Actifs numériques - ESG: à la croisée des chemins

Florence Anglès, Capco Genève

3 minutes de lecture

Les actifs numériques proposent un nouveau mode de gouvernance complètement décentralisé.

L’ESG n’est plus simplement un acronyme, c’est devenu une réalité de poids représentant en 2025 un marché de 53’000 milliards de dollars, soit un tiers des actifs sous gestion globaux, avec comme épicentre l’Europe et l’Amérique du Nord.

Cette vague de fond s’est renforcée pendant la pandémie du COVID-19 incitant les institutions à prioriser leur stratégie, notamment par l’intégration de ces 3 critères dans la gestion des risques et le développement des produits.  Les régulateurs en ont aussi fait leur priorité et nous sommes bien loin de la fin de la déferlante réglementaire, elle ne fait que commencer! L’Union Européenne est le leader dans ce domaine. Un futur cadre réglementaire, appelé MiCA, est attendu pour 2024. Parallèlement à cette évolution se dessine en Europe un raz-de-marée réglementaire dans le domaine de la finance durable.

Les préoccupations liées à la durabilité se répandent sur l’ensemble de l’économie y compris les actifs numériques. Les investisseurs institutionnels au départ réticents se lancent avec plus d’entrain dans ces actifs qualifiés parfois de «sulfureux». Leur intégration suscite aujourd’hui des questions quant à leur durabilité. Comment les clients, régulateurs, actionnaires et investisseurs verront-ils ces objectifs apparemment contradictoires? Pour répondre à cette épineuse question, les actifs numériques doivent être analysés sous l’angle des critères E, S et G, les trois piliers fondamentaux de la durabilité.  

Le E de l’environnemental: verdir les actifs numériques

Le Bitcoin, le premier et le plus populaire des cryptomonnaie avec son mécanisme de consensus preuve de travail (PoW), permet à deux parties qui ne se connaissent pas d’effectuer des transactions de manière complètement décentralisée. Malgré ces nombreux avantages des études ont pointé du doigt l’appétit en énergie sans cesse croissant de cet ogre numérique, à tel point qu’il est devenu incontrôlable au fur et à mesure que le nombre de mineurs augmentait.

 Les caractéristiques de certains actifs numériques comme le pseudo-anonymat, la vitesse et l’accessibilité les rendent attrayants et exploitables par les cybercriminels.

Toutefois, la technologie évolue et s’adapte sans cesse à son nouvel environnement des solutions existent. La première option réside dans l’utilisation des énergies renouvelables. La troisième étude mondiale d’analyse comparative des cryptoactifs montre que la part des énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie des mineurs utilisant du PoW a atteint mondialement 39%, l’hydroélectricité étant la source la plus plébiscitée. Des disparités géographiques existent: l’Amérique du Nord semble utiliser le plus d’énergie renouvelable provenant de différentes origines.

Source: 2020 CCAF 3rd Global Cryptoasset Benchmarking Study

La deuxième alternative possible consiste en une migration vers d’autres mécanismes de consensus plus efficaces. Nous pouvons citer à titre d’exemple la migration du PoW vers une preuve d’enjeu (PoS) d’Ethereum. En cas de succès, la Fondation Ethereum estime qu’elle pourrait réduire la consommation d’énergie de 99,95%.

Le S du social: une plus grande inclusion et une conformité améliorée sous le poids d’une nouvelle réglementation

Les actifs numériques promettent de briser les barrières socio-économiques en favorisant l’inclusion financière. Ils peuvent avoir un impact social positif notamment dans les économies en développement. Selon la Banque Mondiale, le coût des envois de fonds transfrontaliers est en moyenne d’environ 6,5%, certains cas dépassant 10%. L’adoption des ces actifs contribue à réduire les coûts, ce qui est d’une grande importance pour les économies en développement où les envois de fonds peuvent représenter plus de 10% du PIB. De plus, la tokenisation rendue possible par les actifs numériques pourrait favoriser l’investissement à impact. Cette avancée est à nuancer du fait de potentiels questionnements par rapport au respect des droits humains et des problèmes de fraude.  

Comme la demande d’actifs numériques est en augmentation croissante dans le monde, il existe des menaces comme les attaques de «ransomwares» qui deviennent de plus en plus courantes. Les caractéristiques de certains actifs numériques comme le pseudo-anonymat, la vitesse et l’accessibilité les rendent attrayants et exploitables par les cybercriminels.

 Le développement rapide de la finance décentralisée (DeFi) permet d’innover dans l’espace de la gouvernance en décentralisant les pouvoirs au lieu de les concentrer.

Toutefois, selon l’OCDE, les actifs numériques offrent aussi une opportunité d’une meilleure conformité anti-corruption car la manipulation des informations stockées dans certaines des solutions DLT est presque impossible en raison de leur nature distribuée. De plus, le contrat intelligent pourrait faciliter automatiquement les contrôles de conformité.

G de la gouvernance: la rencontre entre deux mondes – traditionnel et alternatif – vers une gouvernance hybride

Les actifs numériques proposent un nouveau mode de gouvernance complètement décentralisé. Dans la finance traditionnelle, les petits investisseurs ont généralement un pouvoir de décision limité sur les orientations stratégiques, ce qui n'est plus forcément le cas avec les propriétaires de communauté d’actifs numériques. Le développement rapide de la finance décentralisée (DeFi) permet d’innover dans l’espace de la gouvernance en décentralisant les pouvoirs au lieu de les concentrer. Cette vision est toutefois confrontée à la réalité et doit s’intégrer au système financier et juridique conventionnels.

La finance arrive à une nouvelle étape où les banques centrales entrent en scène et ont entamé des recherches sur la pertinence de l’émission d’une monnaie numérique gouvernementale, une sorte d’alternative au cash, une opportunité de réduction des coûts et la possibilité de maintenir le contrôle de la masse monétaire et des taux d’intérêt. La Chine a pris une longueur d’avance dans ce domaine avec le digital yuan dont le lancement officiel est prévu pour cette année. D’autres pays suivent la tendance, les Etats-Unis, l’Union européenne, l’Angleterre et aussi la Suisse avec le projet Helvetia.

Les actifs digitaux s’adaptent donc aux nouvelles exigences en prenant conscience de leur impact sur la planète, la société et le système financier. Face au développement de la finance alternative, les banques centrales entrent dans la danse et donnent désormais le tempo avec les futures monnaies digitales gouvernementales.

A lire aussi...