«Nous gardons une position défensive sur la dette française»

Yves Hulmann

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Guillaume Fradin, gérant-analyste chez LBP AM, a en revanche ajouté de la duration américaine sur la base d’une anticipation de faible croissance outre-Atlantique.

Obtenir une performance régulière et positive quels que soient les contextes de marché figure parmi les objectifs affichés par le fonds LBP AM ISR Absolute Return Credit. Ce fonds obligataire, dont l’ambition est de résister «à tous les temps», adopte une approche flexible qui permet d’explorer un univers d’investissement très large sur les marchés obligataires. Les instruments utilisés comprennent à la fois des obligations à taux fixe, variable ou des emprunts convertibles, des futures et options sur futures, des obligations subordonnées et AT11, tout comme des CDS2 et swaps. Comment utiliser cette palette d’instruments durant les fortes variations des taux observées sur les marchés ces dernières semaines? Explications avec Guillaume Fradin, gérant-analyste Performance Absolue Taux & Crédit chez LBP AM, qui est aussi propriétaire de La Financière de l’Echiquier (LFDE).

Comment est-il possible d’obtenir une performance positive quels que soient les contextes de marché?

La large gamme d’instruments que nous avons à disposition   vise précisément à adapter constamment le portefeuille à l’évolution des marchés. Cette diversité de type d’actifs obligataires nous donne la possibilité d’avoir une gestion flexible et variée: ils incluent à la fois des obligations à taux fixe, variable ou des emprunts convertibles, des futures et options sur futures, de la dette subordonnée et des AT1 ainsi que des CDS et swaps. Notre fonds fonctionne un peu à la manière d’un couteau suisse, capable de s’adapter en fonction de la situation spécifique des marchés. Certes, il n’est pas toujours possible d’obtenir une performance complètement décorrélée de celle des marchés. Néanmoins, le recours à une large palette instruments permet d’obtenir une performance plus régulière que si l’on investissait dans un seul type de titres. Notre objectif est ainsi d’obtenir 250 points de base de plus que l’Euro short-terme rate (Euro STR).

«Le recours à une large palette instruments permet d’obtenir une performance plus régulière que si l’on investissait dans un seul type de titres.»

En Europe ou en Suisse, les rendements des titres de dette considérés comme étant des valeurs refuge, à l’exemple des emprunts de la Confédération ou du Bund allemand, sont déjà relativement faibles. Les marchés obligataires n’ont-ils pas déjà intégré l’essentiel de la baisse des taux attendue des banques centrales cette année? Est-il encore possible de tirer parti des futures baisses des taux d'intérêt?

Dans un scénario de «fuite vers la qualité», des emprunts défensifs, comme la dette allemande à 10 ans, offre encore une protection. On l’a vu d’ailleurs durant la première moitié d’avril – les taux à 10 ans des obligations d’Etat allemandes à dix ans s’étaient repliés.

Techniquement, nous avons plusieurs moyens d’adapter notre portefeuille pour tenir compte d’une évolution spécifique de l’environnement de marché. Nous avons par exemple enlevé alors une protection que nous avions sur la dette allemande, pour la transférer sur d’autres instruments. Nous gardons en revanche une position défensive sur la dette française.

S’agissant de l’évolution des taux directeurs des banques centrales, notre scénario de base chez LBP AM anticipe encore 2 baisses d’un quart de point du côté de la BCE et 3 baisses du côté de la Fed d’ici à fin 2025. Ce qui est inhabituel dans la situation actuelle: on observe un ralentissement de la croissance de l’économie américaine, mais sans baisse de l’inflation, notamment en raison des craintes quant à l’application des droits de douane. Généralement, soit la croissance et l’inflation diminuent en même, soit elles augmentent en même temps. C’est pourquoi nous faisons preuve d’une certaine prudence sur la partie américaine de nos placements.

Comment faut-il interpréter la remontée des taux à 10 ans aux Etats-Unis, encore situés à 4% au tout début du mois d’avril et qui sont remontés à plus de 4,5% vers la mi-mai (ndlr: 4,44% le 1er juin)? La volatilité accrue récente des taux aux Etats-Unis est-elle une source de difficulté particulière dans une approche de gestion comme la vôtre?

Nous avions adopté une grande prudence sur les taux américains depuis quelques semaines, en raison de forces contraires assez importantes amenant à une faible visibilité. Malgré tout, dans une allocation globale des risques, nous avons ajouté depuis quelques jours de la duration américaine. Cela, sur la base d’une anticipation de faible croissance qui prendrait le dessus sur une inflation plus temporaire. Cette volatilité forte sur les marchés est vue de notre côté comme une opportunité de trouver des stratégies diversifiantes, grâce notamment à notre flexibilité et adaptabilité aux marchés.

Concernant la partie obligations d’entreprises, quels sont les indicateurs qui peuvent signaler une amélioration ou une détérioration de la situation? A quels indicateurs faut-il être attentif en particulier?

Il y a notamment l’évolution des taux de défaut ainsi que celle des différents indicateurs de confiance des entreprises. Dans un contexte tel que celui de début avril, il faut toutefois être conscient que la situation évolue très vite. Les données disponibles peuvent être décalées de la réalité.

«Nous utilisons les CDS uniquement dans une perspective de protection ou d’exposition, afin de récupérer de la performance – il ne s’agit pas de ‘shorter’ le marché ou de parier sur de possible défauts de certains émetteurs.»

Y a-t-il des segments au sein de l'univers des obligations d'entreprises qui sont plus attrayants actuellement ou qu’il vaut mieux éviter?

Dans le contexte marqué par les incertitudes en lien avec les droits de douane aux Etats-Unis, les titres émis par les entreprises actives dans les services aux collectivités («utilities»), ou les télécoms, permettent d’avoir un positionnement plus défensif. A l’inverse, les emprunts d’entreprises actives dans l’industrie sont beaucoup plus exposés aux perturbations de l’économie mondiale. Pour le secteur pharma et sciences de la vie, la situation n’est pas non plus très claire.

Il est également important de tenir compte du positionnement spécifique de chaque entreprise, y compris aussi au sein d’un même secteur. Parmi les constructeurs automobiles européens, Renault, par exemple, est très peu exposé au marché américain. Il en va différemment de certains constructeurs allemands qui exportent davantage vers les Etats-Unis. C’est pourquoi un travail d’analyse très détaillé, qui tient compte des spécificités de chaque émetteur, est indispensable. C’est autant le cas pour les emprunts d’entreprises que pour les actions.

Vous utilisez des instruments tels que les Credit Default Swaps (CDS) qui avaient beaucoup fait parler d’eux durant la grande crise financière de 2008. Pourquoi sont-ils utiles dans votre approche d’investissement?

Ces outils permettent d’être très réactifs et de pouvoir s’adapter en fonction des différentes conditions des marchés et ce, au travers des CDS sur indices. Nous utilisons les CDS uniquement dans une perspective de protection ou d’exposition, afin de récupérer de la performance – il ne s’agit pas de «shorter» le marché ou de parier sur de possible défauts de certains émetteurs. Nous sommes un fonds obligataire, nous n’agissons pas comme un hedge fund.

Les CDS que nous utilisons s’intègrent dans notre stratégie reposant sur une très large diversification de nos placements – nous avons plus de 150 lignes de positions différentes dans notre portefeuille.

A la fin du mois de mai, quelle était la performance actuelle de votre fonds depuis le début de l’année, comparée à celle observée à la fin du premier trimestre ou début avril?

Le fonds LBPAM ISR Absolute Return Credit, après avoir bien résisté début avril, a su prendre le rebond de marché pour afficher une performance supérieure – au 20 mai – à son précédent point haut de début mars3.


1 Titres de créances subordonnés de premier rang, émis par les banques pour renforcer leurs fonds propres.
2 Produits dérivés sous forme de contrats de protection, permettant de s’assurer contre le risque de défaillance du sous-jacent.
3 Source: LBP AM

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