Ajouter l’insulte à la blessure

Serge Ledermann, 1959 Advisors SA

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La réforme de la prévoyance en Suisse est fortement mise à mal par les conséquences de la pandémie.

La crise sanitaire, accompagnée de son cortège de dégâts économiques et financiers, rend un très mauvais service à la réforme de la prévoyance en Suisse. En fait, il s’agit véritablement d’une problématique générale que rencontrent tous les systèmes de prévoyance par capitalisation. En Europe et en Angleterre, avant la crise, le vieillissement de la population et la baisse des rendements se traduisaient déjà par une forte augmentation des plans sous-capitalisés et/ou des plans présentant des cash-flows négatifs. Désormais, la situation se complique sous la pression de plusieurs influences néfastes: baisse des valeurs de portefeuille et augmentation des engagements (au passif des fonds) en raison de la baisse des taux. Si les cours boursiers peuvent remonter et améliorer la relation entre l’actif et le passif, il apparaît qu’une donnée essentielle va demeurer déprimée pour longtemps: les taux d’intérêt. 

La «monétisation de la dette» est un piège duquel il est difficile de s’extirper.

Les mesures d’urgence, tant monétaires que fiscales, prises par les gouvernements et les banques centrales (pour éviter que les marchés s’enfoncent dans un trou noir et pour «compenser» en partie les pertes de revenus associées au confinement) ont un coût colossal. La facture sera salée et lourde de conséquences… Les dettes publiques vont augmenter de 10 à 15 points de PIB. Les plans de financement - sans parler de remboursement - sont pour l’heure assez vagues. Et pour cause, la priorité est de gérer la crise de façon très déterminée. Il sera par la suite difficile d’augmenter massivement les recettes fiscales dans des économies mises à mal par la crise et/ou auprès de citoyens en situation de précarité professionnelle… Une fois encore les banques centrales vont devoir «passer à la caisse» en procédant à des achats répétés et massifs de dettes souveraines domestiques. Ce phénomène appelé «monétisation de la dette» procure des aigreurs d’estomac aux hommes et femmes politiques de tous bords, car il s’agit d’un piège duquel il est ensuite difficile de s’extirper. Il suffit de poser la question aux Japonais qui la pratiquent depuis plus de 20 ans.

Les propriétés de diversification et surtout de dé-corrélation
des obligations souveraines sont désormais fortement émoussées.

Revenons à nos caisses de pension suisses qui sortent d’un exercice 2019 très profitable et qui sont globalement en meilleur état que leurs consoeurs européennes. Elles sont tout de même également confrontées à la levée de vents contraires. Il est raisonnable de penser que les données démographiques ne vont pas être profondément modifiées par la mortalité liée au virus. Par contre, les espérances de performances devront tenir compte, d’une part de taux d’intérêt inexistants pour la dette de qualité, et d’autre part, à moyen terme (passé le rebond post-déconfinement) d’une croissance très modeste des bénéfices des sociétés présentes dans les grands indices boursiers. Si la baisse récente des cours des actions ouvre un peu le potentiel d’appréciation à l’avenir, les perspectives restent incertaines. Par ailleurs, les propriétés de diversification et surtout de dé-corrélation des obligations souveraines sont désormais fortement émoussées, vu l’abolition des rendements à laquelle nous assistons.

Le régulateur devrait mieux prendre en compte dans ses exigences comptables
le fait que l’horizon de placement de la prévoyance est très long.

Difficile dans ce contexte de maintenir les prestations sans augmenter les contributions, sachant que le troisième cotisant «manquera de jus». On peut toutefois imaginer que, dans le «monde d’après» dès 2021/22, les banques centrales financeront le budget et la dette publique, alors que simultanément les caisses de pension alloueront plus largement leurs avoirs dans le capital des sociétés cotées et non cotées, actifs plus susceptibles de générer à terme les plus-values  nécessaires au financement des retraites. On peut également penser que l’immobilier de rendement constituera encore un investissement intéressant à long terme, figurant toujours en bonne place dans les fonds de pension. Il est également nécessaire de rappeler que l’horizon de placement de la prévoyance est très long, ce que le régulateur devrait mieux prendre en compte dans ses exigences comptables et réglementaires. Certes une proportion plus grande d’actions et – dans une certaine mesure d’immobilier coté - amène plus de volatilité dans les portefeuilles, mais cette volatilité est accompagnée d’une probabilité plus grande d’atteindre à terme les objectifs de plus en plus ambitieux de la prévoyance!

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