensibles à ses développements futurs.

SENTIMENT DOMINANT SUR LE MARCHÉ

La complaisance qui prévalait en début de l'année s'est dissipée après que le tweet du président Trump du 5 mai ait ramené le risque de guerre commerciale à l'attention des investisseurs. «Par conséquent, le marché a commencé à anticiper la nécessité de réévaluer le prix de ce risque», explique Marcus Weston. Cependant, jusqu'à présent, la guerre commerciale relève-t-elle davantage des fondamentaux que des sentiments du marché?  

La performance globale des obligations asiatiques à haut rendement n'a pas encore
été significativement corrélée aux aléas des négociations sino-US.

Bien que la plupart des pays asiatiques soient économiquement liés à la Chine (pour la chaîne de production) et dépendent également du marché américain (comme débouché commercial), une analyse de JK Capital révèle que la performance globale des obligations asiatiques à haut rendement n'a pas encore été significativement corrélée aux aléas des négociations. «La majorité des sociétés émettrices d'obligations asiatiques ont un lien direct et fondamental limité avec la guerre commerciale, car les exportateurs ne représentent qu'une infime partie du marché», explique Marcus Weston. Au début du mois de mai, lorsque les craintes d'une guerre commerciale ont refait surface, les obligations à haut rendement des marchés émergents ont en fait moins souffert que celles du marché américain.

Les marchés dominés par les investisseurs nationaux
ont montré moins de sensibilité aux annonces médiatiques.

Au-delà de l'orientation fondamentale des émetteurs obligataires asiatiques sur leur marché domestique, la répartition des détenteurs d'obligations est également cruciale. Les marchés dominés par les investisseurs nationaux, comme la Chine, ont montré moins de sensibilité aux annonces médiatiques que ceux majoritairement en main d'investisseurs étrangers, comme l'Indonésie. 

Toutefois, si les négociations commerciales se détériorent davantage et que la probabilité d'un scénario de récession mondiale augmente, inévitablement, cela affectera tous les actifs à risque. Jusqu'à présent, la baisse des rendements des bons du Trésor américain a donné un coup de fouet au marché obligataire asiatique, mais si les craintes d’une récession déclenchent une fuite vers des actifs refuges, comme les obligations souveraines occidentales, cela pourrait exercer une pression sur les marchés asiatiques. 

«Contrairement à d'autres parties du monde, de nombreuses banques
centrales asiatiques ont encore une marge de manœuvre.»

Traditionnellement, les pays qui ont une balance courante déficitaire comme l'Inde et l'Indonésie seraient probablement les plus touchés, mais étant donné que ces économies sont moins exposées aux exportations vers les États-Unis et la Chine, elles pourraient quand même offrir un certain avantage de diversification aux investisseurs. «Si la guerre commerciale se poursuit, les pays d'Asie du Nord (par exemple, la Corée et Taiwan), qui ont des chaînes d'approvisionnement plus intégrées avec la Chine, pourraient souffrir davantage que ceux d'Asie du Sud, qui sont moins dépendants des exportations à forte valeur. Jusqu'à présent, les tarifs douaniers des États-Unis se sont concentrés sur les secteurs à faible valeur ajoutée tels que l'habillement et l'ameublement, où certaines économies d'Asie du Sud, comme le Vietnam et l'Indonésie, ont commencé à bénéficier d'une certaine substitution des exportations», note l'expert.

Enfin, les pays asiatiques historiquement corrélées aux marchés émergents pourraient aussi s'avérer être des victimes collatérales d'une guerre commerciale de plus en plus intense. Mais les banques centrales asiatiques ont encore des cartes à jouer. «Contrairement à d'autres parties du monde, de nombreuses banques centrales asiatiques ont encore une marge de manœuvre pour ajuster leur politique monétaire, même si nous jugeons que toute mesure soit principalement en réponse à la politique de la Réserve fédérale américaine, étant donné la nécessité de maintenir la stabilité monétaire », souligne Marcus Weston. 

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