Aux États-Unis, une victoire des démocrates pourrait voir la production iranienne revenir sur les marchés mondiaux.
- La demande d’énergie se détourne des énergies fossiles au profit de sources alternatives
- Tant que le carbone ne fera pas l’objet d’une tarification rigoureuse, les énergies fossiles resteront artificiellement bon marché
- Une transition vers des économies neutres en carbone exige que les compagnies pétrolières s’éloignent des revenus liés aux énergies fossiles.
La pandémie de Covid agit comme un moteur de changement dans le secteur de l'énergie. Le spectaculaire ralentissement de l'économie mondiale a réduit la demande d'énergies fossiles, accélérant la transition vers des sources d'énergie alternatives. Un changement de direction politique aux États-Unis pourrait renforcer cette tendance l'année prochaine.
La demande d’énergie est en pleine mutation. La semaine dernière, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a annoncé pour cette année une diminution d'au moins 5% de la demande en énergie par rapport à 2019, les baisses les plus importantes concernant le pétrole et le charbon. En revanche, la demande en énergie renouvelable devrait augmenter de près de 1% sur la même base. Le ralentissement économique lié à la pandémie a aussi réduit les émissions de gaz à effet de serre de près de 7%, selon l'Agence, tandis que les investissements diminueront de 18%, principalement dans les énergies fossiles.
Les perspectives pour les énergies fossiles sont de plus en plus claires. Le mois dernier, Total SE a déclaré s’attendre à une diminution de la demande en pétrole après 2030, tandis que BP, dans une série de scénarios, a estimé que la demande pourrait ne jamais se remettre de la pandémie. L'offre de sources d'énergie alternatives, cependant, continuera à s’élargir dans tous les scénarios de BP, y compris dans le cas d’un «statu quo».
Les décideurs politiques, Banque mondiale incluse, estiment que les marchés du carbone jouent un rôle important dans la transition vers une économie à faible intensité carbone. Actuellement, ces marchés couvrent environ 20% des émissions mondiales et l'Europe possède le plus grand marché d'échanges au monde où les émetteurs achètent des quotas d'émission de gaz à effet de serre contribuant ainsi au financement de la décarbonisation. Un quota donne le droit d'émettre une tonne de CO2, ou son équivalent en oxyde nitreux et en perfluorocarbures (PFC). Le prix du quota est actuellement d'environ 30 dollars, alors que la Banque mondiale estime que ce prix devrait se situer entre 40 et 80 dollars pour répondre aux ambitions de l'accord de Paris visant à limiter le réchauffement climatique à moins de 2 degrés centigrades. Tant que les émetteurs n’auront pas à s’acquitter du coût total généré par la consommation d'énergie fossile pour la société, l'incitation à se tourner vers des sources d'énergie renouvelable sera faible. Des efforts pour améliorer ces marchés sont en cours, notamment des réductions des droits d'émission de CO2. En effet, si l’offre ne se réduit pas, les marchés du carbone ne feront pas l’objet d’une tarification rigoureuse et ne contribueront pas à la décarbonisation.
Les cours pétroliers actuels reflètent aussi la gestion de l'approvisionnement par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole et par ses alliés (OPEP+), dont la Russie. Le cartel, qui représente environ un tiers de la production mondiale de pétrole, tente de gérer une série de défis qui vont de la réduction de la demande mondiale à la concurrence du schiste américain, en passant par une reprise des exportations libyennes à hauteur de quelque 1 milliard de barils par jour (bpj). Au début de l'année, la Russie et l'Arabie saoudite sont revenues sur leurs engagements en matière de production, déclarant toutes deux qu’elles envisageaient de l’augmenter, affaiblissant les producteurs américains de schiste et remettant en question la position de leader des États-Unis sur le marché.
Une victoire démocrate aux élections américaines du mois prochain compliquerait la tâche de l'OPEP. Tandis qu'une administration Biden pourrait chercher à restreindre la production de schiste sur les terres de propriété publique, la mainmise démocrate sur la politique étrangère américaine pourrait rétablir les relations avec l'Iran, ramenant potentiellement quelque 2 millions de bpj sur le marché mondial, même si cette production resterait probablement soumise à des limites de quotas. Tant que la demande se maintiendra aux niveaux actuels, toute augmentation de la production iranienne entraînera une baisse des prix et exigera une réduction de la production de la part des membres de l'OPEP+ afin d'éviter un nouvel effondrement des cours pétroliers.
Les candidats à la présidentielle américaine de novembre défendent des politiques énergétiques opposées. Pour une partie de l'establishment politique américain, le changement climatique est une question de croyance. «Ils détestent le charbon propre et beau», a déclaré le président Donald Trump le 13 octobre dernier, lors d'un rassemblement en Pennsylvanie. Pour de nombreux autres, le changement climatique représente une science établie et une opportunité urgente de repenser l'économie américaine.
Le candidat démocrate à la présidence, Joe Biden, a ainsi proposé un paquet de mesures de 2000 milliards de dollars sur quatre ans afin de promouvoir une énergie, des transports et des constructions plus propres aux États-Unis. Ce plan veut réduire à zéro les émissions de CO2 provenant de l'énergie électrique dans un délai de 15 ans. M. Biden affirme que la transition énergétique constitue une occasion de créer davantage d'emplois et de rétablir les engagements des Etats-Unis dans le cadre de l'accord de Paris. Selon la politique actuelle, les engagements de la première économie mondiale au titre de l'accord de Paris expirent officiellement le 4 novembre, le lendemain de l'élection.
Certains groupes pétroliers s'orientent vers des solutions de remplacement en faveur de l'électricité propre, de la bioénergie, de l'hydrogène, ainsi que du captage et du stockage du carbone. BP, par exemple, s'est engagé à devenir un émetteur «zéro émissions nettes» au plus tard en 2050 et d'autres grandes compagnies pétrolières promettent de réduire de moitié l'intensité carbone de leurs produits d'ici là, voire plus tôt. BP est aujourd'hui le plus grand développeur de projets d'énergie solaire en Europe, tandis que Total SE vise à devenir un leader mondial intégré dans le domaine de l'énergie solaire. La stratégie de Royal Dutch Shell comprend la recharge des véhicules électriques ainsi que des initiatives visant à encourager l'adoption de véhicules électriques alimentés par des piles à hydrogène. Eni S.p.A. a lancé la première conversion d'une raffinerie traditionnelle en une bioraffinerie produisant du kérosène vert, du diesel vert, du naphte vert et du gaz de pétrole liquéfié.
Cependant, ces ambitions ne sont pas encore à la hauteur car elles ne suffisent pas à limiter le réchauffement global conformément à l'accord de Paris.
Les marchés observent avec un certain scepticisme ces engagements portant sur plusieurs décennies et les entreprises énergétiques continuent à sous-performer le marché boursier dans son ensemble. Leurs objectifs sur trois décennies exigeraient d’importantes compensations en matière de dioxyde de carbone sous la forme de puits de carbone naturels, y compris la reforestation, ou via des technologies de captage et de stockage du carbone qui ne fonctionnent pas encore à grande échelle. Deuxièmement, les entreprises du secteur des énergies fossiles risquent des pertes de valeur conséquentes lors de la transition vers une économie bas carbone, en raison d’infrastructures obsolètes et d’une mauvaise tarification du carbone.
Le groupe danois Ørsted est allé plus loin. En un peu plus de dix ans, il est passé du statut de producteur d'un tiers des émissions de carbone du pays à l'un des principaux fournisseurs mondiaux d'énergie éolienne offshore. Il est très probable que d'autres entreprises énergétiques peuvent, et vont, changer leurs modèles d’affaires afin de passer du brun au vert.
Les investisseurs peuvent se tourner vers les entreprises qui s’activent à leur transition vers les énergies alternatives, contribuant ainsi de manière substantielle à la décarbonisation, ainsi que vers celles qui proposent de nouvelles solutions propres. En d'autres termes, tant les transformateurs que les pionniers ont un rôle à jouer et peuvent représenter des opportunités d'investissement dans cette évolution mondiale vers l'énergie propre.