Le prince Mohammed ben Salmane vise une valorisation de 2’000 milliards de dollars. Les prévisions des banques internationales impliquées dans l’introduction sont moins optimistes.
Valorisation moindre que prévu, seulement sur le marché local, risque géopolitique, accueil tiède à la Bourse de Ryad... De nombreuses réserves entourent déjà le gigantesque projet d’introduction en Bourse de Saudi Aramco, annoncé dimanche par la plus grande compagnie pétrolière du monde.
L’entreprise compte proposer d’ici la fin de l’année 2% de son capital sur le marché boursier saoudien, pour devenir la plus grosse capitalisation mondiale. Une énorme opération maintes fois repoussée et qui reste entourée de plusieurs zones d’ombre.
2’000 milliards de dollars: c’est la valorisation stratosphérique que visait initialement le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) pour son joyau Aramco, selon plusieurs sources proches du dossier.
Mais à en croire les premières prévisions des grandes banques internationales impliquées dans l’introduction en Bourse, citées par Bloomberg, le résultat pourrait être en-deçà des espérances princières.
BNP Paribas, estime par exemple la valeur d’Aramco à 1’420 milliards de dollars. D’autres banques donnent une fourchette, à l’image de HSBC qui la valorise entre 1’590 et 2’100 milliards.
«MBS espère une valorisation entre 1’600 et 1’800 milliards de dollars, bien moins que les 2’000 milliards visés au départ. Et même cet objectif pourrait être difficile à atteindre (...) en raison de la conjoncture économique défavorable, du déclin de la demande mondiale et de la baisse des prix du pétrole», avertit Ipek Ozkardeskaya, analyste pour London Capital Group.
«Même si c’est en-dessous (de 2’000 milliards), cela ferait toujours d’Aramco la plus grosse capitalisation au monde, devant Apple et Microsoft qui pèsent toutes deux 1’000 milliards de dollars», nuance Michael Hewson, analyste chez CMC Markets.
Avec un bénéfice net de 111,1 milliards de dollars en 2018, en hausse de 46% par rapport à l’année précédente, et un revenu annuel de 356 milliards de dollars, Aramco produit 10% du pétrole mondial et participe largement à la prospérité de l’Arabie saoudite.
Selon plusieurs experts, l’introduction d’Aramco doit se faire en deux temps: d’abord sur le marché saoudien d’ici la fin de l’année, puis sur une place financière internationale l’an prochain.
Londres et New York sont d’ailleurs régulièrement citées comme candidates.
Si la première partie de ce scénario a été validée dimanche, sans pour autant confirmer de date pour le lancement à la Bourse de Ryad, le président d’Aramco a écarté pour l’heure le deuxième volet.
«Pour la partie (internationale), nous vous le ferons savoir en temps utile», a déclaré Yasser al-Rumayyan dans un communiqué.
«Ce genre de cotation ne peut se faire que sur une place financière majeure. Est-ce que le marché pourra gérer l’incroyable quantité de liquidités que cette introduction demandera?», s’interroge Neil Wilson de Markets.com.
«Il y a des risques et Aramco n’est clairement pas pour n’importe quel investisseur», mettent en garde d’emblée les analystes du cabinet Bernstein.
Le risque numéro 1 reste l’instabilité géopolitique de la région renforcée depuis mi-septembre et une attaque de drone revendiquée par des rebelles yéménites qui avait visé deux installations d’Aramco.
«Si ce genre d’évènements géopolitiques a tendance à soutenir les prix, c’est autre chose pour un investisseur quand il s’agit d’attaques directes visant des structures pétrolières», souligne Neil Wilson.
L’introduction dans un premier temps à la Bourse de Ryad servira à coup sûr de révélateur du potentiel d’attractivité d’Aramco à plus grande échelle.
Dimanche, la nouvelle a été accueillie avec tiédeur à la Bourse saoudienne qui a reculé de près de 2%.
L’introduction en Bourse d’Aramco est un rouage essentiel du projet «Vision 2030» de MBS visant à diversifier l’économie saoudienne pour sortir de la dépendance au tout pétrole.
Mais cette opération nécessite d’aiguiser l’appétit des investisseurs pour des placements dans les énergies fossiles.
«Il est difficile d’évaluer une société qui génère tous ses bénéfices grâce aux carburants fossiles dont l’utilisation est en déclin face à la montée en puissance des renouvelables», pointe Michael Hewson.
«En terme de prévisions concernant les prix du pétrole, c’est difficile de voir une quelconque amélioration. La croissance de la demande ralentit, l’offre n’est pas un problème», renchérit Neil Wilson.
Avec un baril autour de 60 dollars, le pétrole est loin des niveaux record qu’il a pu atteindre en 2008, une période où il avait dépassé les 140 dollars.