Vision objectivée du comportement des entreprises

Nicolette de Joncaire

2 minutes de lecture

«La pluralité des sources d’information est indispensable à la notation ESG», estime Antoine Mach, cofondateur de Covalence.

Le monde des agences de notation ESG (Environnementale, Sociale et de Gouvernance) reste étroit et les principaux acteurs sont essentiellement nord-américains. Dans cet univers encore en construction, la société Covalence, créé à Genève en 2001 par Antoine Mach et Marc Rochat, s’est distinguée très tôt par la diversité des sources d’information sur lesquelles elle fonde ses évaluations. Entretien avec Antoine Mach.

Comment la notation ESG, et plus particulièrement la vôtre, a-t-elle évolué?

Historiquement, la notation ESG se fondait sur les déclarations des entreprises elles-mêmes, généralement sur la base de questionnaires ad hoc. Avec pour corollaire, une absence presque complète de cohérence. Le développement des directives de la Global Reporting Initiative, à partir de 1997, a permis simultanément une centralisation et une certaine standardisation du reporting ESG des sociétés. Il n’en restait pas moins vrai qu’évaluer une entreprise sur la foi de ses dires ne peut offrir qu’une vue biaisée de ses réalisations.  En conséquence, dès le départ, nous nous sommes attachés à multiplier les sources d’information pour obtenir une vision objectivée de leur comportement. Nous analysons le contenu narratif de milliers de documents identifiés sur le web et classifions les résultats de manière à obtenir une orientation positive ou négative de ce comportement. A ce jour, nous avons utilisé plus de 50'000 sources différentes – media, syndicats, ONG, communautés locales - pour évaluer 3'400 sociétés dont 95% sont cotées, en couvrant les grands indices des marchés développés, émergents ou frontière. 

«Nous avons développé nos propres outils
d’intelligence artificielle qui opèrent un premier tri.»
Comment procédez-vous?

Les premiers temps, ce travail de recherche et d’analyse se faisait manuellement. Puis nous avons développé nos propres outils d’intelligence artificielle qui opèrent un premier tri, vérifié ensuite par notre équipe. Sur cette base, nous pouvons établir des tableaux de bord résumant le sentiment positif ou négatif vis-à-vis du comportement de chaque entreprise et permettant de la noter. 

Vous utilisez aussi des indices existants comme ceux de Bloomberg ou de Thomson Reuters.

Nous utilisons les données publiées par les sociétés elles-mêmes ainsi que certains indices car ils fournissent des indicateurs objectifs, par exemple la proportion de femmes au conseil d’administration ou l’empreinte carbone. Ce qui nous parait important est de pouvoir établir une comparaison entre ce que les entreprises disent d’elles-mêmes et leur réputation auprès des tiers pour en dégager une cohérence (ou une incohérence). Prenez des sociétés comme VW, Monsanto ou Petrobras: leurs indicateurs peuvent être bons, voire excellents, mais leur réputation est entachée par un ou plusieurs scandales ce qui jette le doute sur leur crédibilité et réduit d’autant leur appréciation ESG. Pour d’autres groupes - tels Nestlé, l’Oréal ou Unilever -, il y a davantage de convergence entre leurs propres indications et le sentiment des tiers. Ce double regard nous donne les écarts entre deux dimensions et permettent d’identifier les «bulles réputationnelles». La tâche est plus difficile pour les entreprises dont le reporting donne une image positive mais qui sont peu couvertes à l’externe.

L’analyse est (relativement) aisée pour l’industrie alimentaire ou de biens de grande consommation mais qu’en est-il du secteur bancaire?

Les industries de grande consommation sont effectivement sensibles à ces problématiques depuis longtemps alors que les banques ne mettent en avant les aspects ESG que depuis quelques années. Elles ont longtemps isolé finance et philanthropie dans deux cases distinctes et ne se préoccupent de la portée ESG de leurs financements ou de leurs investissements que depuis assez peu de temps. En bref, le secteur bancaire a mis plus de temps à s’adapter à l’ESG que les autres. 

«Les gérants indépendants font appel à nos services
car la demande augmente de la part de leur clientèle.»
Comment construisez-vous vos score cards?

Nos score cards sont établies sur sept dimensions: la gouvernance, l’impact économique, l’empreinte environnementale et l’empreinte sociale qui se subdivise en respect des normes du travail, respect des droits humains, impact sur la société et impact des produits. 

Quelle est votre clientèle?

Par le passé, notre clientèle était constituée largement par les entreprises que nous notions. Aujourd’hui, ce sont les gérants indépendants (plutôt suisses) qui font appel à nos services car la demande augmente de la part de leur clientèle et ils n’ont pas les ressources internes pour mener ce type de recherche. Nous fonctionnons dans une optique de partenariat et leur offrons des services sur mesure, notamment thématiques par exemple sur l’éducation ou la diversité. Les banques privées font aussi appel à nous car elles essaient de s’orienter vers la transparence, la durabilité et le bien commun. Nous servons également un certain nombre d’investisseurs finaux dont des fondations comme PeaceNexus et fournissons des données aux universités qui en sont très friandes et à certaines ONG.  Notre focus est local et nous sommes suffisamment agiles pour nous adapter à des approches non standardisées que les grands acteurs ne peuvent pas se permettre de servir. 

Vos objectifs?

Accroitre notre couverture à 6'000 sociétés et nous profiler auprès des asset managers ce qui est difficile dans le cas des grandes maisons qui ont souvent leur propres équipes internes.