Après 7 mois de campagne, à l’aube de ses 70 ans, sa Russie est largement isolée et son armée éreintée. Et lui menace d’utiliser son va-tout: l’arme nucléaire.
Pour Vladimir Poutine, enraciner la grandeur russe dans l’ordre mondial est une obsession et son assaut pour assujettir l’Ukraine devait être le point culminant de près d’un quart de siècle d’efforts.
Mais après sept mois de campagne, à l’aube de ses 70 ans vendredi, sa Russie est largement isolée et son armée éreintée. Et lui menace d’utiliser son va-tout: l’arme nucléaire.
Qu’il est loin l’an 2000, quand cet homme de 47 ans, front dégarni et regard perçant, arrive au Kremlin, remplaçant un Boris Eltsine en perdition et promettant amitié et coopération avec l’Ouest.
L’Américain George W. Bush saluera un «dirigeant remarquable», l’Allemand Gerhard Schröder et l’Italien Silvio Berlusconi sont ses amis. Malgré la répression des médias, malgré les exactions en Tchétchénie.
Deux décennies plus tard, Joe Biden – cinquième président américain de l’ère poutinienne – voit en lui un «tueur», avant même l’assaut sur l’Ukraine, tandis que s’accumulent sanctions et contentieux.
A l’inverse, sa popularité en Russie est à toute épreuve. Ses compatriotes lui reconnaissent leur prospérité relative et le retour de Moscou au sein du club des grandes puissances.
Lui a imposé une verticale du pouvoir, alimentée par la corruption selon ses détracteurs, s’appuyant sur de richissimes acolytes comme les frères Rottenberg ou le nébuleux Evguéni Prigojine, organisateur des redoutables soldats de l’ombre du groupe Wagner qui agissent à travers le monde pour ancrer l’influence russe.
Un plébiscite organisé en pleine pandémie l’autorise à se maintenir au Kremlin jusqu’en 2036, l’année de ses 84 ans, tandis que l’opposition est éradiquée, son principal détracteur Alexeï Navalny se retrouvant en prison après avoir été empoisonné.
Pour M. Poutine, comme pour nombre de Russes de sa génération, la disparition de l’Union soviétique et de sa sphère d’influence reste un affront à laver. A l’époque officier du KGB en Allemagne de l’Est, il vit la défaite aux premières loges.
L’indigence devient une réalité en Russie, contrastant avec le triomphalisme occidental. Des années plus tard, M. Poutine affirmera avoir été contraint, comme nombre de compatriotes, de travailler comme taxi clandestin.
De quoi le convaincre que la fin de l’URSS est «la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle», et de quoi nourrir aussi un désir de revanche face à l’Otan et l’UE qui s’élargisse aux anciens du bloc soviétique.
Convaincu que l’Ouest cherche à vassaliser la Russie, sa mission devient de l’arrêter, avec l’Ukraine comme ligne rouge. Pour Poutine, la révolution pro-occidentale de 2014 à Kiev est la goutte de trop, un coup d’Etat d’extrémistes anti-russes piloté depuis Washington.
Sidérant l’Occident, il annexe la Crimée ukrainienne puis allume la mèche d’un conflit séparatiste dans le Donbass. Puis le 24 février 2022, prétextant un génocide dans cette région russophone, il fait entrer ses chars chez son voisin, une première en Europe depuis 1939.
En 2015, le natif d’une famille ouvrière de Leningrad et ceinture noire de judo avait résumé sa philosophie: «Si le combat est inévitable, il faut frapper le premier».
«Dans son esprit (...) si cette guerre en Ukraine ou pour l’Ukraine est perdue, alors l’Etat russe n’existera bientôt plus», analyse Tatiana Stanovaïa, qui dirige le centre d’analyse R.Politik.
L’opération devait être un succès éclatant, grâce, après 22 ans de régime poutinien, à une armée modernisée et un commandement aguerri par ses succès en Syrie.
Mais, gangrénée par la corruption, surprise par des Ukrainiens déterminés, Moscou doit renoncer à Kiev au printemps. La conquête de l’Est et du Sud coûte cher en hommes et en munitions, pendant que Kiev engrange l’aide militaire occidentale.
L’automne est synonyme de retraites en série. L’échec est évident quand Vladimir Poutine décrète le 21 septembre la mobilisation de centaines de milliers de réservistes, des civils donc, lui qui pendant deux décennies se posait en garant d’une Russie stable et en paix.
Économiquement, le pays, sous sanctions, est coupé de la finance internationale et de technologies de pointe.
Diplomatiquement, l’isolement est patent. Tout un symbole, M. Poutine n’est pas invité aux obsèques de la reine Elizabeth, à l’instar du nord-coréen Kim Jong Un ou du Syrien Bachar al-Assad.
Et des dizaines de milliers de Russes, peut-être des centaines de milliers, fuient la mobilisation et la répression.
En Occident, certains évoquent la «dérive» de ce président, alors qu’il a passé deux ans largement coupé du monde pour le protéger du Covid.
A quelques jours du début de l’offensive, le président français Emmanuel Macron s’inquiétait d’un Poutine «plus raide, plus isolé, parti dans une sorte de dérive à la fois idéologique et sécuritaire».
Il n’est plus celui qui chevauchait torse nu dans la taïga ou plongeait dans le lac Baïkal en bathyscaphe, mais celui qui s’assoit à des mètres de ses invités, au bout d’une table géante.
A la télévision, il s’affiche féroce contre un Occident en déclin moral, gangréné par les idées libérales et le mouvement LGBT. Fin septembre, il y voit l’avènement d’un «satanisme pur et dur».
«Macron ou (Olaf) Scholz doivent choisir leurs mots, Vladimir Vladimirovitch non. Il dit ce qu’il pense, fait ce qu’il veut», relève le politologue indépendant russe Konstantin Kalatchev. «Il a une liberté totale, plus rien ne le retient».
Avec cette même conviction, il répète que l’Ukraine n’est pas une nation, que son indépendance est un mauvais tour de l’Histoire. Dans cette logique, le 30 septembre, il proclame l’annexion de quatre régions ukrainiennes supplémentaires même si son armée y engrange les revers.
«La victoire sera à nous», crie-t-il à la foule rassemblée sur la Place Rouge.
«Il se croit vraiment l’unificateur des terres russes. Et de mon point de vue, ça peut mal finir», commente l’analyste Tatiana Stanovaïa.
De là à une frappe nucléaire? «Ce n’est pas du bluff», a dit Poutine lui-même.