«Biden associé à un Sénat républicain signifie que le programme fiscal pourrait être divisé par 3 ou 4» estime Stéphane Monier de Lombard Odier.
Pas de vague bleue donc. Le premier jour des élections américaines ne s’est pas déroulé comme les analystes l’avaient anticipé. Quelles leçons, encore temporaires, peut-on en tirer pour l’économie et pour les marchés? Entretien avec Stéphane Monier, Chief Investment Officer de la banque Lombard Odier.
Il n’y pas vraiment d’excuse à s’être trompé (et je m’inclus dans les fautifs). D’autant que c’est la seconde fois. On peut invoquer plusieurs raisons aux biais observés. Parmi les sondés, beaucoup de Républicains dans l’âme n’appréciaient pas le style de Trump sans avouer qu’ils voteraient pour lui … essentiellement pour des raisons économiques. La baisse des taxes de 35 à 21% ne leur a pas été indifférente. Autre élément: avec cinq meetings par jour, Donald Trump s’est montré beaucoup plus actif que son adversaire dans la dernière phase de la campagne. Enfin, il semblerait qu’on ait sous-estimé l’influence de la communauté hispanique de Floride qui a joué en faveur du président sortant.
assortie d’un Sénat républicain.»
Je pense au contraire que nous savons déjà. Et que le résultat s’oriente clairement vers une victoire de Biden, assortie d’un Sénat républicain. Une situation peu favorable aux marchés financiers. Le risque existe évidemment que Trump conteste le scrutin et que le défi légal que cela posera accroisse considérablement la volatilité. L’incertitude est synonyme de baisse du rendement des Treasuries à 10 ans qui pourraient encore fléchir de 10 à 15bp autour de 0,5% – on a déjà observé ce mouvement hier. Le dollar peut s’apprécier et l’or prendre l’ascenseur. Ceci s’accompagnera d’une correction des actions. Evidemment les choses seraient complètement différentes si Biden gagnait avec un Sénat démocrate.
Il serait difficile pour Joe Biden de gouverner avec un Sénat républicain. Seront remises en cause les dépenses de santé et la transition écologique. Il ne perdra pas en légitimité mais manquera de moyens financiers. Même Trump a souffert de la rigueur budgétaire extrême de certains sénateurs Républicains. Un peu de soutien économique aurait pourtant pu l’aider.
On peut affirmer que la mort absolue de la vague bleue est aussi celle des bénéfices du plan d’infrastructure démocrate. En pâtiront les secteurs de la construction, des matériaux, industriels, du consumer discretionary et des banques. En bénéficieront la tech et la pharma.
et avons liquidé ces positions mercredi.»
Pour l’instant les gens sont focalisés sur les élections ce qui n’est bon pour aucune stratégie de contrôle sanitaire. Et puis n’oublions pas que Biden ne sera au pouvoir que le 20 janvier. D’ici là, la pandémie a tout le temps de se propager.
Nous étions surpondérés sur le high yield américain et avons liquidé ces positions mercredi. Le package fiscal sera nécessairement plus léger donc le refinancement des sociétés va se poser et nous pourrions assister à une hausse du taux de défaut et à un écartement des spreads. Nous avons donc choisi de prendre nos profits et de conserver du cash pour nous positionner quand l’horizon se sera éclairci.
Joe Biden sera plus favorable au commercial international et nous pourrions réinvestir dans la dette des pays émergents avec une victoire démocrate. Si le dollar s’apprécie trop dans la période intermédiaire, ce serait plutôt sur de la dette en devise locale dans un premier temps. Si Trump était resté au pouvoir avec un Sénat républicain, nous aurions été plus positifs sur les small et mid caps américaines.
Biden associé à un Sénat républicain signifie que le programme fiscal prévu de 2-3 trillions de dollars sera probablement divisé par 3 ou 4. Avec un impact négatif sur la croissance américaine. Mais d’un autre côté, le dollar devrait baisser ce qui rendrait les exportations US moins chère et boosterait certains secteurs. Vague bleue ou maintien de Trump, tout vaut mieux qu’une situation mitigée et destructrice qui représente le scenario le moins favorable à une relance.
Trump parti, quel héritage laissera-t-il? Il a changé l’attitude des US vis-à-vis de l’étranger et a affaibli leur position multilatérale. Quant à sa guerre commerciale avec la Chine, elle n’a pas réussi à réduire le déficit américain. Certes Biden continuera la lutte avec la Chine mais il essaiera au moins de ressusciter l’Accord de Paris. Il sera difficile de guérir les tensions sociales et la polarisation exacerbées avec Trump. Surtout avec une Cour suprême dominée par les Républicains dont l’impact sur l’Affordable Care Act sera probablement très négatif.