Anticiper vaut mieux que de devoir payer

Olivier Parenteau, Maklerzentrum Schweiz

4 minutes de lecture

En menant un travail structuré de prévention, l’employeur peut sensiblement réduire les pertes causées par les employés malades.

 

Selon une récente étude de Booz & Company, effectuée à la demande de la fondation Felix Burda, l’économie allemande perd chaque année quelque 225 milliards d’euros du fait d’employés malades. En Allemagne, c’est l'institut fédéral pour la protection et la santé au travail («Bundesanstalt für Arbeitsschutz und Arbeitsmedizin», BAuA) qui détermine les pertes de production économiques liées à l’incapacité de travailler. Avec une incapacité de travail moyenne de 15,2 jours par employé, le nombre de jours d’incapacité de travail s’est élevé en 2015 à un total de 587,4 millions. Sur la base de ces chiffres, le BAuA estime que les pertes de production économiques pour l’année 2015 ont représenté un total de 64 milliards d’euros, soit une perte de valeur ajoutée de 113 milliards d’euros. 

«Une surconsommation de prestations médicales est l'une des raisons 
de la hausse continuelle des coûts.»

À l’avenir, ces chiffres ne cesseront d’augmenter, selon toute probabilité, car notamment dans le domaine des maladies psychiques, les statistiques mettent en évidence un nombre croissant d’employés en arrêt maladie. Ceci se reflète également dans les coûts de santé en continuelle augmentation: selon une récente étude de Willi Towers Watson, les coûts de santé augmentent chaque année de 7,3% en moyenne, au plan international. L’organisation prévoit que les coûts de santé vont augmenter de 5,4%, respectivement de 5,0% au cours des deux prochaines années en Suisse. Les 231 caisses maladie consultées dans 79 pays indiquent le plus souvent une surconsommation de prestations médicales comme principale raison de la hausse continuelle des coûts. Pour parvenir à freiner cette évolution, les compagnies d’assurance préconisent particulièrement d’accorder une plus grande importance à la promotion de la santé au travail (PST). 

Certes, du point de vue des entreprises, on pourrait considérer cela comme une tentative de se délester de la responsabilité en matière de santé publique en la faisant passer dans le camp des employeurs. Mais ce n’est pas ainsi qu’il faut le comprendre, bien au contraire: le lieu de travail est un environnement permettant favorablement d’inciter les personnes à se pencher sur la question de leur propre santé. Car de manière générale, il est difficile de sensibiliser de larges couches de la population au thème de la prévention et des soins de santé. Bien des personnes, évidemment surtout quand elles sont encore en bonne santé, ne veulent pas entendre parler de maladie - jusqu'au jour où il est peut-être déjà trop tard et qu’elles se trouvent confrontées à un cancer, au diabète ou à une affection cardio-vasculaire. 

«Plus de 2 millions de personnes sont atteintes
d’au moins une pathologie chronique physique ou psychique.»

Ce groupe de maladies, dites non transmissibles (en anglais «NCD»), occasionne d’ores et déjà environ 80% des frais nationaux directs en relation avec la santé. Dans notre pays, plus de 2 millions de personnes sont atteintes d’au moins une pathologie chronique physique ou psychique. En raison de l’évolution démographique, ce chiffre ira en augmentant au cours des prochaines années. Selon des estimations de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de la santé, environ la moitié de ces maladies pourraient pourtant être évitées au moyen de mesures préventives. Celles-ci contribuent à prévenir les maladies ou dans le cas de maladies existantes, permettent d’intervenir à un stade précoce et de d’éviter ainsi une aggravation ou bien des maladies associées.

Retour sur investissement pour 1 franc: 5 à 16 francs

De par son cadre social structuré, le lieu de travail est un endroit bien adapté à la sensibilisation des personnes au thème de la prévention et des soins de santé – en particulier si l'employeur met l’accent sur le sujet et que dans une stratégie globale de l’entreprise, il l’intègre à un programme de promotion de la santé au travail. Et cela ne se fait pas au détriment de l’entreprise, car comme l’a démontré l’étude de Booz & Company, chaque franc investi dans la prévention de la santé au sein de l’entreprise génère un retour sur investissement de 5 à 16 francs. 

En effet, à long terme, un travail de prévention soutenu permet à l'entreprise de faire baisser le nombre et la durée des arrêts maladie – donc des frais – et en outre, de fidéliser de précieux collaborateurs à l’entreprise, en assurant une plus longue durée de satisfaction et de capacité de travail de leur part. Et à une époque où se fait sentir de plus en plus clairement un manque de personnel qualifié, ce serait une erreur de sous-estimer le facteur de succès notable que peut représenter pour l’entreprise une bonne promotion de la santé au travail (PST). 

«Le premier pas consiste à prendre en compte la promotion
de la santé au travail comme objectif entrepreneurial spécifique.»

Mais il ne suffit pas de proposer gratuitement des fruits à ses collaborateurs ou de contribuer financièrement à leur abonnement dans un centre de fitness pour pouvoir dire que l’on pratique de la PST. Il s’agit bien plus d’avoir, d’une part, un impact sur le comportement de tous les collaborateurs, à tous les niveaux hiérarchiques, et de créer, d’autre part, des conditions de travail conduisant à un bien-être accru de l’ensemble du personnel, tant sur le plan physique que psychique. 

Le premier pas consiste donc à intégrer durablement la PST à la stratégie de l'entreprise et lors de toutes les décisions stratégiques, de prendre en compte la promotion de la santé au travail comme objectif entrepreneurial spécifique, de valeur égale aux autres. Une fois cette étape franchie, il convient de définir des objectifs concrets au sein de l'entreprise et de prendre les mesures appropriées pour les atteindre. Par ailleurs, chaque entreprise devrait évaluer dans quels domaines il existe pour elle le plus grand potentiel d’amélioration. Cela peut concerner aussi bien la culture de leadership d’une société que l’organisation des divers postes de travail ou les conditions de travail concrètes. Ici, s’applique le principe selon lequel la culture d’entreprise commence au niveau de la direction: les cadres doivent être disposés à se remettre soi-même en question de manière constructive, aussi bien que leur style de direction, pour se demander si la façon dont ils gèrent leur propre santé peut servir d’exemple, d’une part, et si la manière dont ils traitent leurs collaborateurs favorise leur bien-être physique et psychique, d’autre part – et en cas de conclusions négatives, être prêts à amorcer les modifications nécessaires. 

«Un travail de prévention efficace ne peut pas être
le résultat d’une action unidirectionnelle.»

Dans une troisième étape, il s’agit de mettre en œuvre des mesures concrètes, adaptées aux exigences et aux conditions de travail spécifiques de l'entreprise, dans le sens d’un programme de promotion de la santé au travail. Suivant les secteurs d’activité et les entreprises, une telle démarche peut comprendre par exemple des séances d’entraînement au leadership, des cours de nutrition, des séances de mouvement et de posture, des cours de relaxation, des bilans de santé, des vaccinations ou des programmes spéciaux d’activité sportive. Le but ouvertement déclaré de toutes ces mesures est de sensibiliser les collaborateurs à ces questions et de les amener à s’occuper de leur propre santé afin de prévenir des maladies fréquentes telles que le burnout au travail, les problèmes cardiovasculaires ou les pathologies d’origine vertébrale. Étant donné que ces dernières années, les maladies psychiques ont notamment connu une forte augmentation, il convient, dans le cadre d’un programme de PST, de veiller à assurer une atmosphère de travail ouverte et sociale. 

La dernière étape d’un programme de PST efficace consiste à vérifier régulièrement la réalisation des objectifs fixés et le cas échéant, à effectuer un ajustement ou un élargissement des mesures mises en œuvre jusque-là. Pour ce faire, on peut s’appuyer sur des données concrètes telles que l’évolution chiffrée des arrêts maladie, de même que sur des sondages du personnel, réalisés régulièrement par écrit et de manière anonyme, qui donnent entre autres une bonne idée de la manière dont évolue le niveau de satisfaction relative au lieu de travail. Avec un programme de PST, la direction de l'entreprise peut avoir une influence sur le comportement de ses collaborateurs – néanmoins, un travail de prévention efficace ne peut pas être le résultat d’une action unidirectionnelle. En effet, l'employeur peut certes s’efforcer de promouvoir un mode de vie sain auprès de ses collaborateurs et de les motiver à le mettre en pratique - mais en fin de compte, ce sont les collaborateurs eux-mêmes qui devront agir dans ce sens.